Intervention de Anna Kvit

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 24 novembre 2022 : 1ère réunion
Table ronde sur les femmes en temps de conflits armés

Anna Kvit, sociologue ukrainienne, membre du projet Invisible Battalion :

Bonjour à tous. Merci de m'avoir invitée à intervenir au cours de cette conférence. Nous vivons une époque très compliquée. C'est un honneur pour moi de pouvoir prendre la parole aujourd'hui pour vous parler des forces armées en Ukraine et de la place des femmes, et des réponses à l'agression russe. Je vais vous exposer le projet appelé « bataillon invisible », qui vise à défendre les femmes et leurs droits. J'en fais moi-même partie. Ce projet a été lancé dans le cadre de travaux de recherche sociologiques en 2015.

Comme vous le savez, la guerre entre la Russie et l'Ukraine a démarré en 2013 avec l'occupation de la Crimée. Pendant neuf ans, les femmes ont participé de façon très active à la réponse à l'agression russe, y compris sur le champ de bataille. Les réglementations ont évolué de façon assez significative dans ce laps de temps.

Nous parlons des femmes dans les conflits armés mais il me semble tout de même très utile de vous rappeler quelques chiffres. Nous ne disposons malheureusement pas de données précises concernant la présence des femmes dans les forces armées à l'heure actuelle. Pour autant, nous savons que leur nombre a augmenté ces dernières années. Les représentants du ministère de la défense ont déclaré qu'environ 50 000 femmes étaient engagées dans les forces armées en Ukraine. 5 % d'entre elles sont sur la ligne de front et se battent. Il est tout à fait possible que ces chiffres aient augmenté ces derniers mois. Enfin, à ce jour, nous ne comptons qu'une femme générale.

En 2013, nous ne savions pas grand-chose des femmes qui se battaient. Nous ne disposions que de peu de chiffres. Nous ne connaissions pas les conditions dans lesquelles elles participaient aux conflits. Nous avons alors commencé à nous intéresser à cette question. C'est notre volonté de travailler sur la participation des femmes dans les opérations antiterroristes dans l'est de l'Ukraine, leurs réussites et leurs défis dans le secteur de la défense, qui a motivé le lancement de notre étude. Ce travail était donc essentiellement sociologique. Il a été mené au moyen d'entretiens semi-structurés très approfondis. Des entretiens experts ont également été organisés. Nous avons vu quelle était la représentation de ces femmes dans l'armée et auprès des médias.

Au cours de ces travaux de recherche, les entretiens menés avec ces femmes qui se battaient sur la ligne de front nous ont fourni divers renseignements. D'abord, nous avons constaté que les femmes étaient confrontées à une certaine discrimination. On les incitait à ne pas s'engager dans l'armée. Souvent, on leur opposait des refus du fait de différents stéréotypes de genre ; elles étaient perçues comme n'étant pas suffisamment fortes pour se battre. On leur disait de faire autre chose. Les infrastructures n'étaient pas à la hauteur, elles non plus. L'uniforme, les différents équipements, les services de santé ne convenaient pas. Des écarts étaient également observés entre les devoirs officiellement annoncés et ceux qui étaient réalisés. Certaines femmes qui menaient des opérations actives étaient finalement référencées comme étant comptables ou occupant des postes dans des bureaux. Les droits des femmes n'étaient pas totalement respectés dans le secteur. Il était difficile pour nous d'obtenir un bon aperçu de la participation des femmes dans les forces armées dans le pays.

Le ministère de la santé interdisait aux femmes d'occuper 150 postes différents. Elles ne pouvaient pas accéder aux postes de combat, par exemple. Ce règlement avait également des répercussions sur d'autres aspects de la vie des femmes, dans les transports par exemple. Les politiques en place à l'époque occasionnaient une discrimination horizontale et verticale des femmes sur le marché du travail. Certaines professions leur étaient interdites, par exemple. Dans l'armée, elles pouvaient être simples cuisinières mais pas cheffes cuisinières. Elles ne pouvaient donc pas avoir accès aux avantages sociaux associés aux postes qui leur étaient refusés, ni aux salaires.

Nous nous sommes penchés sur les droits des femmes dans l'armée afin de disposer d'arguments pour mener des campagnes de plaidoyer. Cette enquête a également fourni des données empiriques et a permis de donner des arguments aux militantes. Elle a aussi mené à un appel au changement et à la modification des normes formelles et informelles afin de protéger les droits des femmes dans le secteur de la défense. Il s'agissait de la première étape de notre projet, Bataillon invisible, toujours en cours. Nous sommes trois chercheurs qui nous penchons sur la vie des femmes dans le secteur militaire. Nous voudrions également nous intéresser à leur retour à la vie civile. Nous avons en outre travaillé sur le harcèlement sexuel dans l'armée. Deux films documentaires, disponibles en ligne, parlent des femmes dans l'armée en Ukraine et des femmes qui y font la guerre. Nous avons également monté un club des anciens combattants. L'équipe est composée de plus de vingt personnes. Nous avons par ailleurs lancé une campagne de communication. De nombreuses personnes se sont jointes à nous au fil du temps.

Quels sont les résultats de ce projet ? Quelles ont été les évolutions observées depuis 2015 ? La question des droits des femmes intéressait les organisations de la société civile et d'autres représentants officiels. De nombreuses synergies et coopérations entre les différents acteurs ont permis de modifier les politiques. À ce jour, je peux annoncer que plus aucune profession n'est interdite aux femmes en Ukraine. Les postes de combat leur ont été ouverts. La formation militaire leur est maintenant accessible. Le nombre de généraux femmes devrait donc augmenter dans les années à venir, je l'espère. L'accès aux avantages sociaux s'améliore également pour les femmes. L'infrastructure se développe afin de nous permettre une meilleure égalité entre les hommes et les femmes. Si la situation n'est pas encore parfaite, elle va tout de même dans le bon sens. On retrouve les objectifs d'égalité entre les hommes et les femmes dans les programmes de développement nationaux et sectoriels. Un plan d'action lancé jusqu'en 2025 porte par exemple sur la protection des femmes dans les armées. Les femmes deviennent de plus en plus visibles dans les forces armées en Ukraine.

Par rapport à 2013, les femmes jouissent de beaucoup plus de droits dans le secteur de la défense. Leur contribution est bien mieux reconnue. Bien entendu, il reste une marge d'amélioration possible.

Enfin, j'aimerais mentionner quelques difficultés et défis qu'il nous reste à affronter, en commençant par les stéréotypes. Ceux-ci restent présents dans de nombreuses armées dans le monde, je pense. Il est également nécessaire d'améliorer l'infrastructure à l'attention des femmes dans l'armée. Là aussi, les choses évoluent. Aussi, le leadership des femmes dans le secteur pourrait s'améliorer. Les femmes dans les forces armées me disent souvent qu'elles manquent un peu de perspectives d'évolution de carrière.

Au cours des neuf dernières années, les forces armées en Ukraine ont connu une forte transformation. Vous le savez certainement. Des évolutions positives ont été opérées en termes d'égalité entre les hommes et les femmes.

Je vous remercie de votre attention. Voici le lien vers notre site web : www.invisiblebattalion.org. Vous pourrez y trouver tous les documents nécessaires.

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