Qu'il me soit tout d'abord permis, à l'aube de cette année nouvelle, de vous souhaiter le meilleur à toutes et à tous.
J'ai l'honneur de vous présenter le résultat de huit mois de travail, issu des États généraux de la justice. Ces États généraux sont singuliers en ce qu'ils constituent un exercice démocratique inédit au cours duquel nos compatriotes ont été invités à s'exprimer sur leur justice. Ils l'ont fait par le truchement de la plateforme parlonsjustice.fr qui a recueilli un million de contributions. J'ai parcouru la France à la rencontre de nos concitoyens et les juridictions ont organisé des portes ouvertes qui leur ont permis d'échanger avec les magistrats et les greffiers. Les Français nous ont dit que la justice était trop lente et trop complexe.
Nous avons organisé une très large consultation des professionnels. Il y a d'abord eu le comité des États généraux de la justice présidé par Jean-Marc Sauvé, comité transpartisan auquel vous avez participé, monsieur le président, ainsi que la présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale et qui comprenait également les deux plus hauts magistrats de ce pays, des universitaires et des avocats. Des ateliers ont également été mis en place sur des thématiques différentes comme la procédure civile, la procédure pénale ou la justice économique et sociale. Le 8 juillet 2022, Jean-Marc Sauvé a remis son rapport au Président de la République, ainsi que les annexes, et nous sommes entrés dans le vif du sujet en organisant deux concertations, l'une en juillet, l'autre à l'automne dernier. À cette occasion, j'ai rencontré tous les acteurs du secteur.
Les professionnels nous ont dit que la justice manquait de moyens, ce que nous savions déjà ; qu'ils avaient besoin d'une pause législative, les textes trop nombreux rendant le droit trop complexe ; et que le ministère devait réorganiser les relations entre l'administration centrale et les juridictions locales. Un exemple suffit à illustrer le problème : pour commander quatre armoires dans une juridiction, il faut passer par l'administration centrale, ce qui prend du temps, de sorte que l'on ne peut pas apporter de réponse immédiate à ceux qui ont les mains dans le cambouis. Il faut donc autonomiser les juridictions locales et faire confiance aux acteurs de terrain. Cela vaut aussi pour l'informatique et, à ce sujet, je souhaite que chaque juridiction soit dotée d'un technicien informatique, car ce n'est pas la direction des services judiciaires qui peut réparer une bécane qui plante, si je puis le dire ainsi.
La dernière singularité de cette réforme, c'est que des moyens supplémentaires lui sont adossés.
Nous avons porté 60 propositions concrètes et, là encore, de manière inédite, ces mesures sont consensuelles. Non pas que le garde des sceaux et son équipe aient cédé à tout, mais nous avons beaucoup écouté les acteurs sur le terrain. Nous reprenons d'ailleurs dix des seize propositions que vous aviez réaffirmées lors de l'Agora de la justice en septembre 2021.
Vous avez voté récemment le budget de la mission « Justice ». Nous avons embauché 700 magistrats, 850 greffiers et 2 000 contractuels. Le budget a connu une hausse de 8 % sur trois années consécutives, depuis que je suis ministre, et il a augmenté de 44 % depuis qu'Emmanuel Macron est Président de la République. Nous allons désormais mettre en place le plan d'embauche de 1 500 magistrats et 1 500 greffiers que vous avez mentionné en introduction. Le reste des recrutements se dessinera de façon plus précise au fil de l'eau et concernera les assistants de justice et les contractuels. En effet, nous avons constaté que leur recrutement avait été bénéfique dans toutes les juridictions, de sorte que la circonspection initiale s'est transformée en une forte demande de leur pérennisation. Ces contractuels, dont 1 000 ont été envoyés au pénal et 1 000 au civil, ont permis un déstockage massif des dossiers, soit 25 % du stock aux affaires familiales, par exemple. D'où l'idée de les institutionnaliser et de les pérenniser dans l'équipe autour du magistrat.
Le budget devrait augmenter jusqu'à 11 milliards d'euros d'ici à la fin du quinquennat, ce qui représente en cumulé 7,5 milliards d'euros alloués à la justice. Les objectifs sont clairs : nous voulons embaucher, construire des établissements pénitentiaires, moderniser et agrandir les palais de justice, numériser la justice et revaloriser les agents du ministère.
La qualité de vie au travail est un sujet important. Les magistrats et les greffiers sont en difficulté. Le référentiel « charge de travail » que l'on avait créé dans les années 2010 a été, pour ainsi dire, mis sous le tapis avec la poussière. La justice a été abandonnée pendant des décennies. Nicole Belloubet a ressorti cet outil, en 2019, et j'ai accéléré sa mise en place. Nous pourrons l'expérimenter, très prochainement, dans cinq juridictions, ce qui nous donnera une vision claire, nette et précise des besoins. En attendant, j'ai lancé un appel à tous, syndicats et responsables du ministère, pour mettre en place un accord-cadre inédit sur la qualité de vie au travail. Il est temps de régler les difficultés auxquelles sont confrontés les magistrats et les greffiers.
En ce qui concerne l'organisation, il faut favoriser la déconcentration. Tout ne doit pas remonter à Paris : c'est là un voeu des magistrats. Par exemple, un arrêté de congé maternité peut tout à fait être signé au niveau régional plutôt que par le ministère. Idem pour la gestion des moyens informatiques. Il faut aussi redéfinir les compétences du secrétariat général et de la direction des services judiciaires, car la confusion est trop grande.
Le défi numérique, c'est de viser le zéro papier à l'horizon 2027. C'est ambitieux, mais les juridictions administratives ont réussi à le faire. Il faut un outil unique sur lequel magistrats, avocats et greffiers pourront travailler. Parmi les autres priorités, il y a le renforcement de la sécurisation du réseau, l'accélération des logiciels, ainsi que l'envoi d'un technicien dans toutes les juridictions pour régler au jour le jour et heure par heure les difficultés éventuelles.
Où trouver le vivier nécessaire au recrutement ? Nous souhaitons simplifier les conditions d'accès à la magistrature - il en existe sept aujourd'hui -, en préservant l'excellence des recrutements. Nous souhaitons en particulier élargir les passerelles accessibles aux avocats. On aura aussi nécessairement besoin de magistrats exerçant à titre temporaire (MTT) et de magistrats honoraires dans le cadre des procédures amiables. La formation à l'École nationale de la magistrature (ENM) devra prendre en compte la dimension éthique liée à la profession. Je veux ouvrir l'école, afin qu'on y enseigne aussi le management d'équipe, la médiation et des sujets concrets : pourquoi ne pas envisager qu'un plombier vienne expliquer aux élèves ce qu'est l'artisanat ? Je souhaite aussi que les futurs magistrats rencontrent nos compatriotes les plus défavorisés. Il faut de l'éclectisme dans cette formation, car l'un des griefs que l'on fait aux magistrats est souvent d'être jeunes...
Il convient également de séparer le grade de l'emploi. Pourquoi la cour d'appel devrait-elle se priver d'un magistrat qui a mérité un grade supérieur, comme c'est le cas aujourd'hui ? Le rapport Sauvé insiste sur la qualité des décisions en première instance. En outre, l'équipe autour du magistrat permet de juger plus vite, en préparant la jurisprudence et le jugement ; elle contribue aussi à régler un certain nombre de problèmes comme la solitude du magistrat et la perte de sens du métier ; enfin, elle constitue un vivier pour le recrutement de futurs magistrats.
Nous souhaitons également lancer une réflexion sur la responsabilité des magistrats. En accord avec le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), nous avons mis en place une expérimentation pour évaluer les chefs de cour et de juridiction.
Il faut une organisation plus réactive en matière de ressources humaines. Ainsi, nous avons créé une sorte de brigade de l'urgence qui oeuvrera notamment à Cayenne et à Mamoudzou, où l'on constate un problème d'attractivité. Des magistrats en poste en métropole ont été sollicités pour aller y exercer six mois et un jour - cette durée a son importance pour des raisons fiscales. Le CSM a donné son accord et j'ai rencontré les volontaires : il y en avait plus que de postes à pourvoir.
Le deuxième impératif est celui de la proximité. Je souhaite que le ministère développe une application pour les smartphones, qui pourra, dès le mois d'avril prochain, faciliter l'accès de nos concitoyens à la justice, en leur fournissant des informations : il pourra ainsi y avoir un simulateur pour le calcul des pensions alimentaires, une page rappelant les barèmes et les critères de l'aide juridictionnelle, un système de géolocalisation permettant de trouver le tribunal compétent, le point de justice le plus proche, ou d'avoir accès à un avocat ou à un notaire. À partir de 2024, nous irons plus loin et une victime pourra demander une indemnisation devant le tribunal correctionnel ou faire une demande d'aide juridictionnelle.
Pour que les Français puissent mieux connaître leur justice, j'ai souhaité que certaines audiences soient filmées et qu'elles soient diffusées avec la pédagogie et le recul suffisants. Il faut aussi que la justice soit enseignée dès le collège. Avec le ministre de l'éducation nationale, Pap Ndiaye, nous avons donc mis en place le passeport ÉducDroit, grâce auquel les élèves pourront apprendre ce que sont la justice et la République : peut-être cela évitera-t-il certains cas de délinquance ?
Nous souhaitons surtout relancer la politique de l'amiable. Le projet relève du domaine réglementaire, mais je souhaite associer étroitement les parlementaires à cette politique de l'amiable que je lancerai le 13 janvier prochain. Elle existe déjà sous la forme des modes amiables de règlement des différends (Mard), au travers des conciliateurs et des médiateurs. Un conseil national de la médiation existe, mais on y a peu recours.
Nous nous sommes inspirés de ce qui se fait à l'étranger, notamment aux Pays-Bas, où le contentieux civil, deux fois supérieur au nôtre, est traité en deux fois moins de temps. En France, dans le cadre d'un procès en responsabilité, il faut aujourd'hui d'abord décrire les faits de part et d'autre pour engager la mise en état ; puis les avocats échangent leurs conclusions et il y a au moins un ou deux renvois... Les justiciables ne comprennent pas ces renvois et n'en peuvent plus, sauf, bien entendu, celui qui est dans une démarche dilatoire. Le juge n'intervient qu'à la fin de cette très lourde mise en état, ce type de procès durant en moyenne deux ans. Or quand on touche à des affaires qui relèvent de l'intime, comme le droit de visite, le droit d'hébergement ou bien une question de filiation, ce délai est infiniment long.
Dans le système que je souhaite mettre en place, le juge intervient pour trancher la question de droit, avant cette mise en état dont la longueur est insupportable ; une fois celle-ci tranchée, il invite les parties à trouver un accord. Cette intervention du juge pour prononcer un jugement bien en amont évite l'appel. Ce système permet de recentrer le juge sur son coeur de métier, à savoir dire le droit, tout en laissant les parties s'arranger sur les indemnités, de sorte que les avocats sont pécuniairement valorisés, dans le cadre de l'aide juridictionnelle. La réduction des délais va du double au simple, de sorte qu'il me semble qu'il n'y a pas à hésiter.
Les syndicats de magistrats semblent prêts à valoriser ce type de procédure qui a l'avantage de la simplicité. De plus, un justiciable acceptera beaucoup mieux une décision de justice à laquelle il aura participé plutôt que si elle lui est imposée. « Une bonne décision de justice est une décision qui enferme toutes les parties », disait un de mes vieux amis avocats, aujourd'hui décédé. Le juge qui rend le jugement sera aussi celui qui homologuera l'accord et nous imposerons d'aider les cours dans le cadre de l'homologation, afin que celle-ci se fasse très rapidement.
Une autre procédure existe, issue du Canada, qui est celle du règlement amiable. Les parties demandent d'emblée une conciliation et le juge, dans une salle qui n'est pas la salle d'audience, car la symbolique est importante, devient en réalité un juge de paix. Il enlève la robe et devient conciliateur, en conservant toutefois l'aura du juge. Si cela ne fonctionne pas, on revient au procès traditionnel, mais avec des délais plus longs.
Les praticiens m'opposeront qu'on perdra du temps avec cette procédure. C'est la raison pour laquelle nous voulons embaucher davantage de MTT, car nous souhaitons que ce soit ce magistrat honoraire qui soit le conciliateur à l'origine. Une fois l'accord trouvé, les parties le rédigent et il est homologué dans un délai court. Au Québec, 72 % des procédures de règlement amiable réussissent. Les magistrats québécois nous ont expliqué que la difficulté tenait sans doute à la nécessité d'adopter une nouvelle culture, le juge devant se départir de son imperium de juge pour se mettre au niveau des parties. Toutefois, le jeu en vaut la chandelle.
On garantira ainsi une meilleure rétribution de l'investissement des avocats dans l'aide juridictionnelle. On diversifiera la formation à l'ENM, aux écoles du barreau et à l'école du greffe en vue de ces nouvelles procédures. Enfin, nous envisageons d'impliquer aussi les assureurs, dans le cadre des protections juridiques qu'ils doivent à leurs assurés. En effet, ils pourraient inciter leurs clients à demander d'emblée cette procédure amiable.
Nous ferons connaître cette procédure dès le 13 janvier prochain, afin que chacun puisse s'en emparer et y réfléchir. Il faut aussi tenir compte de ce qui existe déjà. Je me rendrai, vendredi prochain, au tribunal judiciaire de Grasse où un système amiable est en place, qui est particulièrement intéressant. Nous souhaitons codifier l'amiable en regroupant dans un seul chapitre les éléments qui figurent dans le code de procédure civile de manière disparate.
Par ailleurs, nous voulons desserrer l'étau des délais du décret Magendie. C'est une forte demande des avocats auxquels nous demanderons, en parallèle, de structurer les écritures pour répondre à la demande des magistrats. Un travail, dont nous pensons qu'il va aboutir, est en cours entre la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) et le Conseil national des barreaux (CNB). La voie de la requête signifiée doit devenir le mode unique de saisine du juge au civil, avec l'objectif de réduire de moitié les délais d'ici à la fin du quinquennat. La Chancellerie fournira un suivi et des indicateurs et je rendrai compte publiquement une fois par an de l'évolution de nos délais.
En outre, nous prendrons trois mesures non judiciaires et consensuelles pour les plus défavorisés : la possibilité de bénéficier de l'accompagnement social personnalisé, du mandat de protection future ou de l'habilitation familiale sera élargie pour mieux protéger les personnes âgées et leurs familles - le vieillissement de la population nous l'impose. Je veux revenir sur les objectifs de la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs et renforcer ainsi le recours aux mesures non judiciaires de protection. Le but est double : mieux protéger et alléger la charge de travail des magistrats et des greffiers.
En ce qui concerne le conseil des prud'hommes, les moyens d'aide à la décision, les formations et l'indemnisation des conseillers seront renforcés et les candidatures seront assouplies. Sur les questions d'instruction des affaires et d'audiencement, nous souhaitons renforcer les prérogatives des présidents des tribunaux judiciaires et des greffiers. Les délais sont trop longs ; nous devons accentuer, en concertation avec le Conseil supérieur de la prud'homie, la communication entre les conseillers prud'homaux, les magistrats et les présidents de juridictions.
En matière de justice économique, nous prévoyons la codification du droit international privé. Le rayonnement de notre droit participe de celui de notre pays. Le tribunal des activités économiques que nous voulons mettre en place à titre expérimental concernera tous les opérateurs économiques, car l'activité économique ne dépend pas exclusivement des entreprises, mais des sociétés civiles immobilières (SCI), des associations, des professions libérales, des commerçants et artisans, ou encore des agriculteurs, qu'il convient de mieux protéger. Nous envisageons également une contribution financière des entreprises dans les très gros litiges. Cela se fait partout ailleurs et permettrait d'abonder le budget de la justice, en particulier l'aide juridictionnelle. De plus, cela répondrait au « syndrome de la marque », c'est-à-dire l'idée selon laquelle la justice économique française serait moins bonne, car elle est gratuite. Les critères seront définis en étroite collaboration avec le ministère de l'économie et des finances.
Je tiens à vous rassurer, monsieur le président, sur la réécriture par ordonnance du code de procédure pénale à droit constant. Depuis que je suis garde des sceaux, nous avons recouru à ce procédé pour établir le code pénitentiaire et le code de la justice pénale des mineurs, et nous n'avons pas squeezé le débat, au contraire. Nous allons lancer un travail technique de réécriture, complexe, qui nécessite la mise en place d'un comité scientifique regroupant des professionnels de très haut niveau. Lors de ma présentation à la presse, j'ai montré le code de procédure pénale de 1959 et celui de 2003 : la différence de volume est éloquente. Il faut computer les trop nombreux délais : dies a quo, dies ad quem... C'est un casse-tête !