Intervention de François Sauvadet

Délégation aux Collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 8 décembre 2022 à 9h00
Audition de M. François Sauvadet président de l'assemblée des départements de france adf

François Sauvadet, président de l'Assemblée des départements de France (ADF) :

Merci, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Madame la Présidente. Sur la question du juste prix en cas de transfert de compétences, on vient de le constater encore récemment, avec le transfert des routes nationales. La situation est extrêmement complexe. On nous demande un accord de principe, en soulignant que nous en connaissons l'armature et le mode de calcul, puisque cela renvoie à de précédents transferts. En tous cas, pour l'instant, le sujet n'avance pas très vite, mais vous voyez déjà les premières conséquences de l'effet ciseaux. Il n'y a plus que quinze départements français qui ont fait acte de candidature pour le transfert des routes nationales. Selon moi, c'est là un double indicateur, d'abord de la difficulté de la méthode mise en place par le gouvernement. Alors que je souhaite récupérer une autoroute, les éléments constitutifs du transfert ne m'ont toujours pas été remis. Je souhaite obtenir cette autoroute, parce qu'elle constitue un enjeu majeur dans mon département. Je veux également maintenir sa gratuité, mais je sais que c'est un effort qu'il va falloir mesurer concrètement. Vous voyez donc comment se pose le problème, qui est un problème de méthode et un problème d'effet ciseau.

Par ailleurs, je rejoins votre analyse, Madame la Présidente, quand vous dites qu'il faudrait transférer la médecine scolaire ou les AESH. Si les départements n'en veulent pas, ce n'est pas parce qu'ils sont mauvais pour la France, mais parce qu'ils n'ont pas les moyens et qu'ils n'ont pas l'assurance d'une étude d'impact et des conditions du transfert. Nous rencontrons déjà beaucoup de difficultés pour recruter des médecins de PMI. De son côté, la situation scolaire est indigente. Vous l'avez dit. Évidemment, il faut redonner de la cohérence, et je souhaite qu'il y ait une vraie mission, avec une étude d'impact et une clause de revoyure, en fixant un cap atteignable. Là aussi, il est possible d'innover, en s'appuyant par exemple sur des infirmières en pratique avancée. Les enfants du département sont par exemple tous vus par les services de PMI, ainsi que par des infirmières en pratiques avancées, puis le médecin intervient si des difficultés sont identifiées. Il s'agit alors d'optimiser pour obtenir une réponse maximalisée et généralisée. Ainsi, tous les enfants sont vus avant quatre ou cinq ans, puis nous les perdons. Nous ne les revoyons que s'ils se retrouvent dans une situation détériorée, confiée par le juge ou par décision administrative. Il y a clairement des trous dans la raquette. La cohérence doit progresser, pour que nous puissions assurer un meilleur suivi des publics. Dans le contexte actuel, les départements ne sont pas prompts à reprendre des charges dont il ne serait pas vérifié qu'elles seraient supportables et compensées. D'expérience, ce sont plutôt les difficultés qui sont transférées, sans les moyens qui vont avec.

Vous évoquez par ailleurs les difficultés d'application de la loi, sur l'aspect conventionnel lycée-collège. C'est aussi simplement un problème d'application de l'esprit de la loi. Les gestionnaires ne font pas preuve d'empressement dans la mise en place du guide, pour que nous ayons un pouvoir d'autorité sur les gestionnaires. Je le mettrai en oeuvre dans mon département. J'irai jusqu'au bout de la démarche. D'ailleurs, si vous le voulez, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous rendrai compte des conditions dans lesquelles l'application de la loi se fait, dès lors que l'administration tente d'en ajuster les contours à sa convenance.

S'agissant ensuite du financement des SDIS, pour répondre à Pascal Martin, je crois d'abord qu'il nous faut nous remettre à niveau. L'idée est d'abord que chaque habitant participe à l'effort contributif des collectivités, à due proportion, par l'intermédiaire de sa commune. Ainsi, Dijon regroupe la moitié de la population de mon département. Je verse 21 millions d'euros quand Dijon en verse 8, car il y a eu un décrochage du fait de l'effort consenti par les départements. Tout effort supplémentaire est pris en charge par les départements, hors inflation. A populations égales dans un même département, il en découle un décrochage. Il faudrait donc d'abord se mettre au clair là-dessus entre collectivités.

Ensuite, vous avez raison, la sécurité est une compétence d'État, sachant qu'un décrochage en matière de sécurité civile va s'observer. Nous allons connaître de nouvelles fractures en matière de sécurité civile. Il en existe déjà. Je les vois poindre. J'ai d'ailleurs insisté, lors du congrès de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, sur la nécessité de tout mettre en oeuvre dans notre pays pour éviter de nouvelles fractures dans la prise en compte de la sécurité civile, selon les départements qui auront les moyens ou non de faire face. Il appartient à l'État d'y veiller.

Thierry a par ailleurs posé une très bonne question. Qu'est-ce qu'une vraie décentralisation ? C'est d'abord nous permettre d'accomplir nos compétences, dans de bonnes conditions. Commençons par nous mettre d'accord entre nous, régions, départements et intercommunalités. Il faut que nous nous parlions franchement. Pourquoi suis-je favorable à Territoires unis ? Parce que nous nous y retrouvons sur l'essentiel, pour dire ensemble qu'il faut des libertés locales, pour agir mieux pour les Français, parce qu'on agit mieux en proximité qu'au plan national. C'est le plan national, l'État, qui doit nous assurer la capacité à répondre aux problématiques des Français. Or, les problématiques de Seine-Saint-Denis ne se traiteront pas comme les problématiques d'autres départements, alors que les difficultés sont les mêmes pour les Français. Mais les conditions d'environnement sont différentes. L'État doit garantir l'équilibre territorial et l'équité territoriale. Telle est la vraie décentralisation. Or, ça n'est pas fait. Je pense donc qu'il faut réfléchir par blocs de compétences, ce qui rejoint la question de Pascal Martin. Je rappelle qu'il est question de garantir la présence de nos collèges, qui se joue parfois à quelques élèves. De notre côté, nous assurons la sectorisation, puis quand on contacte la région pour nous assurer du transport scolaire, elle le rejette comme trop coûteux. L'incompréhension de nos compatriotes est alors totale. Ils ne savent pas qui est responsable. Il est tout de même surprenant de nous demander de nous débrouiller entre nous. Ces situations sont incompréhensibles, d'autant que nous gérons le transport du handicap, qui peut être décalé. On pourrait tout à fait donner de la cohérence dans les déplacements, pour que la personne assure du transport scolaire et travaille jusqu'à midi ou 13 heures, avant qu'un autre reprenne le relais. Ainsi, des postes seraient constitués. Il nous est répondu que c'est impossible. Alors que faire ? Faut-il rester dans cette situation ?

Il est logique que le peuple exprime une parfaite incompréhension. Pourtant, on s'étonne de la colère qui s'exprime dans les urnes. C'est ce qu'il faut simplifier. Ensuite, j'étais hostile aux contrats de Cahors. Je vous l'ai dit. Je ne les ai pas signés. J'ai constaté que certains qui y étaient hostiles les ont finalement signés. C'est la liberté locale, que je prône de manière permanente. Je ne ferai donc aucun commentaire, si ce n'est celui que je garde pour moi.

En tant que responsable politique, comme vous l'êtes aussi, je sais que la situation de notre pays est gravissime. Qui en est responsable ? Il faut déjà arrêter les dépenses et la multiplication de distributions de chèques. C'est au gouvernement que va revenir l'addition et il va falloir regarder les conséquences.

À mon sens, notre pays dans son ensemble peut être confronté à d'énormes difficultés si l'on n'adresse pas des signaux pour rassurer des marchés financiers. Vous le savez et je le sais. Or, je sais que les collectivités territoriales ne sont pas responsables de la dégradation de la finance publique. Je renvoie donc chacun à ses responsabilités et je m'arrêterai là. Cela dit, en responsabilité, si on me dit qu'il faut adresser un signal que nous allons maîtriser la dépense publique, en tant que responsable politique je confirmerai qu'il faut maîtriser la dépense publique. En effet, on ne pourra pas tenir dans la durée à continuer à dépenser plus. Comment bâtir ce langage de responsabilité ? Il faut le bâtir comme le Sénat l'a proposé. Je ne serais pas allé jusqu'à un effort équivalent, mais il faut mettre en place un effort proportionné. Les collectivités doivent témoigner au peuple qu'elles ont conscience de ses souffrances, mais qu'elles ne veulent pas augmenter la dépense publique mais la réorienter dans leur direction, pour plus d'efficacité. Telle est la question de fond.

Je suis donc favorable à la trajectoire, parce que je ne veux pas de la situation allemande, qui a dû faire face à des difficultés d'accès à des financements, pas simplement à Bruxelles mais sur les marchés financiers. Je suis prêt à en discuter, mais il faut en discuter sérieusement. On ne peut nous demander d'accélérer les dépenses pour faire face aux difficultés des Français tout en freinant la dépense en la contingentant.

J'ai demandé plusieurs choses et j'espère d'ailleurs pouvoir compter sur votre appui. En premier lieu, toutes les dépenses non pilotables, dont nous ne sommes comptables ni de leur montant ni de leur volume, c'est-à-dire toutes les allocations individuelles de solidarité (AIS), doivent être sorties du jeu. Ce serait incompréhensible de nous demander des efforts sur des AIS dont nous ne fixons pas le montant.

Deuxièmement, j'ai mis en garde le gouvernement sur tout ce qui est contractualisé, comme les plans pauvreté ou les plans mis en place avec un regard croisé. Faut-il imposer un contingentement des sommes contractualisées sur le champ social ? J'ai bien indiqué au gouvernement que les départements ne s'engageront plus dans des démarches de contractualisation, à cause des coûts financiers, ou si le gouvernement les fait entrer dans un contrôle des dépenses.

Troisième chose, j'ai demandé au gouvernement une clause de revoyure en 2024, pour regarder le niveau d'inflation réel autour duquel s'arbitrera le 0,5. Ensuite, je prône une conception non pas individualisée du contrat, mais une conception collective. La masse des dépenses du département devra être au 0,5 en dessous de l'inflation. C'est un effort qui semble acceptable, en tous cas qui est proposé par le gouvernement. Ce n'est pas un contrat, mais un engagement. Pour ma part, je ne signerai aucun contrat, car je n'accepte pas la mise sous tutelle. Je n'ai pas besoin d'un préfet qui me dise ce que je dois faire. Le préfet doit d'abord s'assurer de mon contrôle de légalité. Pour ma part, j'ai la légitimité du peuple pour aller conduire des missions et c'est à lui que j'ai des comptes à rendre en premier lieu, et seulement ensuite au préfet. C'est d'ailleurs ce même langage qu'a tenu le Parlement et notamment le Sénat. Je me suis retrouvé dans vos propos. Bien sûr, cette position n'est pas partagée par tous les départements de France, mais je pense qu'une large majorité se dégage sur la ligne que je vous propose. La trajectoire est connue : clause de revoyure, 0,5 % sur l'inflation, constat de l'inflation 2024, pas d'année blanche, prise en compte de l'année 2023, etc.

Pour ce qui est de simplifier l'impôt local, je ne sais pas comment faire. En tous cas, le mouvement qui consiste à affirmer que l'on nous donnera des dotations de l'État et qu'il faudra discuter avec l'État en permanence sur les budgets ne convient pas. Ce n'est pas une approche qui favorise la liberté ou l'autonomie dont je rêve pour nos collectivités. Nous avons besoin d'un impôt avec une possibilité de taux. Donnez-moi une possibilité de variation du taux. Nous avons demandé l'évolution des taux sur les droits de mutation. On nous l'a toujours refusée. Dans le principe, je pense qu'il n'y a pas d'autonomie et de liberté locale sans autonomie fiscale. La question du transfert me fatigue. Comment avons-nous passé la grave crise financière de 2008-2009, avec sa chute de moitié des droits de mutation ? Nous disposions de leviers, comme le levier du foncier bâti. Nous avons décidé de faire face tous ensemble. Je l'ai expliqué à mes compatriotes. Ils ont accepté cet impôt nouveau, pour compenser et continuer d'agir. Que puis-je faire aujourd'hui, face à la baisse ? Je n'aurai d'autre choix que celui de me tourner vers le préfet, pour lui tendre les clés du département et lui demander d'agir à ma place, car je ne sais plus comment faire. Nous n'avons plus de marge. Il faudra donc réinventer une fiscalité dans laquelle nous aurons un pouvoir de taux. L'idée selon laquelle l'argent vient d'ailleurs n'est pas une idée saine en démocratie. Il faut connecter l'impôt territorial avec une logique de retour sur l'impôt payé localement. Cela s'appelle les droits et les devoirs d'une société. Il faut réinventer ce système. Or, nous avons passé notre temps à le supprimer. Qui en a voulu ainsi ? Certainement pas les collectivités locales. C'est la responsabilité de l'État central, car il ne reste rien quand l'État nous tient par les finances et par la compétence. Je tiens à le redire : nous n'avons pas vocation à être des sous-traitants de l'État. En tous cas, je ne me suis pas engagé dans l'action publique pour être un sous-traitant de l'État. Je veux avoir la capacité d'innover.

Pour sa part, la question des transports scolaires est totalement dysfonctionnelle. Il faut la régler en proximité avec les élus locaux et les maires, en adaptant le système de transport selon la réalité territoriale, sinon vous générerez des insatisfactions.

S'agissant enfin des AESH, le principe est le même que pour la médecine scolaire. Il faut vraiment être au clair là-dessus et qu'aucune charge ne nous soit transférée.

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