Intervention de Pierrick Robert

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 1er décembre 2022 : 1ère réunion
Évolution institutionnelle outre-mer — Audition de représentants des bassins de l'océan indien et de l'océan pacifique de l'association des chambres de commerce et d'industrie d'outre-mer acciom

Pierrick Robert, président de la CCI de La Réunion et président de l'ACCIOM :

Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la question que vous nous posez est au fond celle du niveau approprié d'élaboration des normes. Est-ce qu'il appartient à l'État ou les autorités locales d'adapter les normes ? Pour y répondre, les CCI d'outre-mer ne vous parleront bien évidemment que de l'impact de ces normes et de leur élaboration sur le développement économique. D'abord il nous faut vous indiquer que les chefs d'entreprise sont très partagés sur ces questions : dans plusieurs territoires, et notamment relevant de l'article 74 de la Constitution, ils nous disent que leurs lois organiques ont besoin d'être revues. Pour ceux concernés par l'article 73, s'il y a un fort sentiment d'inadaptation des normes et des modes d'intervention des pouvoirs publics, il y a aussi, dans plusieurs territoires, une forte inquiétude sur les risques d'une évolution statutaire et sur le rattachement à la France. Pour nous, il y a trois choses à examiner : l'opportunité, la capacité des collectivités à mettre en oeuvre de nouvelles compétences et l'organisation de ces nouveaux pouvoirs.

Sur l'opportunité d'abord : il n'y a à notre connaissance jamais eu d'étude scientifique comparant l'impact des différentes évolutions statutaires des outre-mer français sur leurs trajectoires de développement économique. Pourtant nous avons des cas d'écoles assez intéressants, avec des territoires comme Mayotte et les « trois Saints » (Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon), qui ont changé de statut encore assez récemment.

Nous considérons que cet impact n'est pas certain. Pour dire cela, nous nous appuyons principalement sur deux éléments : le taux de croissance du PIB par habitant entre 2000 et 2020 d'une part et d'autre part le taux de croissance annuel moyen de l'indice de développement humain (IDH) entre 1990 et 2010 calculé par l'Agence française du développement (AFD) en 2012. Nous observons que non seulement il n'y a pas de lien apparent entre la vitesse de développement d'un territoire et son statut, mais qu'en plus il n'y a pas de changement substantiel des trajectoires économiques des territoires lors d'un changement statutaire. Au contraire, nous constatons que si certains territoires bénéficiant de l'autonomie ont pu connaître une amélioration significative de leur économie, je pense en particulier à la Nouvelle-Calédonie tirée par le nickel et à Saint-Barthélemy qui a profité de sa situation particulière sur le marché du tourisme, les territoires ayant le moins d'autonomie se développent globalement plus vite.

Cependant, si une réforme devait être menée, se poserait selon nous la question des moyens alloués aux collectivités pour la mettre en oeuvre. Deux remarques : d'abord, les régions ultramarines se caractérisent par des délais moyens de paiement aux entreprises deux fois supérieurs aux plafonds légaux selon un rapport de l'Inspection générale de l'administration de 2019. Un renforcement de leurs pouvoirs impliquerait donc une augmentation de leurs budgets, visiblement contraints, pour leur permettre de les exercer. Ensuite, nous avons aussi regardé les statistiques de la Direction générale des collectivités locales sur l'état de la fonction publique territoriale. Nous constatons que, à l'exception de la Martinique, toutes les régions ultramarines manquent de cadres dans leurs fonctions publiques territoriales, malgré des effectifs au-dessus de la moyenne. Comme le disait Émile de Girardin « Il n'y a jamais eu, il ne saurait y avoir de grande politique sans bonne administration. » Si une réforme devait être menée pour donner plus de compétences aux collectivités, on devrait donc forcément les renforcer en amont.

À supposer enfin que cela arrive, il resterait une dernière question : comment organiser ces nouveaux pouvoirs ? Il nous semble important d'éviter la concentration entre les mêmes mains des pouvoirs législatif et exécutif. Ce n'est pas qu'une vue de l'esprit : le premier rapport de l'Agence française anticorruption et du service statistique du ministère de l'Intérieur sur les atteintes à la probité publique montre que les collectivités de l'article 74 concentrent 3,5 % des infractions pour 0,9 % de la population et 0,6 % du PIB, ce que l'Agence française anticorruption attribue à leurs « singularités institutionnelles ». Si un nouveau système devait être conçu, il devrait prévoir des garde-fous pour protéger l'équité de l'activité économique.

Il nous semble, pour toutes ces raisons, que nous devons d'abord réfléchir à un changement de méthode de travail avant de penser à un changement statutaire, sans que cela ne soit forcément exclusif. Il est en particulier nécessaire de renforcer la dimension partenariale entre l'État, la société civile et les collectivités en s'appuyant sur les contrats de développement et les contrats de convergence. Les plans de convergence doivent en effet déjà contenir un volet sur l'adaptation des normes. S'ils étaient élaborés avec la société civile, et notamment les Chambres consulaires qui en deviendraient signataires, ils pourraient constituer des diagnostics territoriaux partagés mais aussi contenir des engagements financiers et de gestion des collectivités. Nous pensons que certaines dispositions de ces plans pourraient dès lors être votées par le Parlement pour valider les demandes d'habilitation.

Pour cela, nous proposons que le Parlement réserve une semaine de contrôle par an aux questions ultramarines qui serait notamment l'occasion de faire le point sur la mise en oeuvre des contrats liant l'État et les outre-mer. Ces semaines de contrôle pourraient se dérouler en mars, en amont de l'ouverture des conférences budgétaires, qui pourraient ainsi tenir compte de leurs conclusions. Ce contrôle pourrait notamment s'appuyer sur un document de politique transversale outre-mer qui, conformément aux recommandations de la Cour des comptes à la commission des finances du Sénat en mars 2022, pourrait être décalé dans l'année pour améliorer sa fiabilité. Ce document, plutôt que les indicateurs nationaux déclinés en outre-mer, pourrait recenser des indicateurs spécifiques aux outre-mer, déterminés par programme, mais contiendrait toujours les états récapitulatifs de l'effort budgétaire et financier de l'État en outre-mer. Cela donnerait l'occasion au ministère des outre-mer de renforcer son rôle de coordinateur de l'interministériel en réunissant en amont de ces semaines de contrôle les directeurs centraux concernés.

Durant ces semaines de contrôle outre-mer, les délégations aux outre-mer, élevées en commissions spéciales, pourraient examiner un projet de loi sur les « diverses dispositions outre-mer ». Ce projet de loi, examiné en urgence et selon la procédure de la législation en commission, porterait les dispositions financières correspondant aux plans et contrats de convergence, en précisant les enveloppes de la loi de finances initiale, validerait les habilitations demandées dans les plans et adopterait les mesures d'adaptations de la législation outre-mer. Il transcrirait également dans la loi les engagements des collectivités locales, donnant ainsi à ceux-ci une force juridique lors des contrôles de légalité et des contrôles budgétaires des collectivités locales par les préfets.

Cette nouvelle organisation du travail normatif devra également nous amener à réinterroger l'organisation du ministère des outre-mer et les pouvoirs des préfets. La Cour des comptes le dit : le ministère des outre-mer aujourd'hui se disperse, alors qu'il manque de moyens humains et financiers. Il faut renforcer son poids interministériel, ses capacités d'expertise et son rôle d'appui en ingénierie. Les représentants de l'État doivent également se saisir du pouvoir de dérogation qui leur a été octroyé, ce qui pourrait impliquer la création de groupes de liaison avec eux, constitués des collectivités et des chambres consulaires. De manière générale, l'État, aussi bien central que déconcentré, doit travailler en plus étroite collaboration avec les représentants de la société civile et notamment les consulaires qui représentent le monde économique. Nous souhaitons notamment des réunions régulières sur l'adaptation des normes avec les préfets et les collectivités dans une instance dédiée. À Paris, nous sommes représentés par l'ACCIOM. Les ministères, et pas seulement le ministère des outre-mer, devraient nous associer plus fréquemment par ce biais, ce qui nous permettrait de coordonner et de structurer plus facilement nos réponses.

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