Intervention de François Sauvadet

Délégation aux Collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 8 décembre 2022 à 9h00
Audition de M. François Sauvadet président de l'assemblée des départements de france adf

François Sauvadet, président de l'Assemblée des départements de France (ADF) :

Je pense qu'une quinzaine de départements sont dans une situation vraiment très compliquée. J'ai d'ailleurs demandé au gouvernement que leur situation soit étudiée et qu'un accompagnement soit envisagé. Au-delà de la question conjoncturelle, il ne faut pas négliger la question structurelle. Certains subissent un endettement après avoir été sollicités par l'État. J'attends des précisions sur la méthode. Il m'a été annoncé que la situation singulière de ces départements serait prise en compte, mais je n'ai pas reçu de réponse concrète. Alors que la période de préparation des budgets va s'ouvrir, certains départements, dont celui des Ardennes, sont en marge brute et en marge nette négatives. Ils n'ont pas les moyens de faire face.

Telle est la situation que nous connaissons tous. Dans ce contexte, dès lors que les charges augmentent dans un département, c'est problématique. Je prendrai l'exemple de on département, dont le budget atteint 560 millions d'euros. Du fait des augmentations diverses, des revalorisations salariales, du choc de la précarité, des allocations individuelles, de l'énergie et de l'inflation, la dépense progresse de 30 millions d'euros. Je tiens les budgets à votre disposition. Alors que la marge brute puis nette atteignait environ 40 millions d'euros, je ne peux que m'inquiéter. D'autant que le gouvernement a annoncé une baisse de mutation, un véritable choc de l'ordre de 2 %, 3 % ou 4 %. Je n'y crois pas. Le choc sera beaucoup plus lent mais violent. Ce ne sera pas le choc des années 2008-2009, quand les droits de mutation se sont effondrés de 50 %, mais la baisse sera tout de même tendanciellement assez forte, du fait de la hausse des taux d'intérêt, des difficultés d'accès au crédit, de la question du taux d'usure, etc. Ce dernier point est lié à la volonté étatique de mettre un frein à l'inflation, ce sur quoi le gouverneur de la Banque de France ne reviendra pas. Il ne faut pas non plus oublier les tensions dans les budgets des ménages ou le caractère anxiogène de la situation actuelle, qui n'encourage pas nécessairement à réaliser des acquisitions, sans oublier que les investisseurs dans des logements étiquetés E, F et G ne pourront plus mettre leurs biens en location dans les deux ans qui viennent. Nous sommes confrontés à toute une série d'indicateurs pessimistes, qui se ressentent dès maintenant avec un fléchissement des droits de mutation. Nous nous trouvons donc dans une période de forte tension sur la dépense, face à une baisse des droits de mutation qui se profile. Je l'estime dans mon département à 20 %. Dans le même temps, toute marge de manoeuvre financière a disparu, car les départements n'ont plus d'autonomie. Non seulement la situation n'est pas bonne, mais je crains une dégradation très forte.

Pour ma part, j'ai été parlementaire et membre d'un gouvernement. Je ne cherche pas à faire du lobbying. Face à une crise d'une telle ampleur, chacun doit se mettre en situation de responsabilité. Je vous le dis, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, cette situation est une situation clinique. Je tiens mon budget et les budgets des départements à votre disposition.

En plus de tout cela, nous faisons face à de nouveaux défis, notamment celui du changement climatique pour lequel, paradoxalement, nous nous retrouvons là aussi en première ligne. Nous sommes les premiers financeurs des services départementaux d'incendie de secours. Imaginez-vous le choc que nous subissons ? Auparavant, les feux de forêt suivaient une ligne Nord-Sud. Aujourd'hui, il y a des feux de forêt dans le Morbihan, dans le Sud-Est, en Gironde - et même des mégafeux -, ou dans l'Est de la France. Evidemment, la dimension zonale de l'organisation reprend tout son sens. Il va falloir réaliser des investissements pour permettre des prépositionnements. J'ai lancé une mission flamme sur ces sujets. Nous avons bien travaillé avec Jean-Luc Gleyze, ce dont Pascal Martin a bien conscience. Cette mission a rendu ses conclusions. Là aussi, ce sera un choc. Comme la situation est paradoxale, il faut bien mettre les choses à plat. Quand j'entends le Ministre de l'Intérieur déplorer que les départements ne reversent pas la taxe des assurances qu'ils perçoivent sur les SDIS, je ne peux pas y croire. Est-ce que quelqu'un peut rappeler l'Histoire de la constitution du versement de la taxe. Ce genre de requête est récurrente, d'abord avec le remplacement de la vignette, puis avec une partie des dotations. Une partie de la taxe nous est effectivement dédiée. Il demande que je reverse l'intégralité de la taxe ? La part dédiée aux SDIS dans mon département représente actuellement 8 millions d'euros. L'an prochain, ce total passera à 21 millions d'euros. Si la taxe n'était pas versée, comment faire contribuer les communes ? Comment l'État se montrera-t-il solidaire ? Le chef de l'État a annoncé 150 millions d'euros d'investissements à réaliser. Il faut que nous soyons aidés à ce niveau, mais aussi sur le financement. Nous avons demandé un fonds d'investissement, à hauteur de 150 millions d'euros à l'échelle du pays. C'est intéressant, mais est-ce à la hauteur du défi du changement climatique et des feux de forêt, qui nécessitent des moyens ? Assurément, non. Donc nous sommes en première ligne sur ce sujet. De surcroît, de façon paradoxale, nous sommes aussi devenus les premiers financeurs. Nous payons plus de la moitié de la charge des SDIS, l'autre moitié se partageant avec les communes. Or les communes importantes et les métropoles bénéficient d'un mécanisme de plafonnement à l'inflation. Tout effort différentiel est donc supporté par le département.

Sur la question du numérique, j'ai pris connaissance du débat sur l'IFER. J'ai été choqué que des compétitions se mettent en place entre niveaux de collectivités. Est-ce que l'IFER a vocation à être supprimée pour les départements ? Or qui a déployé la fibre dans beaucoup de départements français ? On le sait bien. La part de réduction de l'IFER est donc scandaleuse. C'est un mauvais signal. Le Sénat s'est bien tenu à ce sujet. Je salue d'ailleurs la qualité des relations de travail que nous avons avec le Sénat. Si vous n'étiez pas là, je crois que les départements ne seraient pas là non plus et que la France se porterait très mal ou encore plus mal. Voilà ma conviction profonde.

Revenons au défi de la transition numérique. Là aussi, nous sommes en première ligne. 30 % de notre temps d'agents est consacré à aider les familles en précarité ou en difficulté par rapport au numérique.

A l'heure actuelle, la vraie problématique qui se déroule devant nous alors qu'il est question de décentralisation est la suivante : qu'est-ce qu'on veut pour la France, qui fait face à une formidable mutation et qui subit un choc financier, énergétique et alimentaire ? Quel est le bon niveau pour agir efficacement pour les Français ? J'ai formulé 103 propositions qui émanaient du terrain. J'ai demandé à tous les départements de m'indiquer comment agir mieux. Nous débattons régulièrement au sein de l'ADF. Certains restent positionnés sur le schéma des compétences et des ressources y afférentes. Personnellement, je n'y crois plus, car nous engageons désormais une vision à 360 degrés. Quand vous parlez de l'enfance, vous parlez évidemment de la compétence responsabilité pénale du Président de département, mais aussi de la justice, du devenir de ces enfants qui commettent des actes violents. Est-on armé pour avoir de véritables chefs de file ? Avez-vous vu la difficulté que nous avons rencontrée, simplement dans la gestion des collèges, pour faire passer dans la 3DS la possibilité d'avoir un pouvoir d'injonction sur les gestionnaires de collèges ? Au final, vous l'avez voté en tant que législateur. Tout cela s'est terminé par un guide de bonnes pratiques qui suscite d'importantes difficultés de mise en place sur le terrain. Ce guide ne vise pourtant qu'à indiquer aux gestionnaires que nous voulons compter plus de 50 % de produits de proximité pour les achats alimentaires des cantines.

On nous reproche parfois de ne pas contrôler les EHPAD, mais comment réagir vis-à-vis d'un Directeur sur lequel vous n'avez aucun pouvoir d'injonction pas plus que de pouvoir pour le nommer. Souvenez-vous, pendant la pandémie, le Président département n'arrivait même pas à recevoir l'information du nombre de décès enregistrés à l'intérieur d'un établissement. Est-ce acceptable de fonctionner comme ça dans le pays, alors que nous sommes en charge de l'accompagnement et du prix de journée ? Il faut être très concret dans cette affaire. Il faudra en outre se mettre bien au clair sur les revendications. Le tourisme est une compétence partagée. A-t-on vraiment besoin de schémas touristiques régionaux visant à fixer les actions en matière touristique dans le département de la Côte d'Or ? Je viens de créer une marque, comme l'ont fait beaucoup de départements. Va-t-on recevoir à l'échelon régional une nouvelle tutelle, chargée de nous dire ce que nous devons faire ? C'est une question de fond.

De même, le sport est une compétence partagée. Nous qui sommes en première ligne pour Le Sport pour tous, Sport Handicap, etc. Or nous ne sommes même pas membres du bureau de l'Agence nationale du Sport. J'ai bien indiqué à son Président que le système allait devoir évoluer, sinon nous cesserons de payer. En outre, les schémas du sport sont désormais territorialisés à l'échelle de la région. L'État s'adresse à la région, puis c'est la région qui fixe le périmètre et nous demande d'obéir.

Il en va de même avec les espaces naturels sensibles. Il a récemment été question des problèmes de bassines. Croyez-vous que l'on va régler la question depuis Paris ou localement ? C'est en proximité qu'il faut agir, dans un dialogue constant avec la population. Les départements sont le bon échelon pour agir.

Je terminerai par un dernier exemple. Je suis propriétaire au titre du département de la Côte d'Or d'une ressource en eau, qui représente 30 % de la consommation d'eau de la métropole dijonnaise. Songez que j'ai le droit de produire de l'eau brute, mais pas de produire de l'eau potable. Comment pouvez-vous l'expliquer ? Comme aucun syndicat n'a la taille suffisante pour reprendre l'exploitation et la distribution en proximité, nous nous retrouvons avec une ressource d'eau que nous ne pouvons pas mobiliser. J'ai entendu le Président du Sénat et je suis content que la situation évolue. Il a indiqué qu'il faudrait que ce soit une compétence optionnelle. Si un département veut s'engager pour accompagner la profession agricole pour constituer des réserves stratégiques et s'engager pour accompagner la coordination de la production d'eau à l'échelle d'un département, pourquoi nous empêcher de le faire ? D'autant que nous sommes l'un des principaux financeurs de l'eau, aux côtés de l'Agence de l'Eau. On nous sollicite pour le financement, sans nous donner les moyens de déterminer une politique départementale, en lien avec l'État et avec nos partenaires, régions et maires. On entre dans un univers d'incompréhension totale.

Nous sommes donc confrontés d'abord à des injonctions nationales, et même si une amélioration du dialogue avec le gouvernement est à noter, la technostructure reste stable.

Ensuite, nous sommes confrontés avec un échelon régional qui n'a pas la capacité à faire sur le terrain, mais qui décide du cadre général sur lequel nous intervenons. Il va falloir faire évoluer ce cadre, sinon nous subirons un double effet. Le premier effet portera sur les conséquences de l'absence d'autonomie financière, avec un étranglement des départements. L'investissement sera alors la première victime. Or l'investissement est territorialisé, c'est-à-dire qu'il est essentiellement mené en direction du monde rural.

Deuxième conséquence de cette situation, on tombera dans l'inertie. Quand le gouvernement nous dira d'agir, nous n'agirons pas. Quand il lancera des appels à projets, nous ne répondrons plus. Je l'ai expliqué au gouvernement. Il faut se saisir point par point des empêchements d'agir, sans quoi nous entrerons dans une période de grandes turbulences territoriales.

Nous avons vu passer la crise des gilets jaunes. Si la situation se poursuivait, sans que des réponses concrètes soient apportées aux départements pour agir aux côtés des Côte-d'Oriens comme aux côtés de tous les départements français, je puis vous affirmer qu'on ira vers des mouvements incontrôlés, des violences infrafamiliales ou des violences périphériques. Je crains fort une montée de ces violences.

Je vous remercie vraiment d'organiser régulièrement des rencontres avec les acteurs de terrain que nous sommes. Je sais que vous vous connaissez bien ces situations, en tant que Sénateurs et Sénatrice. En tous cas, ça vaut le coup de croiser notre appréciation de la situation, pour agir mieux au service de nos compatriotes. Dans toute réforme, il faut se demander si le système qui est mis en place est efficace. Pour ma part, j'accepte que nos capacités à faire soient testées et évaluées, mais il faut nous laisser agir.

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