Intervention de Philippe Bodenez

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 13 octobre 2022 : 1ère réunion
Étude sur la gestion des déchets dans les outre-mer — Table ronde sur les aspects sanitaires de la gestion des déchets dans les outre-mer

Philippe Bodenez, chef du service des risques sanitaires liés à l'environnement, des déchets et des pollutions diffuses :

En ma qualité de chef du service des risques sanitaires liés à l'environnement, des déchets et des pollutions diffuses, je peux m'appuyer sur une sous-direction en charge de l'économie circulaire et des déchets et sur une sous-direction en charge des enjeux de santé-environnement. Le conseil national de l'économie circulaire nous permet de discuter avec l'ensemble des parties prenantes, techniques ou politiques. La présidence de ce conseil reste néanmoins à pourvoir depuis les dernières élections législatives.

Notre service assure la cohérence entre la gestion des déchets et la prise en compte des impacts environnementaux de certaines pratiques. Nous menons plusieurs actions pour réduire l'impact d'une gestion des déchets déficiente sur les épidémies de dengue transmises par des moustiques. Ainsi, s'agissant des véhicules hors d'usage, dans lesquels les insectes peuvent pulluler, nous avons mis en place un plan de reprise des véhicules hors d'usage par les constructeurs automobiles. Ce plan permet de faire financer par ces derniers la reprise de véhicules hors d'usage. À ce jour, 21 437 véhicules hors d'usage ont été repris, dont 9 000 en Martinique, 4 000 en Guadeloupe, 6 000 à La Réunion, 400 à Mayotte et 2 000 en Guyane. Ces véhicules ont été récupérés dans l'espace public, mais nous avons récemment adopté des dispositions permettant de renforcer la prise en charge de ces véhicules dans des zones privées. De plus, un dispositif de police inscrit à l'article L.541-3 du code de l'environnement permet, lorsque le propriétaire d'un véhicule hors d'usage ne satisfait pas à l'obligation de remettre son véhicule à une filière agréée, de se substituer à celui-ci et de venir faire enlever le véhicule, afin de le déposer au centre VHU.

Nous avons également renforcé les obligations législatives et réglementaires, afin de faciliter la prise en charge de ces véhicules. À l'époque, nous estimions que 60 000 véhicules étaient concernés. Aujourd'hui, nous en sommes donc au tiers et le plan de reprise des véhicules hors d'usage se poursuit.

Une autre disposition figure dans la loi et vise à faire du sujet des véhicules hors d'usage un objet des filières dites à responsabilité élargie des producteurs (REP). Ainsi, à compter du 1er janvier 2023, une filière à responsabilité élargie des producteurs doit être mise en place pour les véhicules, dans laquelle les constructeurs financent ou traitent directement les véhicules hors d'usage. Jusqu'à présent, le système était équilibré financièrement dans l'Hexagone, mais ne l'était pas dans les territoires d'outre-mer ; notre objectif est d'harmoniser les règles qui s'appliqueront dans la collecte et la gestion des véhicules hors d'usage, dans l'Hexagone comme en outre-mer. À l'époque de l'adoption de la loi, en 2020, nous nourrissions des inquiétudes particulières pour les outre-mer. Nous avons donc favorisé le développement des éco-organismes dans les territoires d'outre-mer. Lorsque le taux de collecte, de tri ou de valorisation de déchets dans une filière REP est inférieur à la moyenne nationale, les éco-organismes doivent renforcer leurs financements pour permettre un retour à la normale dans la collecte et la valorisation des déchets.

Nous avons également mis en place une filière REP dans le domaine des piles et accumulateurs, incluant les batteries de voiture. Cette filière est imposée par la Commission européenne. Les deux éco-organismes chargés de cette collecte doivent déployer des plans de prévention et de gestion des déchets spécifiques aux outre-mer, afin de rattraper le retard pris.

Enfin, les pneumatiques sont des gîtes larvaires. En 2020, nous avons fait voter un article de loi prévoyant la réintégration des pneumatiques dans la législation relative aux filières REP. Jusqu'à présent, au niveau des producteurs, le volontariat était de mise dans la collecte des pneumatiques. Nous travaillons sur les textes d'application de la loi, afin de disposer d'une filière REP pour la reprise des pneumatiques. En outre, la loi de 2020 permet désormais d'impliquer les éco-organismes dans la gestion des dépôts sauvages. Lorsqu'un dépôt sauvage est repéré, il est désormais possible de demander aux éco-organismes de financer la reprise de ces déchets au prorata de la composition des déchets.

Globalement, la gestion des déchets en outre-mer présente une difficulté intrinsèque : le manque de disponibilité de filières de traitement et de valorisation des déchets. Ce manque de filières industrielles rend nécessaire l'acheminement des déchets vers l'Hexagone.

Dans certains cas, il serait possible de développer des filières locales, notamment dans le domaine de la surveillance et du contrôle. Les incendies survenus dans des décharges en Martinique entre octobre 2021 et janvier 2022 sont liés aux difficultés de gestion, l'incinérateur étant alors à l'arrêt. Ils ont produit des fumées qui ont pu exposer les riverains à des substances toxiques. Lorsque les services de la préfecture ont voulu réaliser des analyses, il a été difficile de mobiliser les laboratoires du Réseau des intervenants en situation post-accidentelle (Ripa) dans un délai inférieur à dix jours. Nous devons donc renforcer la disponibilité des laboratoires dans les territoires d'outre-mer ou faire venir plus rapidement des laboratoires pour effectuer des prélèvements et des analyses. L'association de contrôle de la qualité de l'air locale, Madininair, ne disposait pas non plus des moyens permettant d'effectuer des mesures dans la zone des incendies. Nous devons ainsi travailler non seulement sur les filières de gestion, mais aussi sur les moyens déployés en réaction à des accidents.

Concernant l'incinération, le débat est propre à la France. Cela s'explique par le fait que durant une longue période, les incinérateurs de déchets n'étaient pas conformes à leurs arrêtés d'exploitation, ce qui a généré des craintes au sein de la population. Le domaine de l'incinération est aujourd'hui l'un des plus contrôlés et des plus suivis. Les incinérateurs doivent respecter les dispositions de la directive européenne sur les effluents industriels. Cette directive prévoit périodiquement une mise à jour des réglementations techniques applicables sur l'ensemble du territoire européen. Nous avons donc récemment mis à jour l'arrêté ministériel du 12 janvier 2021 sur ce sujet. De nouveaux paramètres en sortie d'incinérateurs ont ainsi été fixés. En outre, de nouvelles techniques de dépollution à la sortie des cheminées sont régulièrement imposées. Dans ce contexte, les règles s'appliquent dans l'Hexagone comme dans les outre-mer.

S'agissant des déchets de soins à risque infectieux, deux types de traitement coexistent : l'incinération et la banalisation. Ce second procédé permet d'éliminer les bactéries présentes dans les déchets avant leur remise aux filières d'enfouissement locales. Dans les Antilles, 823 tonnes de déchets de soins à risque infectieux ont été incinérées dans ces conditions en 2021.

En outre, le soutien à l'éco-organisme chargé de la collecte des déchets de soins à risque infectieux chez les particuliers a été renforcé. L'année dernière, le taux de collecte des déchets de soins à risque infectieux s'établissait à 82 % dans l'Hexagone et à 75 % dans les outre-mer ; un rattrapage progressif est mis en place dans les outre-mer, notamment en Guyane où le taux n'est que de 40 %. À ce titre, des campagnes de communication sont menées. Enfin, la procédure de renouvellement de l'agrément de l'éco-organisme est en cours. Celui-ci devra notamment transmettre, d'ici à mi 2023, un plan de prévention et de gestion des déchets en outre-mer. Nous attendons des progrès en la matière, notamment en Guyane.

Concernant les sargasses, la DGOM a mis en place un plan interministériel de lutte contre les sargasses en 2022. Selon la DGPR, il est impératif de renforcer la stratégie de broyage des sargasses collectées en mer. En effet, lorsque celles-ci sont à terre, elles sont très difficiles à gérer, car elles sont chargées en métaux lourds, en chlordécone et en sel. Nous travaillons avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) pour sécuriser les stockages qui posent problème aujourd'hui, afin d'éviter les émanations d'hydrogène sulfuré.

S'agissant des déchets miniers, une réglementation européenne de 2006 a été transposée en France en 2010 par un décret et plusieurs arrêtés ministériels. L'un de ces arrêtés porte sur les installations de stockage de déchets miniers.

Pour rappel, plusieurs activités minières coexistent. L'exploitation alluvionnaire par procédé mécanique génère surtout des déchets inertes avec une toxicité faible. Le danger survient lorsque l'exploitation se déroule dans un cadre illégal avec l'emploi de mercure pour faciliter l'extraction de l'or. Des plans ont été mis en place avec la Gendarmerie nationale pour démanteler les camps de mineurs illégaux en Guyane, c'est un travail de Pénélope. Par ailleurs, sur ce territoire, une unité légale de traitement du minerai n'est pas alluvionnaire et génère des résidus miniers après traitement chimique. Ces résidus sont d'une part les stériles miniers, qui représentent d'importants volumes non toxiques, et d'autre part les résidus miniers post-traitement chimique du minerai. Ceux-ci peuvent contenir des métaux lourds ou des substances qui ont été utilisées dans le cadre du traitement chimique de ces minerais. En Guyane, nous disposons d'une installation de stockage de ces déchets miniers. Celle-ci est soumise à un arrêté préfectoral et doit répondre aux conditions définies dans l'arrêté qui transpose la directive européenne sur les stockages. Les enjeux portent sur la stabilité des stockages (digues) et sur les substances chimiques pouvant émaner des stockages. Sur ce second point, des prélèvements sont régulièrement effectués afin de s'assurer de l'absence de contamination de l'environnement.

La Nouvelle-Calédonie est l'autre territoire marqué par une activité minière conséquente. Trois grandes usines de traitement y sont implantées, dont deux usines pyrométallurgiques et une usine hydrométallurgique. Les compétences en matière de contrôle appartiennent aux provinces ou à la Nouvelle-Calédonie. Le traitement des déchets est effectué de manière industrielle, à travers des parcs à stériles miniers et des stockages de résidus miniers. Plusieurs initiatives ont été lancées pour évaluer l'impact sanitaire de ces déchets sur les populations locales. À titre d'illustration, une initiative portée par la Direction des mines de Nouvelle-Calédonie (DIMENC), vise à mesurer le niveau d'imprégnation des populations locales à un certain nombre de polluants qui peuvent être émis par l'activité minière tels que le nickel, le chrome, le cobalt et le manganèse. Une surexposition éventuelle des populations riveraines est également recherchée. Aujourd'hui, des études sont menées pour déterminer si les rejets liés aux activités minières peuvent être à l'origine de pathologies. En tout état de cause, ces activités font l'objet de dispositions de contrôles. L'exploitation du nickel peut conduire à des émanations de poussières ; des travaux sont en cours pour les limiter.

S'agissant des déchets nucléaires en Polynésie française, la France a procédé à des expérimentations nucléaires entre 1966 et 1996 dans le centre d'expérimentation du Pacifique situé dans les atolls de Mururoa et de Fangataufa. Des déchets ont été immergés entre 1966 et 1976 dans cette zone, mais aussi au large de l'atoll d'Hao. Certains déchets ont été stockés sur place dans des puits à Mururoa. Les quantités de déchets figurent à l'inventaire national de l'ANDRA, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs. 4 192 m3 de déchets de haute activité, les déchets les plus dangereux, ont été générés à l'occasion de ces expérimentations. Les déchets de moyenne activité à vie longue représentent un volume dix fois supérieur à celui-ci et sont également stockés dans des puits. Ces déchets sont placés sous la responsabilité du ministère de la Défense. En 1996, la France a demandé une mission d'expertise à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) pour déterminer la soutenabilité des choix de stockage des déchets dans les atolls. À l'époque, les experts n'avaient pas soulevé de préoccupations majeures. Ils ont indiqué que la poursuite de la surveillance n'était pas nécessaire. Néanmoins, la surveillance de ces atolls a été maintenue.

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