Intervention de Julien Morel d'Arleux

Commission des affaires sociales — Réunion du 18 janvier 2023 à 9h05
Prise en charge des addictions — Audition de Mme Valérie Saintoyant déléguée de la mildeca mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives de M. Julien Morel d'arleux directeur de l'observatoire français des drogues et des tendances addictives ofdt et du docteur jean-michel delile psychiatre président de la fédération addiction

Julien Morel d'Arleux, directeur de l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives :

L'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, l'OEDT, a publié à l'automne dernier un rapport sur l'étendue de la consommation de protoxyde d'azote à l'échelle de l'Union européenne.

Les données présentées permettent de comparer les législations en vigueur dans différents pays : aux Pays-Bas et au Danemark, où les jeunes sont particulièrement touchés par ce phénomène, les dispositifs législatifs se sont adaptés au fur et à mesure des modifications des méthodes de diffusion du protoxyde d'azote.

Nous publierons, en mars prochain, une synthèse des dernières données disponibles relatives aux usages de la cocaïne dans notre pays. Le nombre d'usagers de cocaïne fumée pris en charge dans les centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) a fortement augmenté au cours des cinq dernières années.

Nous n'avons que très peu d'exemples de marchés structurés de produits de crack en dehors de Paris, même s'il existe des points de vigilance dans certaines régions. À cet égard, nous avons réalisé, à la demande de l'agence régionale de santé des Pays de la Loire, une enquête sur les publics les plus précaires, au cours duquel nous avons interrogé plus d'une soixantaine de professionnels et d'usagers, hors de la métropole nantaise ; nous en rendrons les résultats publics à la fin du mois de février.

En ce qui concerne la légalisation du cannabis, nous cherchons à comprendre les cadres réglementaires mis en oeuvre à l'étranger. Depuis 2019, grâce au fonds de lutte contre les addictions liées aux substances psychoactives, nous menons le projet pour une analyse stratégique des politiques de régulation du cannabis, dit Astracan, qui vise à mesurer les modèles de légalisation ou de régulation en vigueur au Canada et aux États-Unis ; les résultats seront disponibles au printemps 2023.

Lorsque des phénomènes marketing apparaissent rapidement, comme le puff et le snuff, notre analyse est en décalage, car nous devons comparer les résultats dans le temps. C'est pourquoi, dans notre enquête sur la santé et les consommations lors de la journée d'appel et de préparation à la défense (enquête Escapad) de 2017, nous n'avons pas pu traiter le sujet du protoxyde d'azote, car il venait d'apparaître.

Les résultats de l'enquête que nous avons menée en milieu scolaire en 2020 ont montré que 5,5 % des élèves de troisième ont déjà expérimenté le protoxyde d'azote. Une nouvelle enquête sera menée en 2022 pour comparer les données avec celles de 2021.

Le protoxyde d'azote est diffusé parmi 10 % des jeunes : même s'il n'atteint pas le niveau de diffusion du tabac au début des années 2000, il ne faut surtout pas minimiser les risques liés à sa consommation. Nous devons suivre ces phénomènes qui apparaissent et disparaissent, car les jeunes y sont très réactifs.

Par ailleurs, les jeunes ne savent pas ce qu'ils inhalent en consommant des cigarettes de type puff ; l'enjeu est donc de prévenir l'addiction à la nicotine.

Enfin, l'enquête Escapad, menée auprès de 24 000 jeunes, qui passent la Journée défense et citoyenneté (JDC), montre que certains d'entre eux ont un trouble de l'attention.

Dr Jean-Michel Delile. - Les principaux acteurs de la prévention sont les jeunes, car les messages qu'ils portent sont plus acceptables par d'autres jeunes. Or, justement, les jeunes ayant consommé du cannabis dans les années 1990 ont pu constater les dégâts de cette drogue, et prendre conscience du danger qu'elle représente. J'espère que les jeunes d'aujourd'hui se rendront également compte que la consommation de protoxyde d'azote n'est pas anodine, et qu'ils développeront ainsi des messages de préventions - nous pourrons les relayer de notre côté.

Cependant, nos moyens actuels ne sont pas suffisants. Les actions de prévention sont financées à l'année, ce qui crée une insécurité, chaque année sur leur renouvellement.

Parmi les troubles neuro-développementaux, le trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) peut favoriser un comportement addictif au moment de l'adolescence. Aussi, il est nécessaire de décloisonner les filières de santé mentale, de pédopsychiatrie et d'addictologie. Le repérage précoce et le traitement du TDAH peuvent réduire le risque d'addiction chez un patient.

Toutefois, ce repérage n'est pas toujours bien fait, il y a beaucoup de travail. En effet, mes consultations pour les jeunes consommateurs sont insuffisantes et il faut que nos équipes apprennent à repérer les cas.

La Fédération Addiction est, de longue date, favorable à une dépénalisation de l'usage du cannabis, ce qui n'empêche pas qu'il faille l'interdire pour les mineurs, au travail, au volant, etc. Au fond, l'interdiction du cannabis doit se fonder sur des critères rationnels. Aux États-Unis, la législation varie d'un État à l'autre, ce qui permet de comparer les différentes formes de légalisation. La légalisation contrôlée, en vigueur dans certains États de l'est des États-Unis, au Canada et au Québec, semble la plus intéressante, car elle a des effets sur le plan économique et social, sans causer d'importants dommages sur la santé publique.

Pour l'heure, nous avons proposé à l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), dans le cadre de l'expérimentation relative à l'usage médical du cannabis, qui vient d'être prolongée, d'étendre l'indication du cannabis thérapeutique aux adultes dépendants, pour éviter qu'ils ne retombent dans le trafic de drogue. Il pourrait en effet être intéressant de les intégrer à un circuit médical, tout en élargissant le circuit de distribution du cannabis thérapeutique, qui vient d'être mis en place.

Par ailleurs, la présence de substances psychoactives - l'alcool, le cannabis et la cocaïne - a été mise en avant dans le cas de violences conjugales. Nous essayons de faire en sorte que les CSAPA soient associés aux actions de la lutte contre les violences intrafamiliales, afin qu'ils puissent accompagner les auteurs d'infraction, et ainsi éviter la récidive, mais également les victimes, qui peuvent aussi être sous l'emprise de substances.

Le problème des pensées suicidaires s'est accentué au moment du confinement, ce qui s'explique par l'isolement : l'adolescence est le moment où l'on a le plus besoin du regard des autres, que la pandémie a brutalement éloigné. Nombre d'enquêtes ont montré que la deuxième préoccupation des adolescents, après la survie de leurs parents, était de ne pas voir leurs amis.

Enfin, le TDAH est un facteur de risque pour l'addiction, mais les écrans sont également un facteur de risque pour le TDAH... Je ne sais pas ce qui sera écrit dans le plan national, mais un effort d'éducation et de mobilisation des parents est nécessaire, car entre 0 et 6 ans les enfants dépendent encore de leurs parents. Les situations les plus problématiques se situent sans doute dans les familles en difficulté, ce qui rend indispensables des mesures qui les soutiennent.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion