Je suis surtout venu pour répondre à vos questions. Je commencerai par un mot de contexte. Comme vous le savez, le contexte est très lourd, après deux années de pandémie. Nous voyons aujourd'hui la montée des précarités et des prix de l'énergie et une forte inflation. On ne dit pas assez que la crise énergétique, anxiogène pour nos compatriotes, frappe avant tout le monde rural, car il n'y a pas d'alternative à la voiture dans le monde rural. Nous le constatons tous les jours. Nous sommes donc en première ligne, aux départements de France, avec l'État, et nous avons dû prendre des initiatives, à travers différents plans de solidarité, pour accompagner les personnes qui n'avaient plus les moyens de mettre de l'essence ou du gazole dans leur voiture pour aller travailler tout simplement. J'ai été extrêmement surpris de découvrir qu'il y avait 1 600 foyers qui, après analyse de leur situation personnelle, se trouvaient en graves difficultés. Nous avons même fait former certains de nos agents, en lien avec la Banque de France, qui a évidemment un rôle particulier en matière de surendettement. Il est clair que les situations se tendent.
Le choc est fort pour nos compatriotes, mais aussi pour nos collectivités. Une série d'annonces est tombée. Nous avions d'ailleurs été appelés à discuter certaines d'entre elles, comme la 143, concernant la revalorisation des aides à domicile. Un euro supplémentaire nous a été ajouté sans même nous avoir associés à la prise de décision. Nous passerons à 23 euros, dès que le décret sera paru sur l'aide à domicile. Nous n'en avons pas été informés et nous nous en sommes émus, car ce n'était pas de la coconstruction. Nous avons finalement obtenu la compensation de cet euro supplémentaire. La revalorisation du RSA ou celle du point d'indice sont en discussion elles aussi.
Nous avons par ailleurs été associés à l'extension du Ségur, sujet extrêmement compliqué. En effet, ce Ségur, qui a été décidé seul par le gouvernement, a immédiatement suscité un sentiment d'incompréhension et d'injustice de la part de tous ceux qui participaient en première ligne, dans le médico-social par exemple, et qui n'étaient pas reconnus avec un accompagnement particulier pour avoir été en première ligne sur les problématiques de pandémie. Cela a naturellement suscité de la colère et nous avons consacré beaucoup de temps à suivre les oubliés du Ségur. Nous avons alors mené des discussions avec Monsieur Castex, pour aboutir à un partage des enjeux financiers.
S'y ajoutent les problèmes d'inflation et de coût de l'énergie. Dans mon seul département, le coût de l'énergie est passé de 4,5 à 11 millions d'euros. Dès lors je m'étonne quand j'entends parfois dire, aujourd'hui encore, et je l'ai indiqué au Président de la Cour des comptes, que les départements se portent bien, au motif que les droits de mutation sont élevés. C'est vrai qu'ils ont été élevés, mais je ne sais pas ce qui se serait passé si les droits de mutation n'avaient pas été à cette hauteur, et encore, ils ont été répartis inégalement. Certains départements sont aujourd'hui en très grande difficulté. Certains départements ne peuvent plus faire face et ne pourront pas équilibrer leur budget.
Je reviens des Ardennes, qui étaient les héritiers de gros investissements, notamment autoroutiers, pour lesquels ils avaient été appelés à participer par l'État. Aujourd'hui, cette charge subsiste. Ils perçoivent aujourd'hui des droits de mutation qui restent limités en volume même s'ils ont crû, et ils se retrouvent en grande difficulté.
Je voudrais insister aussi auprès de vous pour souligner que nous avons fait des efforts considérables. On nous parle de la différence qu'il y a avec la perception des droits de mutation. Certains commencent même à les revendiquer, en affirmant qu'il n'y a pas de légitimité à ce qu'il y ait des droits de mutation pour les départements. Je vous invite à y réfléchir sérieusement, parce que les droits de mutation sont un transfert de propriété qui est au coeur de l'action liée au logement. Qui fait des routes gratuites dans notre pays pour les usagers ? Qui les finance ? Ce sont bien les départements. Qui fait l'environnement du logement ? Qui aide les communes à refaire les places ? Pour tous ceux qui se posent la question de la légitimité, je vous le dis, il y aura vraiment une ligne rouge à l'égard du gouvernement au niveau de la remise en cause des droits de mutation dans nos départements.
J'ajouterai que nous sommes le seul niveau de collectivité à avoir fait un niveau de péréquation. Il faut d'ailleurs le protéger. Je reprendrai l'exemple des Ardennes : pour leurs 20 millions, ils ont touché une péréquation de plusieurs millions d'euros voire dizaines de millions d'euros.
Quand l'État nous annonce que nous ne remplissons peut-être pas tous nos politiques différenciées, il faut rappeler que la première des inégalités n'est pas celle dont nous abordons les compétences dont nous avons la charge. La première des inégalités, c'est que l'État ne nous donne pas les moyens, par un accompagnement vertical, de faire face aux missions qu'il nous confie. Nous finançons désormais à plus de 50 % les allocations individuelles de solidarité, à 54 % pour être précis, que ce soit l'allocation pour personnes handicapées ou le RSA. Certains affirment que le RSA nous coûte moins cher, car nous comptons moins de bénéficiaires. Or la hausse qui nous a été imposée nous coûte 2,5 millions d'euros supplémentaires par an, en année pleine. On nous annonce une hausse, en prétendant que la hausse est en réalité une baisse. Ce n'est pas sérieux. Ce n'est pas une bonne façon d'aborder la situation. Nous faisons face à des défis considérables (vieillissement de la population, maintien à domicile, question de la violence chez les jeunes, question de la psychiatrie chez les jeunes, etc.). On se sent parfois un peu seul. Quand vous n'avez pas de réponse psychiatrique dans un département, que peut-on faire des jeunes violents dans la rue ? On rencontre déjà bien des difficultés à les canaliser, ce qui relève de la justice, de la police ou de la gendarmerie, et de l'accompagnement sociétal et familial, mais il y a aussi tous les jeunes qui nous sont confiés et qui sont en situation de grave fracture. Parmi ces derniers, j'estime que 20 % à 30 % relèvent de soins psychiques et psychiatriques. Quand nous en parlons au gouvernement, il confirme qu'il faut former des psychologues et des psychiatres, et on se sent bien seul face à des cas de violence incroyable dans nos établissements. Comment faut-il réagir ? Les conduire au CHU pour une situation d'urgence ? Ils ne sont gardés que trois ou quatre heures, puis ils ressortent, soi-disant stabilisés. Et s'ils reprennent une crise, on les ramène encore à l'hôpital, où on les a déjà vus, mais il y a peu de lits dans les hôpitaux spécialisés. Le problème est aussi un problème de personnes et d'agents d'association, qui se mettent en déport, parce qu'ils estiment être eux-mêmes en danger et ne plus être en situation de garantir la sécurité dans les établissements accueillant les enfants dont ils ont la charge. Telle est la situation. L'État doit donner les moyens des objectifs qu'il fixe, sans se défausser de ses responsabilités vis-à-vis du soin médical, notamment psychique et psychiatrique.