Merci. Il n'est pas si tard que cela. Il est 20 heures, ce mercredi soir, mais je sais qu'il est très tôt pour la métropole. Merci pour cet entretien. Je vous adresse nos salutations. Je suis accompagné par le président de l'Assemblée de la Polynésie française et la sénatrice Lana Tetuanui.
S'agissant du bilan du statut d'autonomie en Polynésie française, je ne vous étonnerai pas en vous disant que ce statut donne globalement satisfaction, même s'il existe quelques réserves. Le régime de libre gouvernement, ainsi que la répartition des compétences prévue par le statut de 2004, permettent aux autorités locales de gérer les affaires du pays avec des règles conçues et adoptées localement. C'est le principe de base le plus important et c'est ce qui était réclamé par le monde politique polynésien, quasiment dès les années 60.
Globalement, cette répartition des compétences issue de la loi organique de 2004 est satisfaisante, à quelques réserves près. Je rappelle par exemple que le transfert des compétences entre l'État et le pays a été insuffisamment accompagné et non évalué à sa juste mesure. La Polynésie française exerce ses compétences mais, pour certaines d'entre elles, cela ne va pas sans difficultés.
Sur le plan de l'organisation et du fonctionnement des institutions, comme nous l'avons déjà souligné lors de la modification statutaire de 2019, la loi organique devrait être limitée aux éléments essentiels. Comme vous le savez, aujourd'hui, le statut de la Polynésie française entre dans le détail de l'organisation de l'exécutif du pays, en précisant le nombre de ministres et en fixant une limite au budget de fonctionnement.
Une autre difficulté a trait à l'application des articles concernant les communes de la Polynésie française. Aujourd'hui, les communes jouent un rôle très important sur notre territoire. Nous nous efforçons de les accompagner dans leur développement, mais les communes n'ayant pas la compétence générale, leurs compétences sont malheureusement limitées. Certains maires souhaiteraient pouvoir exercer des compétences du pays par délégation. Je pense au champ social, à la jeunesse, au sport et à la vie associative, des sujets très prégnants pour ces maires dans la gestion de leur commune.
Nous essayons de trouver des solutions dans le cadre de l'application des articles 43-2, 48 et 55 du statut, qui prévoient que le pays peut partager certaines compétences avec les communes. Le pays s'est engagé dans la mise en oeuvre de ces articles, mais l'exercice est complexe compte tenu des dispositions propres à la Polynésie française. Il faut faire du sur-mesure, afin de laisser aux communes la possibilité de partager certaines compétences avec nous.
Force est aussi de constater que la répartition des compétences est fréquemment invoquée comme justification pour ne pas associer la Polynésie française à certaines politiques nationales. Je pense par exemple à la gestion des fonds dédiés au très haut-débit, à la contribution au service public de l'électricité (CSPE) ou à certaines politiques en matière de santé. Nous sommes systématiquement écartés des politiques nationales, au motif que la collectivité a la compétence dans ces matières.
Nous appliquons le statut de la Polynésie française depuis 1984. Il a vraisemblablement besoin d'évoluer pour certaines compétences. Nous sortons de la crise sanitaire durant laquelle nous avons dû partager avec l'État certaines compétences : dans le domaine de la santé, pour la Polynésie, etdans celui de la liberté de circulation, pour l'État. La population polynésienne a l'impression que l'État a effectivement exercé ses droits en matière de liberté de circuler tandis que le pays a été totalement absent des décisions prises en matière de santé. Je pense que nous devrons réfléchir à un aménagement de cette compétence de l'État afin de trouver un juste milieu, de sorte que le pays puisse, en temps de crise -sanitaire ou autre nature-, prendre la main sur l'organisation locale des moyens pour y faire face.
Des difficultés existent en particulier en matière de protection pour l'accès au foncier et de protection de l'emploi. Comme vous le savez, depuis un certain temps, en Polynésie française, à l'instar de ce qui se fait en Nouvelle-Calédonie, il est beaucoup question de citoyenneté. En Nouvelle-Calédonie, le sujet a souvent été mis sur la table pour des raisons électorales. Ici, en Polynésie française, cela a été beaucoup discuté lors des dernières élections législatives. Il nous faudra trouver des aménagements au statut. Nous avons été déboutés devant le Conseil d'État il y a quelque temps, mais le sujet continue tout doucement à avancer. Des résultats sont attendus, rapidement si possible.
Il en est de même pour les compétences du pays en matière de relations internationales. La Polynésie française fait aujourd'hui partie de certaines associations internationales, comme le Forum des Îles du Pacifique. C'est compliqué. Nous avons décidé, avec la Nouvelle-Zélande, de construire un câble transpacifique entre Papeete et les îles Samoa. Je n'ai pu conclure rapidement l'accord avec la Nouvelle-Zélande (même s'il ne s'agit que d'un accord commercial) car j'ai dû solliciter l'accord du ministère des Affaires étrangères pour cette opération. Nous ne demandons pas l'extension des compétences internationales sur le plan diplomatique, ni au regard des accords déjà conclus avec l'État français. Mais pour le rayonnement de la Polynésie française, au nom de la France dans cette zone du Pacifique, nous devrions, à mes yeux, jouir d'une liberté d'action plus large pour conclure certains accords avec nos voisins du Pacifique.
Nous avions déjà évoqué, lors de notre dernière rencontre, certaines améliorations souhaitables dans l'évolution statutaire de la Polynésie française. Pour le reste, je vous redis toute notre satisfaction, aujourd'hui, quant à l'exercice de l'autonomie en Polynésie française et aux compétences que nous assumons, avec des moyens financiers qui nous permettent de les exercer. Il reste néanmoins, dans le cadre de la solidarité nationale ou au titre de politiques nationales, à ne pas exclure systématiquement la Polynésie française de certaines matières, au seul motif que nous serions compétents.