Je salue la qualité de toutes les questions. J'invite d'ailleurs ceux d'entre vous qui le souhaitent à venir à la Banque de France, ce qui nous permettra d'échanger davantage que pendant mon audition annuelle devant votre commission.
Je soutiens totalement la proposition de réglementation des cryptoactifs - je préfère ce terme à celui de cryptomonnaies, monsieur Bocquet.
La loi relative à la croissance et la transformation des entreprises a constitué un progrès, puisque nous avons été parmi les premiers à prévoir un statut de prestataire de services en actifs numériques (Psan). Ce texte prévoyait deux possibilités : un simple enregistrement, avec un contrôle pour lutter contre le blanchiment, ou l'agrément. Je pense qu'il serait bon que l'agrément devienne obligatoire le plus rapidement possible - d'ici à la fin de l'année.
Vous avez évoqué les fraudes bancaires et leur remboursement. C'est effectivement un sujet très sensible. Je préside l'Observatoire de la sécurité des moyens de paiement, qui a rappelé aux banques que la règle, c'est le remboursement, et l'exception, le non-remboursement, qui ne peut intervenir que s'il y a présomption sérieuse de complicité ou de mauvaise foi.
Sur les frais de succession, qui sont également un sujet sensible, je me renseignerai. Je ne savais pas que les travaux du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) n'avançaient pas aussi vite que prévu, et je vais veiller à les accélérer.
La capacité d'accès à la monnaie, et en particulier aux billets, est un sujet qui nous est aussi cher qu'il l'est à votre rapporteur général ! Nous publions chaque année au mois de juillet une étude sur ce sujet, et le taux d'accès de nos concitoyens aux distributeurs automatiques de billets (DAB) est actuellement maintenu. Les DAB sont un peu moins nombreux, mais 99 % de nos concitoyens habitent à moins d'un quart d'heure d'un DAB. Pourquoi le nombre de DAB diminue-t-il ? Objectivement, parce qu'ils coûtent cher aux banques. Mais cette diminution se concentre dans les villes. Nous sommes extrêmement attentifs au maintien de la couverture territoriale. Des opérations de regroupement qui ont pu avoir lieu entre certains réseaux bancaires nous paraissent plutôt intelligentes, parce qu'elles maintiennent la capacité de distribution tout en diminuant son coût. En tous cas, il ne s'agit absolument pas de diminuer l'accessibilité, notamment en milieu rural.
M. Savoldelli m'interroge sur la hausse des taux et le financement des solutions énergétiques. La hausse des taux est absolument nécessaire pour lutter contre l'inflation. Je répète qu'il n'y a pas à choisir entre la lutte contre l'inflation et la croissance. Si nous laissons s'installer l'inflation, celle-ci devient, dans la durée, le pire ennemi de la croissance. Elle nuit en effet à la confiance, et rend difficile de prévoir des investissements. Il faut de la confiance et des repères sur la valeur de la monnaie.
De plus, si nous laissons s'installer l'inflation comme dans les années 1970, il faudra un remède de cheval pour la faire disparaître. Un certain nombre d'entre nous s'en souviennent, M. Volcker, aux États-Unis, n'avait pas monté les taux d'intérêt au-dessus de 2 %, mais au-dessus de 20 % - ce qui, pour le coup, avait provoqué une récession forte aux États-Unis.
L'arbitrage entre inflation et croissance ne joue que dans des situations très graves, que notre action a précisément pour but d'éviter.
Pour financer les solutions de la transition énergétique, nous devons organiser les choses au niveau européen. J'ai évoqué une union verte des marchés de capitaux. Nous avons beaucoup d'épargne disponible en Europe, et beaucoup de besoins de financement, mais nous n'arrivons pas à mettre ces ressources en face de ces besoins, parce que les marchés sont beaucoup trop cloisonnés. Nous devons avancer sur ce point. Le Sénat, qui s'est régulièrement intéressé à l'union des marchés de capitaux, pourrait y revenir : je ne vois pas de blocage politique en la matière, mais seulement un manque d'intérêt chez certains dirigeants européens.
Un nouveau livret vert ? C'est Bercy qu'il faut interroger. Je ne sais pas si l'on peut résoudre tous les problèmes de l'économie française en multipliant les livrets, mais vous avez raison d'évoquer un produit un peu plus risqué, un peu moins liquide et conçu pour le long terme : on ne peut pas à la fois garantir la liquidité des livrets, avoir des taux élevés, et expliquer qu'on pourra financer avec cela toutes les transformations à long terme de l'économie française.
Pour soutenir la transition écologique, les banques centrales peuvent faire davantage. Cela dit, la Banque centrale européenne est pionnière, sous l'impulsion de Christine Lagarde, pour verdir la politique monétaire. Nous avons annoncé en juillet dernier un plan très important en la matière, alors que d'autres banques centrales ont encore des réticences, comme le président de la Fed l'a confirmé hier. La Banque de France, dans un classement des 20 principales banques centrales du monde effectué par des ONG totalement indépendantes - et souvent assez critiques envers les institutions publiques comme la nôtre - arrive première, et de loin ! Je tiens à votre disposition ce classement. Nous allons continuer à avancer dans cette direction par notre politique monétaire, notre politique de supervision, qui vise à inciter les banques et les compagnies d'assurance à verdir davantage leur bilan, et par notre politique d'investissement.
Monsieur Canévet, je ne voulais pas donner l'impression de vouloir « brider » le crédit immobilier. Je crois simplement que nous devons être cohérents en la matière. Le livret A sert à la fois à rémunérer les épargnants et à financer le logement social. Quand on fixe son taux, il faut bien penser à ces deux dimensions. Il est très important de veiller à ce que les ménages qui souscrivent un crédit immobilier ne se retrouvent pas en situation de surendettement, si l'on ne veut pas que des chantiers soient arrêtés brusquement ou que des personnes soient en grande difficulté financière. C'est le sens des mesures prises par le HCSF, le Haut Conseil de stabilité financière, pour faire en sorte que la durée des crédits ne dépasse pas 25 ans, que la mensualité n'excède pas 35 % du revenu, etc. L'objectif n'est pas de rendre le crédit plus rare, mais de le rendre plus sûr, ce qui est dans l'intérêt de tous.
En ce qui concerne la réforme des retraites, je m'abstiendrai de tout commentaire, sauf sur le cas du régime de la Banque de France, sur lequel je reviendrai.
Sur l'endettement public, je vous rejoins totalement. Une grande vigilance s'impose en la matière, voire une « inquiétude » pour reprendre vos termes. Mais cela ne saurait modifier la politique monétaire. Il faut traiter la question du volume de la dette publique. Quand j'avais 20 ans, le ratio entre la dette publique et le PIB était de 20 %. Il est désormais de 114 % ; ceux qui ont 20 ans aujourd'hui partent donc dans la vie avec un sac à dos qui pèse 5 à 6 fois plus lourd ! Nous ne pouvons pas continuer comme ça. Certains demandent à la Banque de France d'en faire plus en la matière, mais j'ai l'impression que nous en faisons déjà beaucoup ! Et d'aucuns trouvent d'ailleurs que nous en faisons trop... Certes il n'est pas facile de faire des arbitrages, mais nous ne pouvons pas continuer avec un tel volume de dépenses publiques, de déficit et de dette. La Banque centrale ne peut pas se fixer comme objectif de financer la dette publique, car cela se termine toujours par une inflation beaucoup plus forte. Les programmes d'achats d'actifs récents étaient une exception, il s'agissait alors d'éviter la déflation.
Il ne m'appartient pas de donner des conseils aux maires en matière de financement. La situation de chaque commune est particulière. J'indique seulement que les taux d'intérêt sont censés incorporer déjà, de la manière la plus rationnelle possible, les anticipations d'inflation ou les prévisions macroéconomiques. Il ne faut pas croire non plus que les banques centrales vont monter leurs taux très rapidement, puis les rebaisser ensuite aussi vite. Il est sans soute préférable de les monter un peu moins haut, mais de les maintenir ensuite à ces niveaux plus longtemps. En d'autres termes, la course de vitesse qui a eu lieu à la fin de l'année dernière va progressivement devenir une course de fond. Le bon calibrage de la politique monétaire est une question d'arbitrage entre le niveau des taux et leur durée.
Monsieur Delahaye, je reconnais que le terme « outil structurel » relève du jargon des banquiers centraux. Il s'agit de notre capacité à muscler notre production, notre offre, à travers la transformation énergétique, la transformation numérique et la transformation du travail. Cette mutation joue un rôle dans la victoire contre l'inflation, car cette dernière dépend de l'équilibre entre l'offre et la demande : quand l'offre est insuffisante, l'inflation augmente ; quand la demande est trop faible, la déflation menace - c'était le cas ces dernières années. Aujourd'hui, nous sommes plutôt dans une situation où il n'y a pas assez d'offre, ce qui requiert des transformations structurelles. La politique de l'offre ne se réduit pas à des baisses d'impôt. Elle consiste aussi en des transformations de fond, qui sont beaucoup plus efficaces dans la durée, surtout dans la situation des finances publiques que l'on connaît.
Monsieur Capus, j'assume que nous puissions avoir des différences d'analyse avec la Banque mondiale. J'ai même la faiblesse de penser que notre vision de l'économie française est encore plus pointue et pertinente que celle de la Banque mondiale... J'ai noté une certaine tendance au pessimisme dans son analyse ; je ne prétends pas du tout que la France aura une croissance forte cette année : j'ai été très clair, je m'attends à un net ralentissement, mais je crois que l'on peut dire, sauf bien sûr rebondissement extérieur, que nous allons éviter une récession lourde ou un atterrissage brutal.
J'en viens à la capacité d'investissement des entreprises. La productivité des entreprises est en train de ralentir fortement ; c'est la contrepartie du fait que l'emploi, lui, se porte bien. Lorsque la production ralentit et que l'emploi se maintient, ce n'est pas très bon pour la productivité, même si, à court terme, ce mix est assez favorable. Notre enquête montre que 52 % des entreprises ont encore des difficultés de recrutement, alors que le taux de chômage s'élève à 7 % et que des centaines de milliers de jeunes n'ont pas d'emploi ! C'est le paradoxe français. Dans cette situation, les entreprises ont plus tendance qu'avant à garder leurs salariés, y compris par le mécanisme d'activité partielle. Cela ne me paraît pas mauvais, mais cela pèse sur la productivité. Est-ce que cela pèse sur la capacité d'investissement ? J'en suis moins sûr parce que l'investissement des entreprises est avant tout déterminé par leurs anticipations de demande, et un peu moins par leur situation financière. L'investissement a très bien résisté en 2020, au moment de la crise du covid, puis s'est fortement relevé ensuite. Pour l'instant, il résiste. Le plus préjudiciable, c'est l'incertitude - d'où l'importance de gagner la bataille contre l'inflation !
J'avoue que je ne connaissais pas le taux d'usure vert ! Mais si le Parlement le crée, nous suivrons. J'indique toutefois qu'une grande part des travaux de rénovation que vous évoquez relève juridiquement non du crédit immobilier, mais du crédit à la consommation, dont le taux plafond est nettement plus élevé. J'insiste : le relèvement du taux d'usure n'est pas une baguette magique qui permettrait de résoudre tous les problèmes. Si le législateur a prévu un taux d'usure, c'est pour protéger les emprunteurs. Je lis parfois dans la presse que le problème du crédit immobilier tient au fait que les taux d'intérêt sont trop élevés et que le taux d'usure est trop bas... C'est contradictoire ! Je ne vois pas comment augmenter le taux d'usure permettra de faire baisser les taux de crédit immobilier.
Je ne me prononcerai pas sur le ZAN, cela ne relève pas de la compétence de la Banque de France.
Je connais par contre beaucoup mieux la question du régime spécial de retraite de la Banque de France. Les agents de la Banque de France n'ont aucun avantage particulier en matière de retraite. Qu'il s'agisse des cotisations, de leur assiette, du niveau des pensions, de l'âge légal de départ, etc., nous appliquons exactement les règles de la fonction publique. Si l'on parle de régime « spécial » de la Banque de France, ce n'est pas en raison de l'existence de quelconques privilèges, mais pour une raison relativement vertueuse qui est que ce régime est provisionné à l'avance à hauteur de 100 % par la caisse de retraite de la Banque de France, qui a d'ailleurs réalisé des investissements verts et compatibles avec la transition climatique. C'est pourquoi j'ai souhaité, comme les personnels de la Banque de France, maintenir jusqu'à présent ce régime, mais nous appliquerons évidemment ce que votera le Parlement.
Monsieur Longuet, si l'inflation a été réduite ces trente dernières années, c'est certainement grâce à la mondialisation, mais c'est aussi grâce à l'action des banques centrales. La décarbonation de notre économie s'accompagnera-t-elle d'un surcroît d'inflation ? C'est possible, mais il devrait être faible, de l'ordre de quelques dixièmes de points au maximum. En tout cas, l'inflation que nous connaissons n'est pas liée à la transition climatique, comme le prétendent certains climatosceptiques. Nous devrons trouver le moyen de réaliser la décarbonation tout en maintenant une inflation modérée - c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles l'objectif d'inflation n'est pas de zéro, mais de 2 %.
Monsieur Capo-Canellas, j'aime comme vous raisonner en termes de confiance et de vigilance ; je préfère cette alternative à l'opposition entre optimisme et pessimisme, qui renvoie à des biais psychologiques. Parmi les points de vigilance, je citerai très clairement la dette. L'augmentation de la quantité de travail ne suffira probablement pas pour la résorber. Nous devons gérer de façon plus efficace les dépenses courantes. Ainsi, à la Banque de France, nous avons réduit, depuis 2015, les effectifs de 25 % par la voie du non-remplacement des départs en retraite, tandis que notre budget de fonctionnement - masse salariale et frais généraux - baissait de 4 % par an en volume, après inflation. Nous l'avons fait tout en continuant, non seulement à assurer nos missions, mais en en développant un certain nombre d'autres sur le climat, les TPE ou la médiation du crédit. Un tel effort est donc possible, à côté d'une politique pour augmenter l'offre.
Monsieur Bocquet sur les cryptoactifs, la réponse était implicite dans votre question, et je la partage ! La faillite de FTX n'est pas un accident de parcours : elle fait suite à la faillite de Terra/Luna. Si les accidents se succèdent, c'est qu'il y a un problème ! Et, dans ce cas, il faut réglementer. Il y a quelques années, on se demandait s'il fallait réglementer ou réguler. Aujourd'hui, on se demande s'il faut réglementer ou interdire. Je me réjouis que l'AMF partage notre position.
Je vous confirme que la Banque centrale européenne détient entre 20 % et 25 % de la dette souveraine française. Peut-on recourir davantage à l'épargne des investisseurs résidents ? La dette française est détenue à peu près à parts égales par les investisseurs résidents, au travers notamment de l'assurance vie, et par les investisseurs non-résidents. Les marchés financiers financent « allègrement » la dette française, dites-vous...