Ces dispositions n'ont pas vraiment été mises en oeuvre en Polynésie française. Cette déconcentration aurait effectivement permis à l'État d'appliquer d'une façon beaucoup plus appropriée les dispositions prévues et de les adapter aux spécificités du pays dans les domaines de compétence de l'État. J'ai peu d'exemples d'une application de cette déconcentration en Polynésie française.
Cela va même plus loin : le gouvernement de la Polynésie française n'avait pas été consulté du tout, au départ, quant à l'extension de la déconcentration à la Polynésie française. Je crois que même le Haut-commissaire n'a pas été consulté, à ce jour, quant à l'application de la déconcentration en Polynésie française.
Il s'agit d'une compétence de l'État, dont je ne veux pas juger l'action.
Je souhaitais répondre à la question que vous avez soulevée : l'État nous accompagne-t-il suffisamment dans l'exercice de nos compétences ? La Polynésie a une histoire un peu différente de celle des autres collectivités car, comme vous le savez, nous avons une autonomie de gestion de notre pays depuis 1984. Or jusqu'en 2000, il y avait le Centre d'Expérimentation du Pacifique (CEP). Durant toute cette époque, nous ne nous sommes pas réellement rendu compte de certaines difficultés que nous avions dans l'exercice de notre autonomie, car les choses étaient alors beaucoup plus faciles à régler : la Polynésie française était au service de l'État et celui-ci était assez généreux vis-à-vis de la Polynésie française.
Les choses ont changé à partir de l'an 2000 : il a été mis fin à cette contribution permanente de l'État et à la présence de l'administration militaire, ce qui a également tari le flux de ressources financières qui accompagnait ces activités. Le territoire a réalisé que l'autonomie avait un coût. Fort heureusement, l'État s'est également rendu compte qu'il existait un mouvement de population des îles vers le centre, à Tahiti. Les bureaux du Centre d'expérimentation se trouvaient ici et, pour se rendre sur les sites, il fallait passer par l'île de Tahiti. On a pris conscience de l'hyper-développement de l'île de Tahiti et de l'atoll de Hao, qui était la base arrière, tandis que le reste de la Polynésie française « n'existait quasiment pas ».
L'État a alors mis en place, sous la présidence de Jacques Chirac, des fonds d'accompagnement de la Polynésie française. Il s'agissait d'abord de fonds de reconversion, qui sont devenus l'expression de la dette de l'État envers la Polynésie française. L'État est ainsi intervenu massivement pour le rééquilibrage des infrastructures. Ces investissements nous aident énormément. Affirmer le contraire serait occulter la vérité. D'autres difficultés sont néanmoins apparues, en particulier sur le plan sanitaire et dans le domaine des fonds sociaux. La sécurité sociale, en Polynésie française, est gérée par la Caisse de prévoyance sociale (CPS) et le système mis en place en 1994 a beaucoup souffert. Nous avons une couverture générale de la population : que les personnes cotisent ou non, elles bénéficient d'allocations et peuvent être soignées à l'hôpital. Le dispositif s'est ainsi progressivement alourdi.
Nous avons un système fiscal qui nous est propre et nous nous efforçons de répondre aux besoins du pays. Toutefois, nous sommes confrontés à d'énormes difficultés. Nous subissons les crises économiques comme tout le monde. Je pense à la crise de 2008-2010 et celle sanitaire Ce sont des situations exceptionnelles, mais nous continuons aussi de gérer, sur le plan sanitaire, les conséquences des essais nucléaires. Je ne vais pas plaider dans le sens des opposants au nucléaire, mais il est vrai que le système de santé, en Polynésie française, coûte de plus en plus cher au territoire, et nous avons aussi de nombreux cas de cancer, consécutivement aux essais nucléaires, ce qui fragilise nos dépenses sociales.
C'est la raison pour laquelle, cette année encore, nous avons demandé le soutien de la solidarité nationale, d'autant plus que les difficultés ont pris une acuité nouvelle avec la crise Covid. Les fonds sont devenus de plus en plus exsangues et nous avons souscrit un prêt garanti par l'État, afin de renflouer la CPS.
Pour autant, comme vous le savez, nous n'avons pas de caisse de chômage en Polynésie française : les personnes qui ne travaillent pas, ne perçoivent aucune ressource. Nous avons un dispositif d'accompagnement de nos chômeurs au travers d'emplois aidés qui permettent à chacun de gagner un peu d'argent, mais la situation reste fragile. Durant la crise sanitaire, parce que nous étions autonomes, nous n'avons pu bénéficier des allocations chômage spécifiquement versées en métropole à ceux contraints de ne plus travailler. Nous avons dû nous-mêmes assurer cette solidarité. C'est aussi cela, l'autonomie. Bien sûr, nous aimerions que l'État nous accompagne toujours plus, car cela nous éviterait d'avoir à augmenter les impôts - dont le niveau reste toutefois inférieur à celui de l'Hexagone. C'est un exercice très intéressant : l'autonomie nous donne des pouvoirs de décision et des compétences dans l'exercice des compétences exécutives et législatives. Il faut cependant assumer les responsabilités qui en découlent et souffrir de temps en temps.