Intervention de Cédric Marteau

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 10 novembre 2022 à 9h45
Audition publique sur les conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité

Cédric Marteau, directeur du pôle de la protection de la nature au sein de la LPO :

La planification est un enjeu essentiel. L'empilement de politiques publiques sans planification et sans projection vers des horizons relativement longs, tels que 2050 ou 2070, peut effrayer.

Je souligne dans chacune de mes interventions que l'équilibre à trouver entre la transition énergétique et la préservation de la biodiversité est un sujet d'actualité majeur. Le climat ne doit pas prendre le dessus sur le vivant. Nous devons respecter cet équilibre pour réussir à freiner la chute de la biodiversité et assurer la survie de l'humanité, une mission qui nous incombe à tous, dans le cadre de nos fonctions respectives.

Avec la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables récemment votée, nous constatons que les enjeux du climat sont bien appréhendés par chacun. Un effort important des citoyens, des parlementaires et des pouvoirs publics se porte sur cette politique. Néanmoins, la conservation de la biodiversité semble un peu en reste.

Or, même si elle est nécessaire, il ne faudrait pas que la transition énergétique s'opère au détriment de la biodiversité. Pour illustrer ce propos, je me plais à citer une formule souvent utilisée par les militaires : « mission réussie, 100 % d'échec ». Nous pourrions réussir la transition du bouquet énergétique, tout en provoquant une destruction du vivant telle que l'ensemble ne serait pas un progrès... Nous ne pouvons pas envisager une transition énergétique qui s'appuie uniquement sur des « coeurs de nature », tels que les sites qui ont été présentés. Ces sites sont fragilisés, même s'ils constituent les derniers bastions de biodiversité, aident les espèces à essaimer et contribuent à maintenir un certain équilibre.

La chute de la biodiversité représente une menace commune. En particulier, l'OMS elle-même souligne que le virus de la grippe aviaire H5N1 générera potentiellement la prochaine grande pandémie. C'est pourquoi je pense que chacun de nous doit s'interroger et apprendre à douter. La science présente quelques certitudes, complétées au fur et à mesure des travaux. Quoi qu'il en soit, il est certain aujourd'hui que la profession agricole et les personnes qui s'intéressent à la biodiversité, et notamment à celle de l'avifaune, partagent une mission commune. Cette mission doit être menée de manière collégiale. La crise de H5N1 qui persiste depuis mai 2021 a conduit à l'abattage de 47 millions de volailles, sans qu'il y ait maîtrise de l'épidémie. Contrairement aux prévisions des épidémiologistes, nous n'avons pas connu de rupture dans cette crise, malgré un été particulièrement chaud. Le virus n'a pas du tout été arrêté et il pèse fortement sur l'élevage européen et français. En outre, 68 % des foyers européens de grippe aviaire se situent en France. Nous avons donc une responsabilité importante pour résoudre cette crise. Il importe notamment que la grippe aviaire n'envahisse pas notre environnement en gagnant un pouvoir de transmission par voie d'aérosols. Ceci rendrait l'épidémie incontrôlable et nous contraindrait de vivre avec elle.

La filière de la volaille se trouve en difficulté. Il est annoncé pour les fêtes de Noël de probables pénuries de différentes volailles ou des productions qui s'y rapportent. Ces prédictions se réaliseront certainement, car la crise atteint un tel degré que les éleveurs ne se trouvent plus en mesure de reconstituer leurs élevages, intensifs ou extensifs. Mesdames et messieurs les parlementaires, nous devons absolument éviter d'en arriver là.

Nous pouvons nous appuyer sur de nombreux travaux d'épidémiologistes et sur une documentation abondante qui comprend notamment un beau livre de François Moutou. Dans Des épidémies, des animaux et des hommes, paru en 2020, il s'intéresse très précisément aux zoonoses.

Il faut aussi signaler que les oiseaux stressés s'avèrent davantage sensibles au virus H5N1. Ce stress est alimenté par leur concentration. Dans la faune sauvage, les oiseaux génèrent des hormones de stress puissantes lorsqu'ils doivent nourrir leurs petits. Cet été, dans le Trégor, une colonie de fous de Bassan en période d'élevage a été décimée. Il convient donc de déconcentrer les élevages. Dans cette optique, il faudrait changer de modèle et accompagner cette transition pour aboutir à des élevages plus extensifs. L'élevage en plein air n'est pas un problème. Nous devons y tendre. Il nous faudra probablement revenir à un schéma de production local, territorialisé sur une petite échelle. La crise actuelle de la volaille est forte, parce qu'elle touche la Vendée où se situent tous les éclosoirs qui alimentent les élevages à l'échelle nationale. Les élevages ne peuvent donc plus être alimentés en petits. Certes, nous pourrions recourir à la production de pays étrangers, notamment d'Asie. Je vous laisse apprécier ce choix, qui peut être discutable... Cependant, nous pourrions aussi disperser le système de production dans nos territoires. Des démonstrations sont réalisées autour de cette solution. Cette action très concrète permettrait de répondre à la crise de la volaille. Dans ce cadre, il importe d'accompagner la profession, sans jeter de regard négatif sur certains schémas de production. Il s'agit seulement d'indiquer aux éleveurs des possibilités et des orientations.

Nous avons alerté le ministre de l'agriculture au sujet de la grippe aviaire, après avoir longuement échangé avec lui dans le cadre d'une commission nationale qui s'intéresse aux zoonoses, où je siège. En tout état de cause, nous devons prendre très au sérieux cette crise, qui se trouve toujours devant nous.

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