Je vous remercie de votre invitation sur ce sujet de la politique de lutte contre les drogues et les pratiques addictives, qui nous tient à coeur. Un grand nombre d'acteurs publics, associatifs et privés sont concernés, tant au niveau gouvernemental qu'au sein des territoires.
Je commencerai par vous fournir quelques éléments de bilan sur la politique menée ces dernières années, et sur les priorités du Gouvernement. Ce vaste sujet implique de nombreux produits et de nombreux publics cibles. Nous arrivons au terme du plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022, qui a permis certaines évolutions positives pour plusieurs consommations, comme M. Julien Morel d'Arleux vous le présentera.
Les événements marquants ont été nombreux ces dernières années, à commencer par une meilleure information de la population sur les risques liés à la consommation de tabac, qui en matière de morbi-mortalité, constitue le principal défi auquel nous devons faire face : plus de 70 000 morts par an et un nombre considérable de pathologies sont encore liés à la consommation de tabac, et la lutte contre le tabac reste notre priorité.
Ces dernières années, une politique inscrite dans la durée a été développée. Deux programmes nationaux de lutte contre le tabagisme ont déjà été menés, et un troisième, en cours de préparation, sera annoncé par le Gouvernement lors des prochaines semaines. Plusieurs leviers ont déjà été activés, notamment ceux du prix et du paquet neutre, pour participer à la « dénormalisation » du tabac dans notre société, et faire plus clairement apparaître les risques liés à cette substance.
L'opération « mois sans tabac » pilotée par Santé publique France (SPF) porte un message clair sur les avantages de cesser l'usage du tabac, en matière de santé, de qualité de vie, comme de pouvoir d'achat - un fumeur consommant un paquet de cigarettes par jour débourse pour cela plus de 3 000 euros par an.
L'alcool fait encore plus de 40 000 morts par an dans notre pays. De nombreux risques sanitaires et sociaux sont associés à ce produit, notamment en ce qui concerne les phénomènes de violence. Ces dernières années, des campagnes d'information menées sous l'égide de SPF et portant sur la prévention des risques ont mieux diffusé les repères de consommation à moindre risque, notamment les limites de deux verres d'alcool par jour et de dix verres par semaine. Cependant, encore un quart de la population française se situe au-dessus de ces repères.
Nous avons encore 900 000 usagers quotidiens de cannabis dans notre pays. Il s'agit d'une préoccupation majeure pour le Gouvernement. Les risques liés à cet usage sont de mieux en mieux documentés par la littérature scientifique : il s'agit d'une bombe pour le cerveau des plus jeunes, des adolescents et des jeunes majeurs, jusqu'à 25 ans, car la maturation cérébrale dure jusqu'à cet âge. L'effet du cannabis se traduit par des troubles de la concentration, de la mémoire et de l'attention, dont l'impact sur la réussite scolaire comme sur l'insertion sociale et professionnelle est avéré. L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a suivi des cohortes de jeunes ayant eu un usage précoce, régulier, mais pas très intense de cannabis, et d'autres n'en ayant pas eu ; à bac +3, un vrai décrochage a été mesuré. Sous l'égide du service d'information du Gouvernement, deux séries de campagnes ont été diffusées, en 2021 et 2022, sur les risques liés à la consommation et au trafic de cannabis. Une campagne de SPF a été destinée aux jeunes usagers, pour les orienter vers la réduction ou l'arrêt de leur consommation. Une autre, sous l'égide de la sécurité routière, a insisté sur les risques en matière de conduite automobile.
L'information sur les risques est importante, mais ne suffit pas en matière de prévention. Les programmes pour le renforcement des compétences psychosociales se sont développés. Derrière ce terme se cachent des choses à la fois assez simples et difficiles à mettre en oeuvre. Les compétences concernées sont essentielles pour la vie en société : l'estime de soi, le recours à l'adulte, la capacité à résister à la pression de ses pairs et à faire ses propres choix. L'enjeu est de doter les enfants et les adolescents, voire les adultes, de ces compétences, pour leur permettre de ne pas adopter de comportements à risque, dont les conduites addictives.
Ces programmes ont été déployés en milieu scolaire, mais aussi dans les autres milieux de vie de l'enfant et de l'adolescent. Ils l'ont d'abord été de façon expérimentale, afin que leur efficacité soit évaluée. Désormais, même si nous n'en sommes pas encore à la généralisation, ces programmes ont avancé dans chaque région, en général dans le cadre de partenariats entre rectorats et agences de santé. Ils sont souvent déployés à l'aide d'acteurs du monde de la santé et de la prévention, dont Fédération Addiction et son programme « Unplugged » pour les collèges. L'enjeu est désormais d'intégrer ces recommandations dans les pratiques éducatives ordinaires, dans la formation initiale des enseignants et de la communauté éducative, afin que ces principes se diffusent largement dans l'éducation nationale.
De nombreux programmes de renforcement des compétences psychosociales existent notamment dans les établissements agricoles, tout comme dans les centres de l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi (Epide) à destination des jeunes décrocheurs, ainsi que dans les établissements accueillant des jeunes relevant de la protection judiciaire de la jeunesse et de l'Aide sociale à l'enfance. Nous ne sommes pas arrivés au bout du chemin, mais une instruction interministérielle adoptée en août traduit l'engagement du Gouvernement.
Des environnements protecteurs sont ainsi constitués, en priorité pour les enfants et adolescents, publics les plus vulnérables concernant les conduites addictives. Les interdits protecteurs, portant sur la vente d'alcool, de tabac, de jeux d'argent et de hasard, et désormais de protoxyde d'azote aux moins de 18 ans, ne sont encore largement pas respectés en France. Les chiffres sont assez dramatiques : près de neuf enfants sur dix disent n'avoir aucune difficulté à s'approvisionner auprès des débitants de tabac, de boisson ou de jeux d'argent et de hasard ; plus de 10 % des buralistes vendent ces produits à des enfants de 12 ans, alors que la loi exige qu'une pièce d'identité soit présentée. Les contrôles et les sanctions sont trop peu nombreux, alors que leur effet pourrait être dissuasif. Nous avons beaucoup fait pour la formation et la sensibilisation des buralistes, en nous appuyant sur l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih), la fédération du commerce et de la distribution, la confédération des buralistes, mais ces opérations ne suffisent pas. Il faut aussi mobiliser les forces de police et de gendarmerie pour mener des contrôles, ainsi que la justice pour qu'elle prononce des sanctions. Il est scientifiquement prouvé que la réduction de l'accès aux produits nocifs est efficace. Les phénomènes de contournement peuvent toujours exister, mais tant que l'interdit n'est pas respecté, un angle mort demeure dans notre politique publique.
Les interdits relatifs à la publicité doivent aussi être respectés. Les plus jeunes sont en particulier les victimes d'incitations à consommer. Un corpus législatif existe, même s'il est perfectible, notamment pour l'alcool et les jeux d'argent et de hasard. Cette réglementation récente, datant de 2020, doit être respectée, et le matraquage promotionnel ciblant les enfants comme les jeunes adultes doit être réduit.
Les parents sont également membres de cet environnement protecteur, et leur rôle est primordial. Ils doivent davantage être informés sur les risques, car l'initiation à l'alcool se fait encore trop souvent en famille : en classe de 6e, 44 % des enfants déclarent avoir déjà consommé de l'alcool, notamment lors de fêtes de famille, sous couvert d'éducation au goût. Ces pratiques familiales trop précoces sont très éloignées de celles de nos voisins européens. Concernant les jeux de hasard, l'initiation a également souvent lieu dans le cadre familial, par le biais de jeux à gratter ou de paris sportifs, et l'impact de ces initiations précoces sur les comportements des jeunes adultes est démontré. Là encore, il faut une mobilisation : on rêve d'un jour où les adultes s'émouvraient de la tolérance sociale envers la vente de tabac aux mineurs...
L'environnement protecteur concerne aussi d'autres milieux de vie, et notamment le milieu professionnel.
On a longtemps pensé qu'il y avait une séparation entre les usages de substances psychoactives en milieu privé et en milieu professionnel, mais les deux sont liés. On sait quelles sont les conséquences pour les entreprises d'avoir des salariés ayant des conduites addictives. Les entreprises ont donc un rôle à jouer, le bien-être des salariés étant aussi un enjeu économique. Certains milieux professionnels sont plus protecteurs que d'autres. On sait ainsi que l'habitude de faire des pots alcoolisés est une incitation à consommer. Il faut donc faire respecter la loi, celle-ci limitant le type d'alcool qui peut être proposé en milieu professionnel, et inciter les entreprises à prévoir aussi des boissons non alcoolisées.
On sait également que la cocaïne, notamment, se diffuse en France, l'offre étant très abondante. Dans certains milieux professionnels, soumis à de fortes exigences de performance, les usages sont en augmentation, même s'ils sont sans commune mesure avec la consommation de cannabis. La cocaïne n'est plus simplement consommée dans les milieux un peu classiques, son usage se développe, à titre d'exemple, dans la restauration et l'hôtellerie, le bâtiment ou chez les marins-pêcheurs, dans des métiers très durs.
Il y a également beaucoup de choses à faire en milieu étudiant. Nous avons lancé une démarche avec le ministère de l'enseignement supérieur afin de faire prendre conscience aux établissements de l'enseignement supérieur de leur caractère incitatif ou au contraire protecteur en matière de conduites addictives. La prévention et la réduction des risques en milieu festif sont une partie importante de notre politique publique, mais il faut également veiller à ce qui se passe sur les campus, dans les logements étudiants, les clubs sportifs ou de loisirs. Il est important que les encadrants des multiples associations qui existent sur un campus tiennent un discours clair et n'incitent pas les étudiants à la consommation. Certaines universités déploient ainsi des espaces sans tabac, tiennent un discours clair sur l'alcool. Nous aurons du mal à progresser sur ces sujets tant que les dirigeants et les encadrants des universités et des grandes écoles continueront de considérer que la consommation massive d'alcool est un passage obligé, qu'elle fait partie d'un rite initiatique. Il convient également de sensibiliser les salariés de ces établissements afin qu'eux aussi puissent bénéficier d'un environnement plus protecteur.
Nous menons par ailleurs une politique de réduction des risques associés à la consommation d'alcool et de drogues illicites. Depuis 2016, la réduction des risques est clairement inscrite dans la loi, de nouveaux outils sont développés, à l'instar des salles de consommation à moindre risque, désormais appelées haltes « soins addictions ». Deux expérimentations ont été conduites à Paris et à Strasbourg, l'évaluation qui en a été faite a mis en évidence leur efficacité. Nous sommes désormais confrontés au défi de la stabilisation de ces dispositifs, notamment à Paris, mais aussi de l'ouverture de nouvelles haltes dans des territoires comptant des scènes ouvertes de consommation et une alliance d'acteurs locaux prêt à porter un tel dispositif.
Mais la réduction des risques, ce n'est pas que cela. Elle se traduit également dans de nombreux autres dispositifs, notamment dans les établissements et services du secteur de l'accueil, de l'hébergement et de l'insertion, où les usagers de substances psychoactives doivent être accompagnés. De même, il faut aussi intervenir lors des grands événements festifs afin de réduire les risques.
J'évoquerai à présent la lutte contre les trafics, qui a été renforcée depuis 2019, un premier plan national de lutte contre les stupéfiants ayant été adopté, lequel devrait être renouvelé en 2023. Ce plan prévoit une mobilisation massive des forces de sécurité, des douanes et de toute la chaîne pénale afin de lutter contre la criminalité organisée, mais aussi contre le trafic du quotidien, la sécurité au quotidien étant une préoccupation première du Gouvernement. Les efforts portent ainsi sur le démantèlement des points de deal.
Enfin, pour conclure, j'aborderai le renforcement des dynamiques territoriales en matière de lutte contre les addictions. Il y a eu beaucoup d'évolutions au cours des dernières années. Notre ambition est de les renforcer. Ainsi, les préfectures, qui sont les relais de la Mildeca à l'échelon local, ont écrit des feuilles de route régionales en 2019. Ce premier exercice très perfectible a traduit la mobilisation interministérielle des acteurs à l'échelle d'une région et d'un département.
De même, les agences régionales de santé, grâce au Fonds national de lutte contre les addictions, ont des crédits et des politiques désormais stabilisées pour lutter contre les conduites addictives et mener des actions ambitieuses en matière de prévention, d'accompagnement et de réduction des risques. Enfin, les collectivités locales contribuent de plus en plus à cette politique. Depuis 2018, la Mildeca lance des appels à projets nationaux à destination des communes et des intercommunalités, qui connaissent un succès grandissant. On a ainsi pu conclure une cinquantaine de partenariats avec des communes et des intercommunalités de toutes tailles sur l'ensemble du territoire. Des projets divers sont menés, dans le respect de l'orientation politique fixée par les élus. Certains privilégient l'accompagnement des familles, la prévention dès le plus jeune âge, d'autres souhaitent mettre l'accent sur l'application de la loi et responsabiliser les débitants par exemple. Certains projets enfin concernent les agents et le maire en tant qu'employeur.
Telle est la présentation globale que je souhaitais vous faire de notre action. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions. Je laisse à Julien Morel d'Arleux le soin d'évoquer les chiffres sur les pratiques et la consommation.