Intervention de Justine Masika Bihamba

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 24 novembre 2022 : 1ère réunion
Table ronde sur les femmes en temps de conflits armés

Justine Masika Bihamba, présidente de l'ONG Synergie des femmes pour les victimes des violences sexuelles (SFVS) :

Merci à tous. C'est pour moi un grand honneur d'intervenir aujourd'hui depuis Goma. Vous voyez les problèmes techniques que nous rencontrons. Notre province du Nord-Kivu partage des frontières avec le Rwanda et l'Ouganda. Les combats ont repris ces jours-ci. La guerre est aux portes de la ville de Goma. Elle m'empêche d'être avec vous ce matin.

Depuis le mois de mai, les affrontements ont repris entre les rebelles du M23 et les forces armées du Congo. Ils ont causé des déplacements massifs de populations. Ils ont coupé la route nationale D, qui approvisionne Goma en vivres et fait la connexion entre le Nord-Kivu et l'Ituri. Elle permet également le trafic entre la RDC et l'Ouganda. La province du Nord-Kivu compte aujourd'hui environ 280 000 déplacés internes, nombre qui s'accroît puisque les combats se poursuivent. Des affrontements ont encore eu lieu hier. Les déplacés vivent dans des conditions inhumaines, dans des camps de fortune, sous la pluie - nous sommes en pleine saison des pluies - mais aussi sous la menace incessante des combats et des maladies à base hydrique, telles que le choléra. Nous pouvons également signaler des pertes humaines. Nos collègues présents sur le terrain parlent déjà d'une dizaine de personnes décédées de maladies, de fatigue ou en raison de conditions inhumaines.

On m'a demandé de parler de la réparation. Je ne peux le faire avant de déclamer mon plaidoyer pour la femme, et pour la paix pour les femmes. Le fonds du Pacte sur les femmes, la paix, la sécurité et l'action humanitaire doit bénéficier aux organisations féminines de la province du Nord-Kivu. L'assemblée générale des Nations unies a adopté ce rapport le 12 septembre 2002. Nous venons de fêter les vingt-deux ans de la résolution « Femmes, Paix et Sécurité », qui parle de la place qu'occupent les femmes dans la résolution des conflits. Vous le savez, ma province est en guerre depuis plus de deux décennies. Certains enfants nés à l'est de la RDC n'y ont jamais connu la paix.

Pour parler de réparation, je me demande même souvent par où prendre le problème. Il faut réparer, certes, mais quoi ? Nous pouvons réparer les corps, mais tous les deux ans, un nouveau pic de violences vient menacer sévèrement les populations. Les femmes risquent leur vie au quotidien en allant simplement chercher de l'eau, de la nourriture ou en se rendant sur les routes. Alors, comment réparer les esprits, alors même que nous sommes dans un état de choc et de survie depuis plus de vingt ans ? C'est toute une génération qui n'a jamais connu la paix. Certains jeunes âgés de 20 ans n'ont jamais eu la chance de passer la nuit dans une maison. Ils doivent se déplacer quotidiennement dans des camps de fortune pour protéger leur vie. Réparer les âmes, alors que la violence et la mort attendent nos enfants au détour d'une forêt ? Existe-t-il une possibilité de résilience quand tous les efforts de réparation peuvent s'effondrer en quelques heures ? Réparer les institutions gangrenées par la corruption, par la soif de pouvoir, soutenues par le détournement et par des industries internationales qui ferment les yeux, voire financent les pratiques qui desservent nos sociétés pour des profits individuels ? Ainsi, il est parfois difficile de croire aux possibilités de réparation.

J'aimerais tout de même évoquer deux points devant vous ce matin : la prise en charge des victimes et l'indemnisation. Pour la prise en charge globale des victimes de violences sexuelles, je crois que mes prédécesseurs ont beaucoup parlé de la République Démocratique du Congo, et surtout de la province du Nord-Kivu, d'où je viens. J'insisterai donc sur l'indemnisation, qui reste un défi important dans l'accompagnement des victimes. Il est vrai que lorsque des fonds ont été mis à profit des victimes, nous avons cru qu'ils constitueraient pour elles un soulagement. Pourtant, après le projet pilote établi par le Docteur Mukwege et Nadia Murad, les victimes d'autres provinces n'ont pas bénéficié de cet argent. Du côté du gouvernement, nous attendons une loi pour que les fonds soient opérationnels. Elle traîne. Nous n'avons toujours pas de solutions de ce côté. Malgré les progrès observés, nous ne pouvons donc pas parler de réparation des victimes de violences sexuelles, parce que de nombreuses actions ne sont pas adaptées. Je crois que nous devons parler de réparation lorsqu'il y a la paix.

J'aimerais vous poser une question. Combien d'entre vous ont des enfants ? Combien peuvent nous aider ? Nous ne pouvons apporter la réparation sans votre aide. Parmi nous, beaucoup vont répondront hâtivement qu'ils vont nous aider, mais je vous demande des actes, tout au long de notre parcours. Ce sont eux qui illustreront votre soutien.

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