Intervention de Alex Richards

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 18 octobre 2022 : 1ère réunion
Évolution institutionnelle outre-mer — Audition de monsieur alex richards conseiller spécial de M. Louis Mussington président du conseil territorial de saint-martin

Alex Richards, conseiller spécial du président du conseil territorial de Saint-Martin :

Dans le cadre d'une délibération datée de 1945, le conseil municipal de Saint-Martin avait demandé à la France de lui permettre de rédiger ses délibérations en anglais, afin de les communiquer aux dirigeants de la partie hollandaise et de favoriser ainsi l'harmonisation de l'administration du territoire. Par conséquent, cette préoccupation existait bien avant l'évolution statutaire. En effet, les instances de chaque partie de l'île ont conscience de la portée de leurs décisions pour l'autre partie. Depuis, les deux territoires ont évolué statutairement ; la partie française en 2007 et la partie hollandaise en 2010, date à laquelle elle est devenue un pays à part entière à l'intérieur du Royaume, alors qu'elle était auparavant membre de la fédération des Antilles néerlandaises.

Quant aux impôts sur le revenu, depuis la fin des années 50, ils font l'objet d'un prélèvement à la source en partie hollandaise, non sans poser d'énormes difficultés aux personnes habitant en partie française et travaillant en partie hollandaise, car ils devaient prouver s'être déjà acquittés de leurs impôts.

Depuis les deux évolutions statutaires, plusieurs actions de coopération ont été mises en place. Ainsi, les tribunaux des deux parties sont désormais en contact constant et se transmettent leurs arrêts respectifs. De même, les déclarations hollandaises d'impôt sur le revenu peuvent faire l'objet d'une traduction pour justifier d'un paiement auprès des services fiscaux français. En revanche, la taxe foncière n'existe pas en partie hollandaise. Les personnes habitant en partie française s'en acquittent bien entendu.

Il est parfois mentionné le sujet de l'évasion fiscale concernant Saint-Martin. Il convient d'être plus mesuré. En effet, certaines personnes héritent d'une parcelle de terrain en partie hollandaise, tout en vivant en partie française; elles vont naturellement faire construire sur une telle parcelle. De même, le choix d'une école hollandaise pour scolariser ses enfants alors que la famille vit en partie française ne relève pas d'un contournement de législation. Dans ma propre famille, certains de mes neveux et nièces ont été scolarisés selon les cas en partie française ou en partie hollandaise. Pour autant, certains d'entre eux ont choisi des études supérieures en France après avoir suivi un cursus en partie hollandaise. En effet, les situations ne suivent pas une simple et stricte partition entre les deux parties ; des passerelles peuvent être mises en place.

S'agissant de la santé, il est vrai que la question se pose de faire ou non bénéficier les personnes de la partie hollandaise des avantages sociaux français. Nous avons des exemples de personnes qui profitent du système de santé français, telles les femmes vivant en partie hollandaise qui sont sur le point d'accoucher et qui se présentent alors à l'hôpital de la partie française, sachant qu'elles bénéficieront de facto de certains avantages. Ainsi, l'hôpital Louis Constant Fleming - qui est l'un des plateaux médicaux les mieux équipés de la région - accueille des patients en provenance des deux parties de Saint-Martin, d'Anguilla, de Saint-Barthélemy, de Saba, de Saint-Eustache, de Saint-Kitts, de Nevis, etc. Cela pose un problème car toutes ces personnes ne sont pas forcément en mesure de payer les soins qui leur ont été prodigués. Il convient de mener à ce sujet une véritable réflexion, notamment pour harmoniser les soins entre la partie française et la partie hollandaise, en projetant de doter cette dernière d'un plateau médical équivalent, afin de rééquilibrer l'offre de soins. En outre, les assurances hollandaises sont acceptées pour la prise en charge des soins prodigués en partie française. Quant à la Sécurité sociale hollandaise, elle accepte de couvrir de tels frais. L'harmonisation est par conséquent progressivement à l'oeuvre, afin de rétablir un certain équilibre et faire en sorte que la partie française ne soit pas « perdante ».

En revanche, je n'ai aucun commentaire à apporter sur la légalisation du cannabis.

La question de l'éducation se pose également : elle est gratuite et obligatoire en partie française ; alors qu'elle est payante en partie hollandaise, dès l'entrée à l'école maternelle. Ce déséquilibre qui devrait entraîner un afflux massif d'écoliers dans les établissements français est atténué par une forte coopération entre les deux parties.

Quant aux acteurs du transport public, ils assurent des dessertes quotidiennes de part et d'autre de la frontière, sans que le droit international ne prévoie une telle situation et ne permette de gérer simplement un accident de la circulation impliquant des voyageurs étrangers. Il conviendrait en pareil cas de démêler les responsabilités de chacun : le transporteur, l'administration gérant le réseau routier, etc.

Depuis quelque temps, nous avons mis en place une coopération entre les polices, les douanes et les garde-côtes, avec un droit de poursuite, qui permet à un corps de police ou de gendarmerie d'agir au-delà de ses frontières, en avertissant ses homologues de la partie étrangère. Ce principe suivi entre les deux parties, française et hollandaise, l'est également avec l'île d'Anguilla, sous juridiction anglaise.

Par ailleurs, la révision des articles 73 et 74 de la Constitution est une question qui a fait couler beaucoup d'encre à Saint-Martin. En effet, la distinction entre ces deux articles relève d'une sorte d'artifice juridique. Notre collectivité est régie selon l'article 74, mais toujours dans le principe de l'identité législative. La réflexion sur l'évolution statutaire nous a amenés à nous interroger sur les notions de spécialité et d'identité. Avons-nous besoin de l'article 73 pour avoir le sentiment d'avoir évolué statutairement ? Le débat reste ouvert sur les conséquences d'opter pour l'un ou l'autre de ces statuts. En outre, Saint-Martin dépend de l'article 74, mais est encore une région ultrapériphérique (RUP) contrairement à Saint-Barthélemy, qui a opté pour le statut européen de PTOM.

De plus, en 1982, la mise en place de la décentralisation et de la déconcentration nous a amenés à nous interroger sur la pertinence à se satisfaire d'un tel statut ou sur l'opportunité de poursuivre le processus plus avant. De même, en mars 2003, la mention d'une République décentralisée dans l'article 1er de la Constitution posait la question de se suffire d'une telle mention au lieu de se référer à l'article 74. Or, Saint-Martin a décidé de pousser plus avant le processus et de ne pas se contenter de l'article 73.

En outre, le principe de subsidiarité nous a amenés à nous interroger sur la pertinence de se référer à l'article 74 plutôt que de rester régis par l'article 73. De même, l'alinéa 2 de l'article 72 mentionnait la possibilité de prendre des décisions permettant la meilleure mise en oeuvre possible des compétences à l'échelon de la collectivité. Cet alinéa laissait entrevoir la possibilité d'opter pour l'article 73. Après mûres réflexions, Saint-Martin a décidé d'abandonner ce statut au profit de celui de l'article 74, afin de disposer d'une administration distincte de celle de la Guadeloupe.

Pour autant, ces questions restent d'actualité. En effet, autant nous sommes satisfaits de l'évolution de 2007, autant nous regrettons que les moyens attribués n'aient pas suivi le transfert des compétences. Pourtant, nous sommes convaincus que cette évolution était la plus appropriée dans le contexte de Saint-Martin. Par conséquent, il conviendrait de faciliter l'adaptation des décisions prises au niveau du territoire afin d'en accroître l'efficacité. En effet, l'article 74 prévoit le transfert de compétences aux collectivités qui en font la demande ; encore faut-il qu'il s'accompagne du transfert des moyens.

Nos réflexions depuis une quinzaine d'années nous amènent à distinguer clairement les différents statuts : DOM, ROM, DROM et COM. Il ne s'agit pas de la même chose. Nous avons opté pour une COM car elle permettait de mettre l'accent sur ce qui différencie Saint-Martin de la Guadeloupe et de la Martinique. Pour autant, nous restons au sein du même ensemble national. Nous considérons en effet qu'à l'intérieur d'une même nation peuvent cohabiter des entités différentes. Les Saint-Martinois sont des Français à part entière avec toutefois des spécificités, par rapport à leurs voisins d'un même ensemble caribéen (Guadeloupéens et Martiniquais, notamment).

Par ailleurs, je ne considère pas que la différenciation soit une notion négative en soi. À ce titre, je ne suis pas favorable à la refonte en un seul article des articles 73 et 74. Il convient au contraire de distinguer les collectivités régies par chacun des deux articles. En effet, celles régies par l'article 74 disposent d'une plus grande mesure d'autonomie, y compris dans le principe de l'identité législative.

En outre, nous ne souhaitons voir modifier aucune des dispositions de l'article 74.

J'estime également que l'article 74 permet dans certains cas l'adoption par les collectivités des mesures justifiées par les nécessités locales concernant l'accès à l'emploi, le droit d'établissement pour l'exercice d'une activité professionnelle ou la protection du patrimoine foncier. Toutefois, il est complexe de juger de l'application de ces dispositions protectrices car il s'agit de compétences partagées avec l'État. Par conséquent, nous ne sommes pas les seuls décideurs. Par exemple, nous nous heurtons à de vraies difficultés quand nous devons apprécier la demande de travailleurs étrangers souhaitant rejoindre notre territoire, alors que leur droit de résidence est régi par l'État. Nous devons en effet nous justifier de notre décision et partageons des compétences sur des sujets pour lesquels nous ne disposons pas d'une appréciation commune des problématiques.

S'agissant de la participation de la collectivité à l'exercice de certaines compétences de l'État, telle l'adoption de sanctions pénales, j'ai un exemple très récent à vous partager. Nous avons dû mettre en place dernièrement des contrôleurs dans les transports publics, sans pour autant disposer de la compétence pénale. Dans ces conditions, ces contrôleurs ne pourront pas verbaliser les contrevenants. La résolution de cette question nécessite de faire accompagner les contrôleurs de gendarmes ou de lancer pour eux une procédure d'assermentation. Nous nous heurtons encore une fois à la problématique du partage de l'exercice de certaines compétences, qui sont pour une part transférées à la collectivité et qui restent pour une autre part du ressort de l'État. Dans ce cas particulier, nous ne pouvons pas garantir la présence d'un gendarme pour toutes les situations de contrôle ; nous ne sommes pas certains que l'assermentation du personnel suffise pour l'application de sanctions pénales.

Enfin, je peux vous confirmer l'adhésion de la population au statut de COM, car elle apprécie de disposer de mesures adaptées aux spécificités de son territoire. En effet, les Saint-Martinois sont pour la plupart anglophones, très tournés vers l'Amérique et très sensibles aux réalités caribéennes. Par conséquent, leur adhésion est totale et ils ne souhaitent pas remettre en cause ce statut de collectivité territoriale d'outre-mer.

Une éventuelle révision constitutionnelle susciterait des inquiétudes s'il s'agissait de faire marche arrière et des espoirs si l'objectif était d'aller plus loin.

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