Intervention de Florian Roussel

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 11 janvier 2023 à 10h20
Audition de Mm. Christian Vigouroux et florian roussel auteurs du rapport sur la lutte contre les discriminations dans l'action des forces de sécurité intérieure

Florian Roussel, auteur du rapport sur la lutte contre les discriminations dans l'action des forces de sécurité :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d'abord à vous remercier de cette invitation à venir nous exprimer devant vous aujourd'hui.

Pour ma part, je vais exposer trois pistes de réflexion que nous avons longuement développées dans le rapport. La première porte sur l'évolution des rapports entre les forces de sécurité intérieure et la société civile ; la deuxième concerne l'évolution du traitement administratif et disciplinaire des faits de discrimination commis par les agents ; la troisième a trait à une proposition spécifique au droit pénal.

Sur le premier point, nous constatons, dans le rapport, que, ces dernières années, les relations se sont distendues entre les forces de gendarmerie et surtout de police et les représentants de la société civile, la plupart des principales associations, les avocats, les enseignants-chercheurs spécialisés. Un de nos interlocuteurs a parlé de la police nationale comme d'une « forteresse assiégée ». Les termes ne sont pas anodins.

Les causes sont multiples - il serait trop long de les évoquer ici -, mais il est évident que cette situation n'est pas satisfaisante. Nous avons esquissé plusieurs pistes pour essayer d'y remédier.

M. Vigouroux a déjà évoqué deux pistes importantes : l'élaboration de guides communs entre l'administration et les associations et l'ouverture des jurys de recrutement. Je veux en mentionner trois autres.

La première est le recours plus fréquent aux référents spécialisés au sein de la police et de la gendarmerie, sur le modèle des référents LGBT qui travaillent à la préfecture de police, mais qui, dans certaines circonscriptions, ne sont pas suffisamment valorisés, alors qu'ils peuvent notamment jouer le rôle d'interlocuteur privilégié des associations. Ce n'est pas spécifique à la France : au Royaume-Uni, par exemple, on compte beaucoup sur de tels interlocuteurs. Certaines associations - je pense notamment à une association de défense des droits des Roms - nous ont fait savoir qu'elles étaient très intéressées par l'existence d'un interlocuteur dédié sur ces questions.

La deuxième piste est l'animation de formations à destination des forces de l'ordre par des représentants associatifs ou des avocats. Cela existe déjà, mais devrait probablement être approfondi. D'autres thèmes de formation pourraient être abordés, comme les comportements associés à certaines cultures. Cela existe à l'étranger, notamment en Allemagne, afin de prévenir certaines maladresses ou certaines formes de stigmatisation par les forces de l'ordre lors de leurs échanges avec les populations concernées.

Troisièmement, la proposition de créer un Observatoire des discriminations, auquel seraient associés les représentants associatifs, vise à mieux évaluer le phénomène. Il existe aujourd'hui des carences statistiques. Nous avons essayé de recouper les signalements de discrimination. Tous signalements confondus, nous en avons trouvé 12 000 sur une année, quand les enquêtes de victimation révélaient que 7 % des plus de 14 ans avaient déclaré avoir été victimes de tels faits au cours des deux dernières années. Cet écart colossal soulève différentes questions et montre, entre autres, un problème d'évaluation statistique, notamment pour le ministère de la justice, compte tenu des difficultés à recenser les plaintes sur le sujet. Il apparaît important que les différents services mettent en commun leurs informations et échangent entre eux, en lien avec les associations, afin d'obtenir des données communes aussi consensuelles que possible sur le sujet.

Il y aurait beaucoup à dire sur le traitement administratif et disciplinaire des faits de discrimination. Il y a, aujourd'hui, une vraie volonté de la hiérarchie de mieux traiter ces faits lorsqu'ils sont constatés, à la fois en faisant remonter les signalements - c'est tout l'objet des plateformes de signalisation en ligne -, mais aussi en menant des investigations approfondies et en sanctionnant les coupables. Il n'y a sûrement pas d'impunité en la matière.

Cependant, différentes pistes nous paraissent devoir être envisagées pour adapter encore mieux cette réponse disciplinaire. Ce sont des pistes que nous avons bien sûr centrées sur notre domaine précis d'analyse, à savoir les discriminations dans la police et la gendarmerie, mais c'est peut-être un constat plus général au sein de la fonction publique.

Les mesures de suspension conservatoire - je parle en particulier des faits internes aux services - ne sont pas prononcées aussi régulièrement qu'elles devraient l'être, notamment lorsque les faits - de harcèlement sexuel, par exemple - ont un lourd retentissement psychologique pour la victime. De même, nous nous sommes étonnés que les signalements au parquet soient aussi peu fréquents, alors que les faits de discrimination constituent très souvent des crimes ou des délits.

À l'inverse, lorsqu'une procédure pénale a été engagée à la demande de la victime, il est parfois regrettable que l'administration attende l'issue de cette procédure pour engager des poursuites disciplinaires, alors que les deux procédures pourraient aller de pair. Il n'y a pas besoin d'attendre que le pénal tienne le disciplinaire en l'état. Au reste, cela pourrait valoir pour beaucoup d'autres administrations.

Nous avons parfois relevé des faits assez sérieux de discrimination dans les écoles de formation des policiers et des gendarmes et nous nous sommes étonnés de la réponse qui leur a été donnée. Dans certains cas, il n'y a pas eu de mesures d'exclusion définitive alors que les faits révélaient une inaptitude de l'élève à exercer les fonctions. Plus généralement, dans un certain nombre de dossiers, nous nous sommes interrogés sur la légèreté de la sanction qui avait pu être prononcée : un simple rappel à la loi, alors que les faits de discrimination paraissaient assez sérieux. Nous en citons quelques exemples précis dans le rapport.

Il est frappant que, pour les discriminations internes aux services, ce soit, dans bien des cas, la victime elle-même des faits de discrimination qui ait dû partir dans une autre circonscription de police. Si l'auteur des faits a parfois été sanctionné, il est resté en fonction, à son poste. Le message envoyé n'est pas satisfaisant. Ce constat général vaut aussi en ce qui concerne les faits de discrimination commis à l'égard des tiers.

Les signalements sont parfois directement gérés par les circonscriptions de police. C'est normal : ils sont nombreux. Nous nous sommes cependant étonnés d'un traitement parfois très succinct, alors que les faits remontés étaient assez précis. On ne peut se contenter de répondre que la plainte est trop succincte, surtout lorsque celle-ci fait état d'injures racistes ou antisémites lors d'un contrôle de police. On ne peut se contenter de répondre que le contrôle était justifié et que la personne contrôlée était en infraction au code de la route. D'autres réponses ont pu nous sembler maladroites, notamment dans certains cas d'accusations d'injures homophobes, ou minimiser la réalité des faits.

J'ajoute que, sur ce sujet, nous avons comptabilisé 36 signalements en quelques années de la part du Défenseur des droits. Aucun n'a donné lieu à des poursuites disciplinaires. Cela paraît étrange dans la mesure où il semblait parfois exister des éléments.

Il ne faut pas non plus sous-estimer la problématique des lanceurs d'alerte. Il est tout à fait logique qu'ils soient poursuivis sur le plan disciplinaire si des faits leur sont reprochés, mais, dans certains cas - je pense à deux d'entre eux en particulier -, le traitement administratif qui leur a été réservé a pu nous sembler plus sévère que celui qui avait été réservé aux personnes qu'ils dénoncent. Cela nous a interrogés.

Dernier point que je veux évoquer : l'adaptation du droit pénal. Notre proposition principale porte sur l'injure non publique commise par les personnes dépositaires de l'autorité publique. Actuellement, que son auteur en soit policier ou non, une injure non publique est passible d'une contravention de cinquième classe, punie de 1 500 euros d'amende. Lorsque l'injure est publique, elle devient un délit, passible d'un an de prison et de 45 000 euros d'amende. Le distinguo entre injure publique et non publique et très subtil - je ne reviens pas sur la jurisprudence très développée de la Cour de cassation. Mais, lorsqu'il s'agit d'actes commis par des personnes dépositaires de l'autorité publique, cette distinction n'apparaît pas toujours pertinente. Est-il plus grave pour un policier de proférer une injure raciste dans la rue ou dans un fourgon de police ? On pourrait penser que les deux faits appellent la même réponse pénale.

De même, la presse s'est fait l'écho, ces dernières années, de plusieurs affaires assez lourdes d'injures racistes ou antisémites répétées sur les réseaux sociaux, avec un fort retentissement, une vraie atteinte à l'image de l'institution et au devoir d'exemplarité de l'agent et, parfois, des sanctions disciplinaires lourdes, jusqu'à la révocation. Ces faits n'ont pourtant donné lieu qu'à une poursuite devant le tribunal de police pour simple contravention.

Enfin, dans la mesure où les faits d'injures non publiques à l'encontre d'une personne dépositaire de l'autorité publique constituent à très juste titre un délit, on ne peut s'empêcher de penser que la réciproque devrait être vraie.

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