Vous demandiez si les femmes avaient coupé avec le schéma traditionnel en termes de travail. J'aurais tendance à dire oui et non. Pour les femmes, il est évident qu'il va falloir travailler, mais elles intègrent quand même le fait qu'il va falloir trouver un travail compatible avec une vie de famille et de couple. Elles se posent la question avant même d'accéder aux études et ne savent pas qu'elles pourraient totalement concilier ces deux aspects de leur vie. Elles ne se l'autorisent même pas, dès le départ. Elles s'autocensurent. Nous devons travailler sur l'estime de soi dans ces dimensions. Nous devons faire témoigner des femmes de leur épanouissement professionnel tout en sachant le concilier avec un modèle qui leur est propre. À chacun son modèle.
Par ailleurs, il a effectivement été démontré que les jeunes femmes étaient de bonnes élèves et pouvaient ainsi réussir aux concours, entraînant une féminisation progressive de certaines professions. Néanmoins, j'ai pris l'exemple de la profession médicale car les médecins étaient majoritairement des hommes par le passé et le secteur est en train de basculer en se féminisant largement. Or les études sur les trajectoires des étudiants montrent que ce sont certes les jeunes femmes qui réussissent au concours, mais aussi un désengagement des hommes qui ne présentent plus. Et ils ne quittent pas la profession par hasard. Aujourd'hui, un homme - parce qu'il est moins sensibilisé par la notion de « prendre soin » dans son éduction - va avoir tendance à être plus rationnel dans son choix professionnel. Il va étudier les bénéfices et les risques du métier pour lequel il postule. Les conditions qu'on lui propose aujourd'hui en tant que médecin sont moins bonnes que dans d'autres secteurs vers lesquels il va s'orienter dès le choix de son cursus universitaire.
Ensuite, je regrette aussi la faible prise en compte des risques psychosociaux en termes de pénibilité et de reconnaissance. À mes yeux, il faudrait faire appel aux équipes de recherche et aux chercheurs, et moins aux stéréotypes. Certains laboratoires, dont je ne fais pas partie, réalisent des travaux passionnants. Ils abordent ces dimensions. Pour autant, ils demandent d'accepter un coût économique majeur. La non-reconnaissance de certains risques répond en effet certainement à une logique économique, puisque leur reconnaissance occasionnerait un coût induit majeur. Ce n'est pas qu'ils touchent majoritairement les femmes, mais ils sont particulièrement nombreux.
Sur le partage des tâches et son évolution, je pense que nous sommes parfois biaisés par nos microcosmes. Oui, il est démontré que dans certaines franges moins fragiles, on a tendance à avoir un meilleur partage. Pour autant, la répartition se déséquilibre souvent à l'arrivée du premier enfant, en défaveur des femmes. Le congé maternité l'induit, puisqu'on reconnaît ce rôle social aux femmes qui sont souvent celles qui prennent le congé parental. On avait gagné six minutes de répartition de tâches sur les dernières statistiques.
Enfin, le temps partiel subi induit souvent, pour les femmes qui l'occupent, qu'elles réalisent en réalité un temps plein en étant rémunérées sur un temps partiel. C'est la double peine.