Intervention de Laurent Fussien

Délégation aux Collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 8 décembre 2022 à 9h00
Présentation des travaux des élèves de l'inet : « les collectivités territoriales face à la transition environnementale : 36 territoires visités débat avec de grands témoins sur les bonnes pratiques »

Laurent Fussien :

directeur général des services de la ville de Malaunay. - Merci. Bonjour, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs. Je vais tout de suite entrer dans le vif du sujet. Les indicateurs et l'évaluation doivent - c'est une banalité de le dire - refléter les objectifs de la politique publique poursuivie, en mesurer les impacts, les écarts, et valider ou corriger l'action publique. C'est une évidence, mais elle est au coeur de notre approche du sujet à Malaunay.

Je proposerai ensuite un rapide rappel historique, pour expliquer notre démarche. En 2007, l'Agence internationale de l'Énergie met en évidence les risques de déplétion pétrolière et son impact sur le renchérissement des coûts de l'énergie. Elle annonce un pic de toutes les énergies pour les années 2020. L'entrée par les coûts de l'énergie tient à Malaunay à la prise de conscience, dès 2006, des annonces et scénarios prospectifs de l'Agence internationale de l'Énergie. Nous avons identifié une forte vulnérabilité de la commune, pour son patrimoine mais aussi pour ses habitants, à cette inexorable montée des coûts de l'énergie. Les bâtiments méritent de lourdes rénovations, faute d'un entretien suffisant ou en raison d'une conception trop peu regardante de la performance thermique.

Depuis 2012, la commune de Malaunay a lancé un plan pluriannuel de rénovation énergétique des 17 500 mètres carrés de son patrimoine. Ce plan très ambitieux repose sur un investissement financier très important. Nous avons effectué des calculs. En 2006, la facture énergétique atteignait 275 000 euros, comprenant les coûts en matière de carburant, de chaleur et d'électricité. Nous avons réalisé près de 300 actions de sobriété et d'efficacité par ces investissements, pas seulement sur les enjeux énergétiques et climatiques. Ils nous autorisent aujourd'hui à affirmer que nous portons une transition à visée systémique.

Entre l'année 2006 et l'année 2021, la facture réelle en euros de la Ville est passée de 275 000 euros à 253 000 euros. Nous avons réalisé sur cette même période une courbe que nous avons appelée la courbe sans action, c'est-à-dire une courbe tenant compte des variations des coûts des énergies, appliquée de manière plus ou moins linéaire (carburant, gaz et électricité), et nous sommes arrivés à une courbe qui passe de 275 000 euros à un montant de plus de 565 000 euros en 2021. Ce montant est celui que nous aurions dû acquitter auprès des fournisseurs d'énergie ou des prestataires de fourniture de chaleur. Ce delta de plus de 312 000 euros est ce que nous appelons le coût de l'inaction. C'est ce que nous avons finalement économisé en 2021. Cet écart ne fait qu'augmenter, puisque l'énergie continue à augmenter. Si la commune n'échappe pas, comme beaucoup d'autres, aux tensions actuelles sur les marchés de l'énergie, car elle a vu sa facture augmenter considérablement, nous sommes beaucoup moins touchés, puisque nous avons réalisé 45 % d'économies d'énergie, que nos toitures solaires en autoconsommation couvrent plus de 30 % de nos besoins en électricité, que nos trois chaufferies biomasse installées fournissent 65 % de nos besoins de chaleur et que 90 % des kilomètres parcourus par notre flotte de quinze véhicules sont au GNV ou à l'électricité.

Il n'y a pas si longtemps, pour beaucoup de territoires, la transition écologique était vue sous l'angle de la contrainte en temps et en argent à y consacrer. Nombreux étaient les territoires qui considéraient que ces sujets étaient seulement l'affaire des grosses collectivités, des intercommunalités, des experts, des régions, des grandes entreprises et de l'État.

Sur les enjeux de transition énergétique et écologique, nous avons cherché à Malaunay et dans d'autres territoires à transformer ces contraintes et nos vulnérabilités en opportunités, les charges en bénéfices multiples et les investissements en économies futures. Nous pensons avoir fait la démonstration que ce qui coûte cher, c'est surtout de ne rien faire. Nous avons alors joué avec le terme de « népenses », entendu comme ces dépenses futures que l'on évite, en faisant un petit clin d'oeil au terme de négawatts. Cette approche nous permet de faire apparaître une nouvelle comptabilité, celle du long terme.

Au-delà de la valeur économique, nous mettons en avant les autres bénéfices de l'action. C'est le pendant de cette approche. Ces bénéfices immatériels comportent aussi une dimension financière. Nous les appelons des effets systémiques, au sens des vertus de l'action. Nombre de ces effets des politiques publiques ne se prêtent pas aisément, il faut le reconnaître, à l'évaluation quantitative, ce qui nous fait dire au sein de la fabrique des transitions que nous avons contribué à cofonder, il y a quelques années, que ce qui compte vraiment ne se compte pas aisément mais peut se raconter.

Je citerai quelques exemples, d'abord la rénovation du patrimoine communal. Elle redonne du temps de vie à des bâtiments et espaces publics dégradés ou en mauvais état et permet donc la mise en oeuvre de politiques publiques et d'objectifs essentiels, par exemple savoir nager pour la piscine, développer la créativité et le lien social avec une école de musique et des arts, développer la pratique sportive, un déterminant majeur de la santé psychologique et physiologique, développer le lien social, l'apprentissage du vivre ensemble et de la coopération. Cela permet de créer de la valeur à l'échelle locale, et donc des emplois, de développer des compétences et de favoriser l'autonomie face aux aléas et aux tensions géopolitiques sur les coûts d'approvisionnement en énergie, sujet particulièrement brûlant aujourd'hui. Cela favorise aussi le maintien du tissu associatif local, facteur de lien social, de solidarité, de résilience face aux chocs, d'engagement sociétal et peut-être de lutte contre le recul de l'esprit public.

En creux, sommes-nous capables de mesurer les coûts liés à l'absence de ces services et de ces équipements ? Quel poids carbone si les habitants sont obligés de se déplacer dans une autre commune pour y accéder ? Combien coûte finalement l'absence de tels équipements dans une commune, en termes de services sociaux, environnementaux éducatifs, etc. ?

Je citerai un autre exemple, qui peut paraître anecdotique. C'est une petite action qui nous semble intéressante pour montrer les boucles vertueuses que nous avons réussi à mettre en place. Il s'agit de la lutte contre le gaspillage alimentaire dans la restauration collective. Concrètement, les enfants trient et vident leurs restes alimentaires et déchets de plateau eux-mêmes, dans plusieurs poubelles, et déposent la vaisselle dans des conteneurs spécifiques. Cette action permet de sensibiliser les enfants à l'enjeu du gaspillage et de le réduire, en optimisant les quantités servies aux enfants, de réaliser des économies réinjectées dans la politique d'achat de la commune, en visant une meilleure qualité des denrées locales, ce qui permet en même temps de réduire l'empreinte écologique du service et d'augmenter les bénéfices en matière de santé, de qualité nutritionnelle et de santé publique. Elle permet de surcroît d'améliorer l'ergonomie du travail des agents de la ville, qui étaient chargés antérieurement du tri, en réduisant les risques musculo-squelettiques. Elle satisfait les parents, qui observent une contribution plus importante de leurs enfants pour débarrasser et trier à la maison. Cette initiative est également valorisée par les agents du service de restauration, lors des nombreuses visites organisées à Malaunay dans le cadre du « Développement Durable Tour », laquelle reconnaissance stimule en retour leur créativité et leur engagement.

D'autres exemples comme la végétalisation des cours d'école montrent ces boucles vertueuses. Au-delà de la lutte contre les îlots de chaleur, elle favorise une meilleure santé des enfants, préserve leur ressource attentionnelle et réduit l'agressivité des enfants. La réverbération du minéral n'est en effet pas celle du végétal. Elle préserve donc leurs facultés cognitives et réduit les coûts d'aménagement et d'entretien, l'écart entre le bitume et le végétal étant très clair. Avec un bilan carbone incomparable, elle développe la sensibilité et la connaissance ou la curiosité par rapport à la nature et au vivant. Les enfants sont impliqués dès leur plus jeune âge. Leur association à la conception de ces oasis favorise la montée en capacité et en maturité coopérative des parties prenantes engagées dans la conception et elle modifie le rôle des personnes chargées de la surveillance et de l'encadrement des enfants.

Ces boucles vertueuses nous semblent pertinentes. S'il fallait terminer par des bénéfices plus globaux, stratégiques, je peux vous assurer que Malaunay est devenue attractive et accueillante pour des investissements et des projets exemplaires, de toute nature, sur le logement d'abord. C'est souvent ici que les bailleurs publics et privés viennent réaliser des opérations exemplaires sur le plan environnemental, énergétique, mais aussi sociétal, par exemple la création d'un quartier nourricier, une première en Normandie. Cet exemple témoigne de cette capacité d'innovation et de coopération qui est très ancrée dans le territoire. Malaunay est devenue aussi un terrain fertile aux initiatives citoyennes. Une association pour le maintien d'une agriculture paysanne s'est créée en quelques semaines, il y a maintenant cinq ans. Nous comptons aussi un système d'échange local, des projets coopératifs et solidaires, des jardins partagés. Nous pouvons également citer la création d'une future communauté énergétique citoyenne, pour partager l'énergie en circuit court.

De plus, comme nous mettons en récit cette dynamique, la visibilité que donne cette trajectoire, au travers des retours médias locaux et nationaux, apporte un sentiment de fierté aux habitants. Cette fierté est une vraie ressource pour les mobiliser. Elle permet de faire connaître auprès du territoire et de l'ensemble des habitants les initiatives que les citoyens et les parties prenantes portent. Je vous remercie de votre attention et j'aurais plaisir à répondre à vos questions

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