Intervention de Serge Letchimy

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 18 novembre 2022 : 1ère réunion
Évolution institutionnelle outre-mer — Audition de M. Serge Letchimy président de la collectivité territoriale de martinique

Serge Letchimy, président de la collectivité territoriale de Martinique :

Le président de la République parlait le 10 octobre, lors de son discours à Château-Gontier, de vraie décentralisation. Il évoquait un transfert des compétences, du vote de financement et du pouvoir normatif, et donc la responsabilité. Nous n'avons peut-être pas encore atteint ce dernier point. Nous entrons dans une nouvelle ère.

En effet, la question de l'autonomie qui se construit au détriment de l'égalité est le combat le plus intelligent, réaliste et clair à mener. Lorsque j'étais parlementaire, je restais très tard dans l'hémicycle pour aider mes collègues des outre-mer dès que je les voyais en difficulté. J'ai parfois déploré l'attitude de l'État, notamment sur la santé. J'ai vu les Polynésiens supplier pour obtenir des financements supplémentaires. Il leur était répondu qu'ils avaient un contrat de développement. On finissait par leur accorder ces financements. Nous avons également débattu jusqu'à 3 ou 4 heures du matin sur les conséquences des essais nucléaires en Polynésie, pour essayer d'obtenir les modalités d'indemnisation. L'égalité des droits n'est pas l'ennemi du droit à la différence. Ils doivent se conjuguer, sans quoi les rapports entre les pays, les outre-mer et la République n'ont aucun sens. Négocier que le droit à l'égalité, en fonction du degré d'initiatives mises en oeuvre, n'a pas de sens. L'accès à l'égalité tel qu'il a été conçu par Césaire ne niait absolument pas l'existence de particularités, au contraire. Intégrer le particulier comme un élément de la construction de l'Homme permet de dire que l'on est dans des choix universels. La France a manqué ce virage.

Ensuite, je sais que nous apportons moins de contributions fiscales que le montant de nos dotations. Je rappelle tout de même que la Polynésie équivaut à la surface maritime de l'Europe. Si vous nous coupez ce droit à l'égalité, vous devez également vous infliger la même scission en matière d'espaces maritimes, donc d'écologie, de ressources halieutiques, d'infrastructures, de logistiques... Votre rapport stratégie maritime comporte un chapitre important sur la présence et la puissance militaire de la France. Ne nous racontez pas que plus nous irons vers la reconnaissance des droits à l'initiative locale, et moins nous bénéficierons des contributions de la France. Je considère pour ma part que toute la fiscalité économique doit être fixée localement, tandis que la fiscalité de solidarité doit l'être au niveau national. Saint-Martin a rencontré des difficultés au début, parce que la France n'a pas mis en place de période transitoire pour la collecte des ressources fiscales.

Nous devons faire disparaître cette gestion comptable de la citoyenneté, et adopter une posture respectueuse des populations. Nous devons peser là où nous avons des compétences et où nous devons guider le développement économique avec l'outil fiscal. L'octroi de mer alimente et finance les collectivités territoriales à hauteur de 40 % environ. En clair, plus vous importez, et plus vous obtenez de recettes fiscales liées à l'octroi de mer. C'est une absurdité économique. L'octroi de mer comme outil fiscal à des fins de valorisation de nos productions reste tout de même important. Au Sénat, vous pouvez étudier ces sujets. Nous restons à votre disposition pour vous fournir les éléments nécessaires.

Ensuite, j'ai beaucoup d'admiration et de sympathie pour le président du conseil départemental de Mayotte Ben Issa Ousseni. Il est remarquable, très présent pour son pays dans les différentes instances. Il défend l'aboutissement de la régionalisation et de la départementalisation, le choix d'un processus de consultation électorale adapté aux réalités locales, et l'aboutissement des enjeux de configuration de l'égalité des droits. J'espère que nous parviendrons, grâce à notre expérience, à le convaincre de ne rien lâcher sur le paramétrage culturel et identitaire de Mayotte.

Oui, ce que vous avez vécu peut s'apparenter à un simple raccourci. J'ai vécu ce choix pour Mayotte, avec Nicolas Sarkozy à l'Assemblée nationale. J'ai respecté le choix de la population, mais il faut absolument que la dynamique même du respect de la parole d'État sur l'égalité des droits se conjugue avec la différenciation.

Ben Issa Ousseni m'a parlé d'un colloque qui se tiendra le 9 décembre, sur le droit des outre-mer au XXIe siècle. J'essaierai de venir y répondre à quelques questions.

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