Intervention de Ary Chalus

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 1er décembre 2022 : 1ère réunion
Évolution institutionnelle outre-mer — Audition de M. Ary Chalus président du conseil régional de la guadeloupe

Ary Chalus, président du conseil régional de la Guadeloupe :

Nous avons effectivement été cosignataires de l'appel de Fort-de-France. Il faut dire qu'il existe aujourd'hui un enchevêtrement de compétences et surtout un millefeuille administratif qui accentue le manque de cohérence des actions et de l'efficacité des politiques publiques, communales, intercommunales, départementales, régionales.

Nous avions discuté lors du congrès des élus, avant le covid, pour tenter de déterminer quel chemin il fallait prendre. Nous n'échappons pas en Guadeloupe à la forte abstention lors de chaque élection et, comme vous le constatez, à l'augmentation du vote en faveur de partis extrémistes. Nous faisons également face à une profonde rupture entre notre population et la classe politique, ce qui rend toute action ou initiative inaudible. Il faut le dire : cette crise de confiance s'installe durablement et ne fait que se renforcer. L'organisation actuelle n'a ni la souplesse ni l'agilité suffisantes, qualités pourtant indispensables pour agir efficacement.

Il est donc pour nous nécessaire de poser la question des compétences de l'État qui pourraient être décentralisées et dont l'instruction pourrait être transférée à certaines collectivités. Nous pensons notamment aux services déconcentrés de l'État, comme la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Deal). Il n'est pas admissible de ne pas pouvoir construire. Je prends l'exemple de notre hippodrome à Anse-Bertrand : cela fait six ou huit ans que nous sommes bloqués en raison de fouilles archéologiques, et par la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau. Or je pense qu'il s'agit de compétences que la région Guadeloupe aurait elle-même pu exercer. En effet, nous avons sur place des techniciens qui travaillent à la Deal ou dans d'autres services. Nous pourrions donc accuser moins de retard.

Le terme de coproduction n'est pas à ce stade anodin. Cet appel du président de région de la Guadeloupe et des autres régions concernées est un appel solennel à l'État, pour qu'il redéfinisse et modernise ses rapports avec la collectivité, en fonction de leur spécificité. Il est clair que comparées à d'autres, nous représentons de petites régions, qui plus est à 8 000 kilomètres de l'Hexagone, et que nous avons davantage de difficultés.

Nous souhaitons donc élaborer un nouveau cadre d'application des politiques publiques, pour qu'elles soient plus proches des réalités de chaque région. Il faut aujourd'hui placer le levier de décision plus près des territoires et souligner surtout la nécessité d'engager une nouvelle politique économique, centrée sur nos atouts, notamment géostratégiques et écologiques.

Nous savons que cet appel intervient dans le contexte de la fin de l'État-providence. Les questions liées à la modernisation des rapports entre l'État et les collectivités, et à l'appartenance à la République doivent être abordées et repensées.

Nous avons des compétences en ce qui concerne l'application des normes. Ainsi, la région poursuit un programme de valorisation et de préservation de ses littoraux au titre de l'économie bleue, qui découle du plan Océan, programme que nous avons inscrit depuis 2015 avec un budget de plus de 30 millions d'euros. Nous souffrons de l'existence de contraintes liées à la loi sur l'eau. Comme je vous le disais, en raison notamment des actions de la Deal et du conservatoire du littoral, certains de nos projets structurants financés par la région, accusent des retards considérables. Aujourd'hui, cette situation a des incidences sur la commande publique, sur le domaine des bâtiments et travaux publics (BTP).

La gestion du covid ne nous a pas aidés. Nous regrettons la gestion de l'agence régionale de santé (ARS) qui prenait les décisions sans consulter les présidents de département et de région, les élus et les parlementaires. Or je pense que le Guadeloupéen comme j'aime le dire, est le meilleur expert des affaires guadeloupéennes. Nous devons nous interroger sur la nécessité de refonte de nos rapports avec les autorités chargées de la santé. Il y a une nécessité absolue d'agir avec pragmatisme et efficacité, dès lors que la santé des Guadeloupéens est menacée. Cette crise révèle qu'une refonte de nos méthodes et de nos pratiques est indispensable pour avancer.

Vous avez parlé de compétences dans de nouveaux domaines. Nous souhaitons exercer pleinement certaines compétences : la biodiversité, l'environnement, les énergies renouvelables. Des lois fixent les domaines de compétences confiées aux régions : nous n'avons pas exactement les mêmes spécificités que les grandes régions de 3 millions d'habitants, de 5 millions, voire plus. J'ai demandé, au titre de la déconcentration, à plusieurs reprises à l'État que le préfet de Guadeloupe puisse bénéficier de dérogations pour mettre en oeuvre les politiques publiques. Jusqu'à maintenant, cela n'a pas été fait.

Nous avons subi la tempête Fiona : je pense qu'avec cette dérogation, nous aurions pu aller encore plus loin, réaliser les travaux plus vite, afin de soulager les Guadeloupéens qui sont restés sans eau pendant des semaines. Je l'affirme aujourd'hui : certains services de l'État, notamment le Conservatoire du littoral, doivent opérer une vraie décentralisation.

Nous avons une habilitation en matière d'énergie : en matière d'efficacité énergétique, nous avons démontré notre capacité à passer de 20 % à plus de 40 % aujourd'hui.

Nous devons également inclure la question fiscale. À titre d'exemple, encore davantage que sur le continent, l'électrification de la mobilité rendra indispensable la refonte du modèle de taxation qui s'appuyait sur la consommation de carburant.

Nous subissons aussi trop souvent une vision étroite et dogmatique qui freine les projets de développement. Il faut que rappeler 77 % de notre archipel guadeloupéen sont constitués de surfaces agricoles et de surfaces naturelles protégées. Le développement n'est envisageable que sur 23 % de ces surfaces. Il est urgent de revisiter les procédures au niveau de l'État, qui doit être décentralisé. Nous pensons notamment à certaines missions dont l'instruction pourrait être confiée à la collectivité, chef de file du développement et de l'aménagement du territoire. Cela peut même s'envisager à droit constant, sans évolution législative majeure ; nous gagnerions beaucoup en cohérence, ce qui serait déjà un premier pas pour redonner confiance à notre population.

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