Intervention de Andreaz Dupoué

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 10 novembre 2022 à 9h45
Audition publique sur les conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité

Andreaz Dupoué, chargé de recherche à l'IFREMER :

Je vous remercie pour votre invitation. Ma présentation sera brève. Je souhaite vous montrer dans quelle mesure l'écophysiologie animale peut aider à maintenir la biodiversité.

L'écophysiologie est une discipline récente, construite dans le courant des années 2000. Elle vise à caractériser les réponses fonctionnelles des organismes qui nous entourent afin de comprendre la manière dont les êtres vivants parviennent à adapter leur physiologie aux variations de leur environnement, pour assurer leur survie, pour se reproduire, et pour persister dans un habitat donné.

Forts de la compréhension des mécanismes fonctionnels qui lient les organismes à leur environnement, nous pouvons appréhender la manière dont le vivant est parvenu à coloniser des environnements qui nous paraissent hostiles, jusqu'à aboutir à une riche biodiversité. Les régions arctiques ne sont pas hostiles pour les ours polaires, et les déserts apparaissent accueillants pour d'autres espèces.

L'identification des gammes de tolérance des organismes associées à des éventails d'environnements aide à mieux prédire le devenir d'une population ou d'un écosystème, dans un lieu donné. Pour ce faire, nous tenons compte des prévisions formulées par le GIEC et par d'autres acteurs.

Parmi les quatre grandes causes du déclin de la biodiversité susceptibles d'interagir localement, le réchauffement climatique s'avère le plus ubiquiste, présent partout sur Terre avec des magnitudes variables. Partout, le réchauffement climatique est susceptible d'exacerber le stress d'origine anthropique produit par les pollutions ou par la surexploitation des ressources. L'écophysiologie vise notamment à comprendre la manière dont les organismes fonctionnent pour répondre à ces stress, de façon à en limiter du mieux possible les effets.

Pour illustrer l'ampleur de la sixième crise d'extinction que nous vivons, évoquée par Philippe Grandcolas, je note que 75 % des vertébrés terrestres sont actuellement menacés. Cette crise est majeure.

Les chercheurs en écologie informent au mieux les décideurs politiques sur les espèces et les milieux, pour les aider à opérer des choix. Concrètement, dans mon laboratoire de l'IFREMER, situé à Brest, nous reproduisons des environnements stressants, en faisant varier les conditions thermiques, l'exposition aux pollutions, ou encore la disponibilité alimentaire, pour y exposer des espèces de coquillages (huitres, moules, etc.). Ces espèces sont associées à des enjeux économiques notoires et il importe d'anticiper leur devenir au sein de leurs environnements. Nous cherchons à comprendre les mécanismes physiologiques qui expliquent les effets de la nouvelle donne environnementale imposée par l'humanité sur la croissance, la survie et la reproduction des espèces.

Les scénarios climatiques actuels permettent d'estimer de manière plus ou moins fiable les futures conditions de températures sur les côtes, pour prédire localement le devenir des espèces. Or les réponses des espèces à ce réchauffement peuvent différer. Il importe donc de comprendre leur fonctionnement.

Par exemple, l'huitre creuse bénéficiera du réchauffement sur nos côtes. Son taux de croissance populationnelle devrait augmenter d'ici à 2100. Il faut relever qu'il s'agit d'une espèce exotique invasive introduite en France depuis le Japon au siècle dernier pour répondre à des besoins ostréicoles, après la quasi-disparition de l'huitre plate.

À l'inverse, toujours sur nos côtes, la moule bleue, espèce indigène, devrait voir ses populations fortement décliner à l'horizon 2100 du fait du réchauffement. Le déclin des moules aurait des conséquences importantes pour les mytiliculteurs, mais aussi sur leurs écosystèmes. En effet, les coquillages constituent souvent des espèces-ingénieurs qui exercent de fortes interactions avec leurs milieux, en étant à la fois des proies et des prédateurs.

Dans le cadre de mes recherches, je tente de comprendre les mécanismes moléculaires qui fondent les réponses populationnelles aux changements d'environnement. L'écophysiologie permet d'analyser des phénomènes sur plusieurs échelles d'intégration. Cette discipline permet de comprendre la manière dont les stress environnementaux peuvent toucher les fonctionnements biologiques à l'échelle moléculaire ou cellulaire.

Nous constatons par exemple une accélération du vieillissement des coquillages, visible au niveau des télomères situés aux extrémités des chromosomes. Comme les huitres, l'être humain possède des télomères, qui peuvent être affectés par différents stress environnementaux. Alors que nous pouvons vieillir plus vite à cause du tabagisme, les huitres vieillissent de la même façon lorsqu'elles sont exposées à des milieux plus chauds.

De ce fait, l'intensification du réchauffement climatique est susceptible d'accélérer le vieillissement des huitres. En outre, les télomères altérés peuvent être transmis aux générations suivantes par la voie des gamètes. Les nouvelles générations vieilliraient plus vite, au fur et à mesure du réchauffement. Le stress climatique devenant chronique, nous pourrions aboutir à un emballement du phénomène. Des jeunes pourraient perdre leur résilience à tout autre stress environnemental. Nous arriverions alors à un point de bascule qui entrainerait le déclin des populations concernées.

Pour autant, ce phénomène n'est pas irréversible. Nous avons donc tout intérêt à mener des recherches sur ces coquillages pour comprendre l'emballement de leurs mécanismes de vieillissement et l'éviter. Il existe en effet différentes enzymes susceptibles de réparer les télomères.

En prenant le temps de comprendre le fonctionnement des espèces, nous pouvons espérer trouver des solutions adéquates aux problèmes qu'elles peuvent rencontrer.

Dans cette optique, l'IFREMER entreprend un projet encourageant autour de l'huitre plate, l'espèce d'huitre indigène historiquement présente sur nos côtes. Stéphane Pouvreau, biologiste à l'IFREMER, participe à la réintroduction de cette espèce en rade de Brest.

Or cette espèce forme des récifs qui n'ont rien à envier aux récifs coralliens de Nouvelle-Calédonie. Elle structure une biodiversité absolument remarquable. Ainsi, les premiers travaux de réintroduction ont bénéficié de manière époustouflante à d'autres espèces qui dépendent de cette huitre pour vivre et pour se développer.

Ce projet donne donc des signaux relativement encourageants. Dès lors que nous apportons des connaissances scientifiques à des acteurs décisionnaires locaux, des mesures de conservation adéquates peuvent être prises, qui prennent en compte la résilience des écosystèmes, qui peuvent reprendre le dessus face à des difficultés. Je souhaitais conclure sur ce message positif. Pour autant, cette résilience n'est pas infinie et le fait de pousser des écosystèmes jusqu'à des points de bascule peut générer des conséquences irrémédiables.

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