La pression médiatique est aussi celle que l'on veut bien se donner. Par ailleurs, il ne faut pas désespérer, car d'autres parviennent à cette simplification. De grandes entreprises ont réussi à lutter contre leurs effets de bureaucratie, même si le mouvement est permanent comme dans le mythe de Sisyphe. De la même manière, ce qui est en train d'être fait en Allemagne est très intéressant : au moins un tiers des normes y a été supprimé depuis une dizaine d'années, dans un agenda maîtrisé. Les États-Unis ont engagé également des démarches très intéressantes en la matière, mais aussi la Suisse. Ces démarches se retrouvent aussi dans les États centraux comme la Suède. Le Canada est également entré dans cette démarche. La France doit donc avoir l'humilité et l'ambition de regarder ce qu'il se fait ailleurs, ce que nous ne faisons pas assez. Je suis convaincu que ce n'est qu'une question de courage politique. Les effets de surbureaucratie sont vécus par tous : entreprises, salariés, particuliers, retraités, étudiants, etc. Nous sommes en train de devenir autobureaucrates par les applications numériques. Nous faisons par nous-mêmes nos opérations bancaires. Ces opérations sont compliquées et dysfonctionnent. C'est Gramsci, c'est un combat culturel que nous devons mener.
Pour revenir à des choses plus concrètes, la norme excessive est souvent prise à un échelon éloigné de la délibération perceptible. Il y a donc la nécessité d'une nouvelle décentralisation et d'une nouvelle déconcentration, les deux allant de pair. Par exemple, je propose qu'il n'y ait plus de services régionaux de l'État, n'en voyant pas l'utilité. Qu'il y ait des coordinations à l'échelle régionale, pourquoi pas, mais nous ne sommes ni sur une entité proche ni sur une entité éloignée et, avec les nouvelles régions, il n'y a pas de sentiment d'appartenance le plus souvent. Sans prendre une posture morale, et sans remettre en cause les équipes, même s'il y existe quelques idéologues, les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) détiennent un pouvoir exorbitant et ne rendent de comptes à personne. Elles peuvent cependant démentir des positions des directions départementales des territoires (DDT), des directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) et des préfets qui sont déjà difficiles à obtenir pour des maires. L'architecte des monuments historiques peut contredire ce que dit l'ABF. J'ai rencontré ce cas en Haute-Vienne, où un maire d'une petite commune avait engagé quasiment tout son budget d'investissement pour refaire l'église avant que son projet ne soit rejeté pour une histoire de forme de la grille d'évacuation d'eau sur le parvis, compte tenu du caractère patrimonial du bâtiment, mais aussi parce que l'architecte des monuments historiques voulait exister face à l'ABF.
Nous devons donc partir de principes généraux avec la déconcentration des services de l'État. Il faut qu'il y ait un responsable des services de l'État localement, éventuellement le préfet et le sous-préfet. Les fonctionnaires de la DREAL doivent être réaffectés localement. Je vais même plus loin - et ce n'est pas une position de l'AMF - en disant que les services de la DREAL devraient être des services départementaux et non plus d'État. Une telle position peut heurter - craignant que cette organisation mette en péril la neutralité. On pense encore à tort que plus la structure est grande et plus elle est neutre, alors que la neutralité, l'impartialité, l'efficacité ne sont pas proportionnelles à la taille de la structure. Je suis donc pour la subsidiarité. Je suis pour un vrai transfert de pouvoir réglementaire. C'est ce que l'AMF dit aux collectivités territoriales.
La concentration est aujourd'hui une source de complexification au quotidien très lourde. Il faut obtenir les avis conformes des uns et des autres et on finit par en oublier la finalité des projets.
Il apparaît également nécessaire d'accentuer la décentralisation et qu'un vrai pouvoir réglementaire soit transféré aux collectivités territoriales. La subsidiarité doit être une réalité concrète. Je suis très attaché aux intercommunalités, mais je ne suis pas attaché aux supra-communalités. Comment se fait-il que l'on accepte que, sur des dispositifs d'aide aux communes, nous soyons dans l'obligation de passer par les intercommunalités ? C'est le cas pour les CRTE. Tout cela crée de la complication et de l'injustice.
Ce combat doit être porté en mettant en avant des principes forts et ce combat n'est pas perdu d'avance, car la population attend ces changements.
La loi Climat et résilience part d'une bonne intention : celle de lutter contre l'artificialisation des sols. Le Sénat est intervenu récemment sur la revitalisation des centres-bourgs et centres-villes. Nous sommes le pays qui a le plus de dispositifs de protection du petit commerce, mais nous sommes aussi le pays qui ferme le plus ces petits commerces. Or, les petits commerçants ne veulent pas être protégés mais veulent pouvoir travailler. Cependant, qui connaît le petit commerce dans la haute administration ? Personne. Le petit commerce peut même y être méprisé. Qui comprend que les commerçants ne veulent pas des dispositifs de soutien, mais ne plus être pénalisés par des distorsions fiscales ? Un petit commerce physique doit endosser entre 80 et 90 taxes et impôts, contre une quinzaine pour un commerce numérique. De même, le foncier est beaucoup plus accessible pour les centres commerciaux et bien moins cher que l'accès à un bail commercial dans une ville. Tous les seuils que nous pouvons créer n'y changeront rien.
Nous devons aujourd'hui être capables de faire des propositions simples sur la décentralisation sans prévoir tous les cas de figure. Il y a vingt ans, lorsque l'on montait un projet, on analysait ce qui était interdit, maintenant on recherche ce qui est autorisé. Voilà le renversement. À mon sens, la question ne porte pas sur le dernier kilomètre, mais sur le premier kilomètre de l'action. Toutes ces formulations sont très significatives. C'est donc un combat culturel qu'il faut mener avant tout et que nous traduirons ensuite sur le plan législatif. Nous pourrons ensuite le défendre médiatiquement. Quand il se produit un fait divers, on sait dire que la charge émotionnelle est très forte et qu'il ne faut pas se jeter sur une législation supplémentaire. Il faut là aussi remettre la raison au coeur du débat politique. Vous disiez tout à l'heure que le gouvernement demandait l'inscription d'une proposition insensée dans la loi, mais combattons-le. L'efficacité de l'action ne passe pas forcément par une disposition législative.
Pour Climat et résilience, l'impératif est de décarboner très vite l'activité humaine. C'est un objectif majeur d'ordre public. La solution est de donner une valeur aux externalités négatives du carbone : nous tournons autour de cette notion avec la taxe carbone. Ensuite, il faut poser une loi d'objectifs, et non une loi de modalités, et donner de l'autorité à l'État pour sanctionner la non-atteinte des objectifs. Je connais une entreprise de distribution alimentaire à laquelle on ne dit pas qu'elle devra atteindre tel objectif à 2025, puis 2030 et 2040 mais qu'elle devra végétaliser le toit de son entrepôt. Quand la puissance publique se substitue aux individus pour l'allocation des ressources, nous sommes dans un système de collectivisation qui ne fonctionne pas.
Je préconise ainsi de poser un diagnostic, de revoir les textes et de refuser la théâtralisation de la vie politique par des effets d'affichage qui seront d'autant moins puissants qu'ils seront emphatiques et grandiloquents.
Pour ce qui concerne la liberté, il faut oser dire que nombreux sont ceux qui ont le syndrome de la servilité volontaire. Il est en effet facile d'accepter son infantilisation et de rejeter la faute sur l'autre. Pour exercer cette liberté, il faut mobiliser deux moyens : l'ingénierie et la finance. Tant que nous continuerons de mettre sous tutelle les collectivités territoriales et que l'autorité de tutelle sera une autorité surendettée et mal gérée qui s'appelle l'Etat, qui emprunte pour son fonctionnement, ce qui est interdit aux collectivités territoriales, il y aura forcément la tentation régulière de piocher dans les ressources de cette tutelle, c'est-à-dire les dotations. Nous y sommes avec la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) après avoir supprimé la taxe d'habitation et la taxe professionnelle. On répond aux collectivités que cette décision sera rendue à l'euro près, sans apporter des précisions et dire si le raisonnement se tient à l'euro constant ou courant. De plus, cette assertion est fausse : sur la taxe d'habitation, le comité des finances sera bientôt en mesure de dire qu'il nous manque au moins un milliard d'euros de compensation. Pourtant, pour exercer cette liberté, il nous faut une responsabilité financière. La réforme des finances des collectivités territoriales est donc incontournable pour simplifier. Ce sera aussi un moyen de responsabiliser plutôt que d'obliger les collectivités à quémander de l'argent de l'État qui est censé nous appartenir. Me concernant, je veux rendre des comptes sur ma politique fiscale. Cependant, qu'est-ce qui compose ma politique fiscale aujourd'hui hormis le foncier bâti ?
Comme nous avons perdu des moyens financiers, beaucoup de mairies n'ont plus d'ingénierie juridique et administrative. Nous compliquons aussi l'accès aux politiques publiques par la culture des appels à projets et appels à manifestations d'intérêt. Ce faisant, nous alourdissons les procédures et nous enrichissons les cabinets de conseil qui interviennent en tant qu'assistance à maîtrise d'ouvrage. Dans le même temps, on empêche nombre de communes rurales et de communautés de communes à avoir accès à ces politiques publiques, amplifiant ainsi la fracture territoriale. Le Cerema est une réponse et nous poussons beaucoup pour que le Cerema soit reconnu, mais je pense que nous pouvons aussi avoir des guichets d'ingénierie avec les départements pour permettre à la subsidiarité d'être une réalité.
Pour répondre à l'une de vos questions, l'AMF ne tient pas de tableau de bord sur les normes. Notre démarche est à la fois déductive et inductive : déductive, car nous regardons le nombre de mots au Dalloz et sur Légifrance et inductive en voulant faire de la lutte contre la bureaucratie un des piliers de notre action. Nous voulons dénoncer afin de faire passer des messages politiques et d'accrocher l'opinion, mais nous voulons aussi proposer. Nous-mêmes, nous faisons de la bureaucratie dans nos collectivités. Nous allons lancer une approche inductive pour faire remonter les situations abracadabrantesques pour créer un « livre noir » numérique, car nous pensons qu'il faut démontrer par l'exemple l'absurdité de la règle et l'injonction contradictoire. Les injonctions contradictoires sur l'urbanisme créent d'ailleurs de l'insécurité juridique. Dans cette situation, soit il faut accepter l'inertie, soit accepter de prendre un risque mais faire face à des ennuis judiciaires, voire pénaux, pour avoir voulu agir. Il faut absolument proposer cette évolution copernicienne et, pour nous aider, nous montons un observatoire. Si nous pouvons le monter ensemble, j'en serais heureux.