Intervention de François Sauvadet

Délégation aux Collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 8 décembre 2022 à 9h00
Audition de M. François Sauvadet président de l'assemblée des départements de france adf

François Sauvadet, président de l'Assemblée des départements de France (ADF) :

Un autre point n'a pas été soulevé : les conséquences du changement de l'indemnisation chômage sur le RSA. Nous avons déjà noté une remontée du RSA, comme je vous le disais tout à l'heure, ce qui vient contredire les arguments du gouvernement, selon lequel une hausse était une baisse. Or, de façon tout à fait pratique, une hausse n'est jamais une baisse, sinon on l'appelle une baisse, voire un statu quo. Je me suis d'ailleurs entretenu de ce tour de passe-passe avec Bruno Le Maire, pour que nous soyons bien d'accord sur la syntaxe.

S'agissant du conseiller territorial, chacun a son avis sur le sujet. Je ne suis pas mandaté par les départements de France pour avoir une position là-dessus. D'une manière très générale, je crois que l'ensemble des départements n'est pas pressé de rentrer dans des discussions sur le conseiller territorial, face aux difficultés devant lesquelles ils se trouvent. On peut en faire l'économie. C'est ce que j'ai exprimé à la tribune des départements de France, en disant qu'il y avait d'autres urgences que de revoir le mode électoral des conseillers. Il vaut mieux aborder ces sujets en des temps plus calmes, ce qui n'exclut pas de pouvoir y réfléchir. À mon sens, un conseiller territorial serait intenable dans une de nos grandes régions actuelles. Elles sont trop grandes selon moi. Si vous voulez respecter à la fois la parité et le binôme, alors vous aurez des assemblées pléthoriques, à 200 ou 300 personnes, ce qui n'est pas tenable.

Ensuite, on pourrait conserver l'échelon et faire siéger dans les deux instances un pourcentage des élus, à due proportion de leur groupe dans l'échelon supérieur. Cela me paraît bien compliqué. En tous cas, je n'ai pas mandat pour entrer dans ce sujet et je n'y entrerai pas. En tant qu'élu, à titre personnel, je pense que ce n'est pas le moment d'ouvrir un tel sujet, quand le peuple est confronté à tant de difficultés. Je l'ai dit au gouvernement, ce qui ne signifie pas qu'il ne faut pas se préparer à ces sujets, mais il vaut mieux concentrer toute notre énergie pour améliorer les conditions d'action de chaque niveau d'activité et de chaque niveau de compétence. Il faut donner un socle de capacité à agir à chaque échelon.

Tout le monde a conscience que l'on a besoin des départements, tout comme on a redécouvert l'importance des maires avec la crise des gilets jaunes. Pour ma part, j'avais l'impression d'être vraiment perçu comme un ringard quand, pendant 24 ans à l'Assemblée nationale, je disais que chaque commune compte parce que chaque habitant compte. Dans un grand pays, quand on a la chance d'avoir ce socle républicain, il faut le préserver, même si ce sont des petites communes et même s'il y a peu d'élus. C'est un engagement territorial et une assurance républicaine territoriale. Ma circonscription électorale de députés comptait 343 communes. Personne ne doute de la pertinence de l'échelon départemental pour agir au quotidien. 370 000 agents sont répartis partout, sur tout le territoire. Ils sont en capacité d'agir, pour distribuer des masques ou aller au secours d'une famille. Nous disposons de centres routiers et de services sociaux qui connaissent les familles. Qu'est-ce qu'il est prévu de faire des départements ? Je vois bien poindre une certaine idée. Je l'ai entendu exposée par le Président de la République : comme l'État finance le social, il va reprendre en main le social. À chaque fois qu'une crise ou une difficulté est enregistrée dans une maison de l'enfance, on ne se demande pas pourquoi cette difficulté a émergé. On ne démonte pas la mécanique de la responsabilité de chacun. Sur ce point, je redis toute la confiance que j'ai pour tous nos agents et tous nos salariés du champ social, y compris dans la protection de l'enfance, qui est devenue extraordinairement difficile, parce que la violence est là. Veut-on faire des départements les sous-traitants de l'État ? L'État va-t-il reprendre la compétence sociale ? Les DDASS d'antan géraient-elles mieux la problématique de l'enfance que nous ? Pense-t-on raisonnablement répondre aux difficultés en éloignant les centres de décision et en laissant l'État faire des départements son bras armé et ses sous-traitants, au moment où le peuple aspire à plus de proximité ? Est-ce que les départements sont les services déconcentrés de l'État ? Non, même si nous avons un dialogue constant avec les services de l'État, parce que ces missions sont aussi exercées en partage, nous pour agir en proximité et en humanité, et le gouvernement pour nous donner les impulsions de ce qu'il souhaite faire pour le pays, en fonction des engagements présidentiels et parlementaires.

Par ailleurs, avons-nous vocation à être les acteurs de décisions prises à l'échelon régional, alors que nous sommes acteurs nous-mêmes sur le terrain ? Ça vaut pour la politique de l'eau. Ça vaut pour les espaces naturels sensibles. Nous savons parfaitement que tout cela se règle en proximité. Va-t-on laisser en permanence l'État discuter de schémas régionaux, dans lesquels nous ne sommes parfois même pas associés ? Je ne sais pas ce qui se passe dans les contrats de plan. Nous ne participons qu'à une consultation sur les SRADDET, puis le résultat nous est exposé. Est-ce bon pour le pays ? Je ne le crois pas.

Dans une région comme la mienne, en Bourgogne-Franche-Comté, y a-t-il une communauté de destins et d'approches entre la Nièvre, qui avait déjà du mal à se sentir bourguignonne, et le Territoire de Belfort, qui regarde vers l'Alsace ? Certaines régions disposent d'un périmètre, comme l'Ile-de-France, mais est-ce que ce fonctionnement a du sens pour nous ? Telle est mon interrogation.

En tous cas, je vous le dis dans l'intérêt du pays, en tant qu'ancien conseiller régional et ancien parlementaire, je ne suis pas là pour défendre des boutiques. En revanche, je veux défendre l'idée départementale, parce que je trouve que c'est une idée moderne. C'est en outre une idée qui correspond à l'attente du peuple. C'est également une idée culturelle. On est de sa commune, de son département, puis de son pays. Je pense donc que c'est une idée qu'il faut réactiver, parce que c'est l'idée de la proximité. C'est la bonne réponse à apporter. Il convient ensuite de mener une évaluation et s'assurer que tous sont traités de la même manière, mais j'y crois.

J'entends ceux qui défendent le niveau régional. Il faut alors que les régions s'occupent de l'économie, des grandes stratégies régionales et qu'on revienne à l'essence même de leur constitution, en nous laissant agir dans les domaines de proximité, de la vie quotidienne.

Je tiens enfin à attirer vraiment votre attention sur un ultime sujet, le sujet de l'eau. Le système français va progressivement s'apparenter à ce qu'ont connu certains grands pays comme l'Australie ou les États-Unis avec la Californie, etc. Le prix de l'eau va baisser dans les métropoles et les grandes villes et va exploser dans le territoire rural. Dans la structuration actuelle, seuls quelques départements jouent la carte de la mutualisation, comme l'Aube ou la Gironde, qui ont mutualisé leur production d'eau. Ces départements ont essayé de mettre en place des interconnexions. C'est le cas de l'Allier, par exemple. Le transfert aux communautés de communes va conduire à d'immenses difficultés, alors que les communautés de communes sont déjà exsangues. Il faut penser aux territoires ruraux qui n'ont pas suffisamment mobilisé en leur temps les moyens de renouvellement des réseaux. Il y a notamment beaucoup de réseaux fuyards. Dans le même temps, l'échelle des communautés de communes ne pourra pas résister face à un changement climatique qui va se traduire par une baisse du niveau des ressources. En matière de compétences, il faudra -pour les départements qui le souhaitent- la possibilité d'intervenir dans la production d'eau potable et directement dans le sujet des interconnexions. Ceux qui l'ont déjà fait peuvent continuer à le faire, mais ceux qui voudraient le faire aujourd'hui ne le peuvent plus. Dans mon département, je suis empêché d'agir par une vision trop stricte de la loi. Il m'est impossible de développer la production d'eau. En revanche, je suis sollicité pour financer. Au bout du compte, j'arrêterai le financement. Je le dis tout net. Si la loi n'évoluait pas, j'arrêterais le financement. On ne peut continuer à être un simple cofinanceur, sans avoir une vision d'ensemble à l'échelle d'un périmètre, du bassin et du département. Il faudra parvenir à une mutualisation du prix de l'eau entre métropoles, au risque d'arriver à une situation insupportable. Sinon, le monde rural en arrivera à chercher de l'eau dans le monde rural, avec des contraintes légitimes, et à la ramener en ville. Tandis que le prix de l'eau se stabilise, voire baisse dans certaines villes, il est en train d'exploser à la campagne. Parfois, on revend même de l'eau dans le périmètre. Au fond, on accélère le phénomène de densification, car sans eau, pas de développement. Dès lors que la ville se densifie, de l'eau en quantité suffisante lui est apportée, puis l'eau disponible est ensuite répartie.

J'ai récemment assisté à une scène édifiante, avec une entreprise installée en périphérie de métropole. Elle a quitté son lieu d'implantation pour s'installer sur le territoire métropolitain, au motif que le prix de l'eau y était moins élevé. Vous qui êtes au plus près de nos compatriotes, il faut vraiment que vous vous saisissiez de ce sujet.

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