Intervention de Catherine Bourdès

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 24 novembre 2022 : 1ère réunion
Table ronde sur les femmes en temps de conflits armés

Catherine Bourdès, commissaire générale, haute fonctionnaire à l'égalité des droits au ministère des armées :

Merci de nous accueillir dans ce lieu magnifique et de nous permettre d'évoquer cette question, qui tient beaucoup à coeur au ministère des armées. Je remercie également Mme Billon d'avoir rappelé que les femmes ne sont pas que des victimes, et je suis très heureuse que cette table ronde nous permette d'en parler. Car nous sommes également actrices de la lutte contre les violences, nous sommes aussi des guerrières et sommes aussi là pour résoudre les conflits. C'est là que je rejoins la première intervenante, qui a évoqué la résolution 1325 : il est essentiel que nous contribuions à la résolution des conflits. Pour ce faire, nous devons être présentes dans les armées qui vont porter ces solutions sur le terrain. Ainsi, les armées occidentales, qui forment une partie des bataillons de l'ONU, doivent être aussi composées de femmes, et de femmes à un bon niveau de responsabilité. La culture de la mixité doit y être suffisamment imprégnée pour que, sur le terrain, dans des conditions extrêmement difficiles, les armées soient toujours en capacité de l'appliquer et de la faire respecter.

S'agissant de la place des femmes dans les armées, nous avons, en Europe, toutes bénéficié des efforts déployés dans la société civile. Les armées sont le reflet de notre société. Tout ce qui a été mis en oeuvre en faveur de l'égalité professionnelle ou du droit des femmes a eu des effets dans les armées. Vous avez cité des dates assez récentes. J'en rappellerai moi-même une autre. En 1972, les hommes et femmes ont eu un statut unique dans les armées. Jusqu'à cette date, nous étions égaux, mais séparés À compter de 1972, les mêmes règles, soldes, obligations et droits se sont appliqués aux hommes et aux femmes. Il s'agit de l'élément fondateur de la féminisation des armées. Depuis cinquante ans, bien d'autres étapes ont été franchies. Les écoles d'officiers nous ont été progressivement ouvertes entre 1977 et 1993. La suppression des quotas restreignant l'accès des femmes a suivi. Ensuite, la limitation d'accès des femmes à certaines fonctions a été levée progressivement. Je suis entrée dans le commissariat de l'air en 1991 : celui de la marine m'était fermé, car il n'a été ouvert aux femmes qu'en 1993.

Nous avons donc obtenu l'égalité des droits. Pour autant, vous savez tous qu'une égalité de droits ne correspond pas toujours à une égalité réelle. Le ministère s'est attaché à ce que soit inscrite concrètement cette égalité voulue et souhaitée dans les faits. Plusieurs mesures ont alors été prises. D'abord, le ministère a organisé le pilotage du domaine, puis a réalisé que des plans d'action plus précis étaient nécessaires. Pour piloter cette question de mixité au sein du ministère, un poste de haute fonctionnaire à l'égalité des droits entre les femmes et les hommes a été créé. Il s'agit de mon poste. De tels hauts fonctionnaires ont été placés en 2012 dans tous les ministères. Hommes ou femmes, nous sommes missionnés par notre ministre et nous devons nous assurer de la bonne mise en oeuvre du plan d'action gouvernemental en faveur de l'égalité au sein de notre ministère. Nous sommes donc des agents de liaison entre la vision gouvernementale de la mixité et la façon dont elle est intégrée dans les politiques et textes produits. Pour ma part, je suis en poste depuis le mois de septembre 2022, et je travaille avec les équipes d'Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances, sur les questions d'égalité professionnelle. Ensuite, le ministère a créé l'Observatoire de la parité en 2013. Il a pour rôle de détecter les incohérences entre les parcours des hommes et des femmes, de les analyser et de proposer des solutions. Il se réunit chaque année le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, sous la direction du ministre. Toutes les armées, directions et services lui présentent l'état d'avancement de leurs travaux sur la mixité. Vous pouvez constater que le sujet est suivi à très haut niveau dans notre ministère.

Pour autant, même une femme combattante, dans le ministère des armées, peut être confrontée à des violences sexuelles. Celles-ci n'épargnent personne. Certaines femmes sont victimes de situations déviantes, harcèlement ou discrimination. Le ministère a donc créé la cellule Thémis en 2014 : elle permet à tout agent du ministère, civil ou militaire, victime ou témoin de harcèlement sexuel, violences sexuelles, outrages sexistes ou discriminations, de les signaler sans passer par la voie hiérarchique. Pour garantir sa parfaite impartialité, elle a été placée auprès du ministre et est dirigée par un contrôleur général des armées. La maintenir hors de la voie hiérarchique permet de faciliter la libération de la parole. La cellule oriente son activité autour de quatre axes : l'accompagnement de personnels, la prévention avec la mise en oeuvre d'un plan global de formation de l'ensemble des agents, la sanction et la transparence. Créée à l'origine pour traiter la question des violences et discriminations sexistes et sexuelles, elle a évolué dans son périmètre : depuis l'année dernière, elle prend aussi en compte toutes les discriminations telles que l'âge, le handicap ou la religion. Cette cellule est très regardée par nos alliés, qui pour beaucoup dépendent encore des justices militaires et peinent à se saisir de ces sujets. La France fait donc office de modèle, d'inspiration auprès d'eux.

Ces initiatives ont produit d'excellents résultats. L'armée française est devenue la quatrième armée la plus féminisée du monde et la première au niveau européen. Mais aucun progrès n'est jamais gravé dans le marbre : vers 2018, nous avons constaté une stagnation des flux de femmes dans les armées, après le grand élan insufflé par la suppression du service militaire et l'ouverture des armées aux femmes. Le ministère a alors désigné une directrice de projet, la vice-amirale Anne de Mazieux, qui m'a précédée et qui a été chargée de relancer cette dynamique. Elle a mené un travail de terrain très poussé, pendant six mois, pour comprendre pourquoi les femmes engagées partaient, pourquoi elles ne parvenaient pas aux grades sommitaux, pour définir ce qui faciliterait leur carrière au sein des armées. Sur cette base, elle a établi un plan « mixité ». Celui-ci comprend vingt-deux actions en faveur de la mixité, orientées selon trois axes d'effort que sont :

- le recrutement : si le ministère des armées souhaite attirer les femmes, il doit aller les chercher, puisque ces dernières ne s'y dirigent pas toujours spontanément ;

- la gestion de carrière dans le temps, puisque les études ont montré qu'après quelques années de carrière, les femmes quittaient l'armée prématurément, souvent au moment où elles avaient des enfants. Il a fallu leur donner plus de souplesse de gestion pour les convaincre de rester ;

- la valorisation : les armées doivent plus communiquer sur le fait qu'il est possible d'être femme au sein des armées.

Après ce plan important, le ministère a estimé que cette vision de la mixité devait mieux être diffusée au sein des armées. Il a donc été créé un réseau d'un millier de référents, souvent sous forme de binômes d'hommes et de femmes, de civils et de militaires. Ils sont chargés de diffuser cette vision de la mixité, mais aussi d'expliquer la loi et la réglementation, que même dans ce domaine, nul n'est censé ignorer. Surtout, il leur a été donné un rôle de médiateur. Car lorsque les situations arrivent à la cellule Thémis, et sont donc potentiellement portées devant la justice, c'est l'échec de l'information et de la formation des personnels du ministère. Ainsi, les médiateurs ont pour rôle d'éteindre les incendies avant qu'ils ne se propagent. Ils forment et informent les commandants d'unités sur ces questions.

Par ailleurs, le ministère a constaté le manque ou le suivi insuffisant des formations dans ce domaine. Il a donc élaboré un plan de formation sur ces questions, avec pour objectif que chaque agent du ministère, homme, femme, civil ou militaire, reçoive au moins une fois dans sa carrière - dans les quatre ans à venir pour les populations prioritaires - une formation sur cette question.

Les armées offrent également une formation spécifique pour les militaires partant en opération. Ils se retrouvent dans des situations de guerre, et peuvent être confrontés à des violences sexuelles sur le terrain. Nous les formons pour qu'ils soient prêts à agir selon les règles du droit international, qui ont été citées par l'intervenante de la Croix-Rouge.

Les résultats sont très positifs. Aujourd'hui, le ministère compte un peu plus de 34 000 femmes militaires, soit un taux de féminisation de 16,5 %, en progrès. 9,9 % des militaires déployés en opération sont des femmes, chiffre en progrès aussi. Ensuite, 20 % des lauréats du concours d'officiers sont désormais des femmes. Nous créons ainsi un vivier qui sera à terme en position d'autorité, puisqu'il faut environ trente ans pour « fabriquer » un général. L'École de Guerre a même dépassé les objectifs du plan, puisque 13 % des lauréats sont désormais des lauréates.

Par ailleurs, le ministère avait réalisé en 2014 que des situations problématiques étaient soulevées dans les écoles militaires de formation initiale, où certaines jeunes recrues pouvaient manquer de repères en termes de mixité. Les armées y ont affecté des femmes : Saint-Cyr a ainsi doublé le nombre de cadres féminins dans l'école.

Le ministère peut également se féliciter de quelques belles réussites dans les nominations des femmes dans l'armée. Le général de division aérien Dominique Arbiol (F) a dirigé l'école de l'air jusqu'à l'été dernier : c'est une grande première dans l'histoire de l'armée de l'air, depuis sa création en 1935. Depuis le mois d'octobre 2022, l'ingénieure générale de l'armement Laura Chaubard dirige l'École polytechnique. Les femmes commencent ainsi à peser dans la structure.

Enfin, le haut encadrement militaire compte aujourd'hui près de 10 % d'officiers généraux féminins ; sauf erreur, cela confère à la France la première place dans le monde. Les armées ont depuis cet été la première générale cinq étoiles, l'ingénieure générale de classe exceptionnelle Monique Legrand-Larroche, polytechnicienne et inspectrice générale des armées. Cette politique volontariste d'égalité professionnelle a valu au ministère des armées d'être récompensé par le label Afnor Alliance, qui couvre les labels Égalité professionnelle et Diversité.

Pour l'avenir, le ministère reste très engagé. Il continuera à promouvoir la juste place des femmes dans les armées. Quand je dis « juste », je veux dire qu'elles doivent toujours correspondre à leurs compétences, à leur mérite, et à leurs ambitions. Il est indispensable en effet de prendre en compte le souhait des individus. Et il ne faut bien évidemment jamais perdre de vue la finalité opérationnelle des armées, qui est d'assurer la sécurité de la Nation. C'est notre objectif unique, avant tout dogmatisme quel qu'il soit.

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