Les craintes d'un retour de l'inflation ont commencé en 2021 - vous avez d'ailleurs été, monsieur le rapporteur général, l'un des premiers à l'époque à alerter sur ce risque -, à cause de la reprise rapide de l'économie après le Covid et de l'apparition de goulets d'étranglement. La question était de savoir si cette inflation était un phénomène est temporaire ou durable. Les entreprises s'attendaient, il y a un an, à ce que ces difficultés disparaissent en 2022. Puis la guerre en Ukraine est arrivée... Il s'agissait aussi de déterminer si cette inflation consistait seulement en un choc sur l'offre, sur les coûts, ou bien si celle-ci pouvait se diffuser plus largement. La guerre en Ukraine a transformé un choc temporaire en un choc durable. Depuis le printemps, on observe un phénomène de diffusion. D'où notre inquiétude. C'est pourquoi j'ai insisté, dans mon propos introductif, sur l'inflation sous-jacente, hors énergie et matières premières. Les services sont peu touchés par le choc énergétique, et pourtant l'inflation dans ce secteur est élevée.
En ce qui concerne l'immobilier, nous prévoyons effectivement un recul limité de l'investissement des ménages, mais celui-ci intervient après des années particulièrement favorables. Le taux actuel moyen du crédit immobilier s'établit à 1,9 %, alors qu'il est normalement autour de 3 % en moyenne sur une longue période. Quant à la production de nouveaux crédits immobiliers, elle était de 120 milliards d'euros en 2015, une année normale, mais elle a constamment accéléré depuis et s'élève, en 2022, à 220 milliards d'euros, soit presque le double.
Vous avez posé la question du taux d'usure, qui a fait couler beaucoup d'encre. Je rappelle que le taux d'usure est destiné à protéger les emprunteurs contre des taux anormalement élevés. On a beaucoup entendu les prêteurs dans ce débat, mais peu les emprunteurs. Or nous sommes à l'écoute de tous et notre rôle est de faire appliquer la loi, qui prévoit que le taux d'usure est fixé trimestriellement à quatre tiers des taux observés au cours du trimestre précédent. Il est vrai que j'ai subi de fortes pressions de la part de représentants des prêteurs divers, que je ne nommerai pas, afin de remonter plus vite le taux d'usure, mais je ne pense pas que cela soit souhaitable. Il faut une remontée progressive et ordonnée, afin de protéger les emprunteurs.
Il est aujourd'hui question d'un éventuel ajustement technique et de prévoir une remontée des taux mois par mois, par petites marches, au lieu d'une fois en fin de trimestre. Je considère qu'un tel ajustement peut être justifié s'il est souhaité par les professionnels du crédit, que nous consulterons à cet égard.
Sur l'emploi, j'avoue ne pas avoir étudié les prévisions du Gouvernement. L'emploi nous surprend toujours en bien depuis trois ans. Il résiste beaucoup mieux que l'activité économique. En 2020, il y a eu une baisse de l'emploi en raison de la crise du covid, mais en 2021, l'économie française a plus que rattrapé la baisse de 2020 puisque 840 000 emplois ont été créés. Nous n'avions pas connu une telle hausse en un an depuis très longtemps. L'économie a été un peu moins dynamique en 2022, mais 300 000 emplois ont tout de même été créés au cours des trois premiers trimestres. On prévoit une remontée du chômage en 2023, du fait de la faiblesse de la croissance, mais elle sera toutefois assez limitée. Je n'exclus pas que nous nous trompions un peu par le bas parce que nous avons toujours eu des surprises par le haut.
La question de l'euro numérique mériterait de longs développements. Je dirai simplement où nous en sommes et pourquoi ce projet a été lancé. Un prototype est aujourd'hui à l'étude, dont nous tirerons les leçons à la fin de l'année 2023 ou au début de l'année 2024. Si une généralisation était décidée, trois années seraient encore nécessaires.
Si ce projet a été lancé, c'est parce qu'un certain nombre d'innovations ont vu le jour dans le champ des paiements et de la monnaie. Je pense à la blockchain, à la possibilité d'échanger à la fois des flux d'argent et des données. Ces innovations, les fameuses cryptomonnaies, sont aujourd'hui portées exclusivement par des acteurs privés. Je ne parle pas du bitcoin, qui est un instrument avant tout spéculatif, mais souvenez-vous du projet de Facebook, aujourd'hui abandonné, de cryptomonnaie Libra. Il pourrait être repris par d'autres acteurs privés.
Il nous semble qu'il y a là un potentiel prometteur, y compris pour les particuliers. Or, en matière de monnaie, il y a toujours eu un partenariat entre le public et le privé. On n'a jamais laissé le monopole des innovations dans ce domaine aux acteurs privés. Il y a là un enjeu démocratique. Je prends tout à fait au sérieux la question des données privées, mais il serait tout à fait regrettable de priver les citoyens d'innovations technologiques importantes, associées à de la monnaie publique souveraine. Ces questions méritent en tout cas d'être étudiées. Les citoyens ne sont pas condamnés à avoir recours au privé pour disposer des meilleures innovations technologiques.
Un certain nombre de questions se posent toutefois de manière tout à fait légitime. Je tiens ainsi à rassurer les représentants de la Nation et les professionnels : il ne s'agit absolument pas de désintermédier les banques, contrairement à ce qu'ont pu laisser accroire certains titres de la presse internationale en mal de sensations. C'est faux, d'abord parce que les encours de cet euro numérique seraient probablement plafonnés - pour être clair, il ne s'agit pas de vider les comptes bancaires -, ensuite parce que cet euro serait très probablement distribué par les banques.
Pour répondre à la question qui m'a été posée sur la protection de la vie privée, la banque centrale n'aura pas accès à des données sur les citoyens, encore moins à la programmation de leurs dépenses.
Je le redis, le monopole de l'innovation ne peut pas être réservé aux acteurs privés. J'ajoute que les acteurs privés que nous évoquons et que je n'ai pas besoin de nommer ne sont pas européens.
Par ailleurs, la mise en oeuvre de l'euro numérique n'aurait pas pour effet la suppression des espèces. La Banque de France n'abandonnera jamais les espèces, la production et la distribution des billets. Nous sommes là pour garantir la liberté de choix de nos concitoyens. Toutes les formes de moyens de paiement doivent être d'égale accessibilité, d'égale qualité et d'égale sécurité. C'est une question de confiance dans la monnaie.
Enfin, pour répondre à votre question, monsieur le président, je vous confirme que des discussions ont lieu au sein du Conseil des gouverneurs, fort heureusement, sinon ce conseil n'aurait pas de raison d'exister.
On oppose traditionnellement, en des termes ornithologiques, les faucons et les colombes. Pour ma part, je me décris toujours comme un pragmatique. Je ne pense pas qu'il faille que nous ayons une position déterminée à l'avance. Certains sont toujours partisans d'une augmentation des taux, d'autres y sont toujours opposés. Pour ma part, je pense que cela dépend des données. Ce qu'a dit le rapporteur général sur l'évolution de l'inflation depuis dix-huit mois est vrai. Relever les taux à la fin de l'année 2021 aurait été une erreur. Aujourd'hui, ne pas les relever alors que l'inflation menace de s'installer serait grave. Je ne peux toutefois pas vous dire à quel niveau il faut les porter, parce que je ne le sais pas.
Nous avons dû les remonter très vite au deuxième semestre de l'année dernière et je pense que c'était justifié, pour éviter une déflation. Les taux étaient alors très bas - c'était les fameux taux négatifs -, il fallait vite y mettre fin. Aujourd'hui, le taux de 2 % est ce que les économistes appellent un taux « neutre ». Il faudra sans doute aller au-delà pour freiner l'inflation, sans provoquer de récession.
Je crois pouvoir dire aujourd'hui qu'il n'y aura pas de récession de l'économie française et européenne en 2023, mais nous verrons dans les prochains mois.