Intervention de Serge Letchimy

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 18 novembre 2022 : 1ère réunion
Évolution institutionnelle outre-mer — Audition de M. Serge Letchimy président de la collectivité territoriale de martinique

Serge Letchimy, président de la collectivité territoriale de Martinique :

Le financement représente un véritable enjeu. On a collé une très mauvaise image sur la gestion des collectivités territoriales, indiquant que bon nombre d'entre elles se trouvaient en situation déficitaire et en difficulté. Pourtant, si elles n'avaient pas servi de sas sur le plan social, la Martinique ne compterait pas 350 000 habitants, mais sans doute 250 000, par exemple. Les retards structurels de ces pays sont clairement affichés par rapport à l'Hexagone. Les investissements publics y sont inférieurs de 40 %, et le retard s'accroît en termes de politiques de logement. Nous avons assisté à une « bidonvilisation » du secteur urbain dans différentes communes de Guyane. On lui a attribué les paramétrages de mesure économétriques de territoire n'ayant pas connu la même histoire. Nous avons donc un enjeu de financement. Il n'y a pas de gestionnaires plus mauvais en Martinique qu'ailleurs, mais uniquement une difficulté structurelle.

L'État commence à renforcer ses moyens financiers, mais pendant très longtemps, le soutien aux collectivités était lié à l'adhésion politique des élus. Mes aînés l'ont parfaitement vécu. Nous avons besoin d'une révision assez complète de la nomenclature budgétaire et financière. Nous n'avons, à la collectivité territoriale de Martinique, presque aucune autonomie fiscale. Les recettes s'élèvent à 1 milliard d'euros, mais notre autonomie fiscale avoisine les 200 millions d'euros. Ainsi, nos capacités d'orienter ou faire évoluer la fiscalité sont nulles. Par ailleurs, 95 % des recettes sont pré-affectées. Un vrai travail doit être mené sur ce point.

J'ajouterais que l'entretien des routes est inscrit en fonctionnement, et représente 60 millions d'euros de dépense. Chez nous, la végétation pousse 4 fois plus vite que dans l'Hexagone. Il suffirait de passer l'entretien en investissement pour que nous économisions 60 % en fonctionnement. Cela nous permettrait d'améliorer notre financement.

En plus de son travail de contrôle, la chambre régionale des comptes devrait également se pencher sur les problèmes structurels des collectivités pour établir leurs financements. Quand je parle d'autonomie fiscale, je suis très sérieux. Lorsque l'argent est déjà pré-affecté, vous n'êtes qu'un exécuteur budgétaire des orientations. L'État ayant transformé le paramétrage de fiscalité qui pouvait donner de l'autonomie fiscale - y compris la taxe d'habitation, le financement s'est transformé en dotations. Nous sommes donc soumis au budget de l'État, aux orientations. Nous avons besoin d'une réforme. Nous devons revenir sur l'avenir de l'octroi de mer et le financement des collectivités territoriales.

Ensuite, nous devons en effet sortir de la dichotomie des articles 73 et 74 et de ce chantage effectué sur le plan de l'égalité. Catherine connaît ces sujets. L'exemple de l'éducation est très parlant. En la matière, nous avons une compétence, celle de nous occuper des bâtiments. Je n'en ai aucune sur le plan pédagogique, sauf les conventions signées avec le rectorat. Je me souviens d'une décision de la rectrice de Martinique, m'ayant informé de la fermeture de l'école de Saint-Pierre, sa fréquentation étant passée de 600 à 80 élèves. Je lui ai proposé d'en faire une école du numérique et du design, ce qu'elle a fini par accepter. L'établissement accueille aujourd'hui 600 élèves. Ils viennent de toute la Martinique, mais aussi de Sainte-Lucie, ou encore d'Haïti. Pour autant, je n'ai toujours pas de compétences sur le plan pédagogique. Je ne remets pas en cause le pouvoir régalien de l'État, mais j'estime que nous pourrions émettre des propositions et construire des outils en ce qui concerne la pédagogie active.

Concernant la biodiversité, nous pourrions construire des outils incroyables pour que les Martiniquais connaissent les plantes médicinales que nos grands-mères utilisaient. Pourtant, on préfère que des firmes pharmaceutiques pour prennent nos plantes, en fassent des médicaments et nous les renvoient sous forme de cachets. Dans ce domaine, je n'en veux pas à l'État, mais à nous-mêmes. Nous devons être plus courageux pour nous y opposer. Nous sommes en négociation, et non en discussion.

Un débat national porte sur les langues régionales, qui ne sont pas encore des langues inclusives d'éducation. Nous avons une langue nationale, qui est le français, mais le créole est notre deuxième langue. Pourquoi ne pouvons-nous pas l'enseigner à des enfants en situation d'échec scolaire ?

Par ailleurs, vous avez cité les normes dans plusieurs rapports. Tout est normé. Nous sommes à 8 000 kilomètres de la métropole. Vous imaginez bien que les situations diffèrent en termes de matériaux, technologies, constructions, techniques... La réglementation est définie par la rue Oudinot et par le ministère du Logement. En quoi un règlement déstabilise-t-il la République ? Comme en matière d'éducation, nous n'avons pas de pouvoirs, mais une compétence en matière de logement. On me demande simplement d'exécuter, ce que je fais. Nous avons la compétence d'organiser la construction, mais pas d'agir sur la réglementation. Si je dois modifier le paramétrage du prix maximal de la construction ou du loyer maximal d'un logement, je dois faire remonter la demande à Paris. En quoi un paramétrage technique local insulterait-il le Gouvernement ?

Permettez-moi de vous présenter un exemple précis. Notre territoire s'étend sur 1 100 kilomètres carrés. Des agriculteurs plantaient leurs bananes et leurs cannes, et ont décidé de transmuter leur niveau d'investissement dans l'énergie. En 2010, ils implantaient des panneaux photovoltaïques sur toutes les surfaces agricoles au lieu de planter. Nous avons dû interdire ce procédé, par une habilitation obtenue je vous le rappelle après trois ans, cette implantation sur les terres agricoles, qui ne pouvaient plus produire ni bananes, ni canne, ni diversification agricole. Nous sommes dans une situation ridicule et médiocre, faute de courage et de clarté vis-à-vis des outre-mer sur la législation et la réglementation capables de structurer le développement.

Je pourrais également citer la question de la santé, qui relève du pouvoir régalien, mais qui pourrait être partagée. Comment fonctionner avec nos déserts médicaux, avec nos jeunes que nous formons, puis qui quittent nos territoires ? Tout un pan de la recherche sur les maladies tropicales et la lutte anti vectorielle pourrait y être domicilié et responsabilisé. Nous pourrions ainsi faire éclore une ingénierie de la recherche et du développement attractive. Nous nous trouvons dans un bassin de 40 millions de personnes dans la Caraïbe et de 280 millions d'habitants à deux heures de vol. Vous imaginez bien que les enjeux liés à la modélisation ou aux normes pourraient être conçus localement. C'est valable pour La Réunion, l'Afrique du Sud ou encore Madagascar. On me dit que La Réunion commence à exporter ses déchets vers des pays tiers. C'est également notre cas. Tout ce que nous pouvons exporter dans la zone, en montant des unités et filières de récupération des déchets, me semble nécessaire.

Enfin, nous n'avions aucun pouvoir en matière de coopération. La loi que j'ai présentée, votée à l'unanimité, sera appliquée par la Martinique. Elle ouvre selon moi une porte. Dans son programme, le président de la République Emmanuel Macron avait d'ailleurs indiqué qu'il devait faire évoluer la loi Letchimy sur la diplomatie territoriale. C'est une manière de dire que nous pouvons dialoguer avec Sainte-Lucie. La Martinique est devenue une passoire de drogues et d'armes. Nous avons compté cette année 24 morts, dont 20 ou 21 par balle. Cela veut dire que nous devons discuter avec nos voisins. Nous ne sommes pas pleinement associés aux discussions menées par le ministère des Affaires étrangères, entre autres. Je pense pourtant que nous pouvons co-construire certaines politiques comme celle de la sécurité ou de la pêche.

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