Intervention de Philippe Grandcolas

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 10 novembre 2022 à 9h45
Audition publique sur les conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité

Philippe Grandcolas, directeur adjoint scientifique de l'Institut Eìcologie et environnement (INEE) du CNRS :

Des techniques scientifiques de préservation existent depuis de nombreuses décennies. Les grands musées d'histoire naturelle accomplissaient déjà autrefois cette mission et ils la poursuivent aujourd'hui. Ces techniques sont complétées par d'autres informations, dont des informations génomiques. Elles sont d'abord utilisées pour un but scientifique de recherche générale, mais peuvent aider à comprendre les mécanismes qui gouvernent la génération de la biodiversité, la façon dont les espèces apparaissent et s'adaptent.

Les banques de données génomiques peuvent aussi être utilisées d'autres façons. La convention de l'ONU sur la diversité biologique s'appuie sur trois piliers thématiques, à savoir la conservation, la gestion durable et le partage des avantages. Le partage des avantages renvoie notamment aux « ressources génétiques ». Ainsi, les pays détenteurs d'une biodiversité donnée pourraient demander que les avantages liés aux connaissances acquises grâce à leur biodiversité puissent leur procurer des avantages matériels. Ce principe conduirait par exemple à rétribuer les pays dont la biodiversité permet de séquencer un gène associé à une utilité particulière, qui donne lieu à l'exploitation d'un brevet.

Les études génomiques commencent à être concernées par ce principe. Une négociation est en cours à ce sujet depuis plusieurs années et continuera lors de la COP15 sur la biodiversité organisée à Montréal. Cette COP présente donc des enjeux importants sur le plan juridique. D'une part, cette application du partage des avantages menace la science ouverte. Certaines données pourraient ne plus être disponibles pour tous, y compris pour les scientifiques. D'autre part, ce principe permet de réguler les utilisations sauvages de données scientifiques qui pourraient être réalisées par certains groupes industriels.

Le problème de la biodiversité est complexe. Nous nous trouvons devant des systèmes qui suivent leurs propres dynamiques. À ces dynamiques, nous avons superposé celles de nos activités et des changements globaux humainement induits. Nous peinons déjà à déterminer des trajectoires de la biodiversité à l'échelle de quelques décennies ou d'un siècle en reliant des modèles prévisionnels climatiques et écosystémiques. J'ai donc tendance à penser que l'introduction d'espèces génétiquement modifiées dans les écosystèmes ne présente pas nécessairement d'avantages. Elle présenterait même plusieurs risques.

Sans être exagérément optimiste ou apeuré, il convient de rappeler que l'introduction d'espèces modifiées par forçage ou par modification génétique plus classique présente deux risques. Le premier est un risque de mal-adaptation. En effet, la plupart du temps, les organismes modifiés en laboratoire ne présentent pas une grande vitalité en milieu naturel et les modifications apportées sont contre-sélectionnées au bout de quelque temps. Par exemple, le maïs Bt produit une toxine contre des ravageurs, qui y sont très vite devenus résistants, alors que cette espèce de maïs n'est pas extraordinairement productive. Sur un plan opérationnel, ce genre de modification génétique n'apporte souvent pas grand-chose en termes de production alimentaire.

L'introduction d'espèces modifiées peut aussi générer des « pollutions génétiques » auprès d'espèces apparentées, dans le milieu naturel : leurs gènes peuvent être transférés à ces espèces apparentées. Par exemple, un gène de résistance à certains herbicides systémiques a été transmis à des adventices qui menacent les cultures.

Dans la situation complexe où nous nous trouvons, alors que nous peinons à mesurer le potentiel d'évolution des espèces pour prendre les bonnes décisions, il convient d'appliquer une forme de principe de précaution en matière de génomique. Il ne faudrait pas introduire des données supplémentaires au problème.

Les données génomiques existantes, produites en grand nombre grâce aux améliorations des méthodes de la biologie moléculaire, restent extrêmement intéressantes. Elles permettent d'étudier les potentiels d'adaptation de certaines espèces à des changements environnementaux. Pour le moment, modifier des génomes d'espèces pour les introduire en milieu naturel ne présente pas de grand intérêt, mais plutôt différents désavantages.

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