Intervention de Viviane Malet

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 8 décembre 2022 : 1ère réunion
Examen en délégation — Adoption du rapport gestion des déchets dans les outre-mer

Photo de Viviane MaletViviane Malet, rapporteure :

Monsieur le président, mes chers collègues.

Nous parvenons au terme de cette mission très riche avec de nombreuses auditions, près de 160 personnes auditionnées ou rencontrées et trois territoires visités : Saint-Pierre-et-Miquelon, Mayotte et La Réunion.

Ces travaux ont confirmé la pertinence de ce sujet. La gestion des déchets est en effet un service public essentiel, au coeur du quotidien des populations - au même titre que l'eau ou l'assainissement - et sans lequel il ne peut y avoir de développement harmonieux et digne. Cette réalité est vérifiée chaque jour. La question des déchets anime en permanence l'actualité des outre-mer. Il n'y a pratiquement pas un jour sans que la presse régionale ultramarine se fasse l'écho d'un dépôt sauvage, d'une initiative citoyenne, des projets innovants ou des problèmes de collecte ou de traitement des déchets.

De plus, la société civile est de moins en moins tolérante. La prise de conscience monte et les collectifs citoyens se mobilisent de plus en plus. Il y a une vraie crainte pour le cadre de vie, l'environnement. Le sentiment est que nous sommes en train d'abîmer nos territoires.

Le rapport s'est concentré sur les spécificités ultramarines, et non sur la politique des déchets en général, avec une attention particulière pour les déchets ménagers.

Le constat est simple. C'est celui d'un retard majeur des outre-mer en matière de gestion des déchets. Tous les territoires sont concernés, bien qu'à des degrés divers. Un chiffre pour illustrer ce décalage : en métropole, environ 15 % des déchets ménagers finissent dans les centres d'enfouissement, 85 % étant valorisés. Dans les outre-mer, le rapport est inversé. Le taux d'enfouissement est écrasant, le taux de valorisation faible et la valorisation énergétique quasi nulle. En Martinique qui est le territoire ultra-marin qui enfouit le moins, ce taux d'enfouissement est de 40 % environ en 2020, quand les autres se situent entre 60 et 80 %, voire près de 100 % à Mayotte. Sur la collecte sélective, les ratios sont aussi très faibles par rapport à l'Hexagone. Les emballages ménagers ont des taux 3 à 4 fois inférieurs, voire 20 fois comme à Mayotte.

D'autres filières REP sont même absentes de certains territoires ou viennent juste de s'y implanter, comme par exemple la filière « Ameublement » à Mayotte ou en Guyane. En Guadeloupe, elle est présente depuis 2021, contre 2012 dans l'Hexagone. Pour rappel, les filières à responsabilité élargie du producteur (REP) ont démarré bien plus tard dans les outre-mer, alors que les écocontributions ont été versées dès leur mise en place, notamment par les metteurs en marché situés dans l'Hexagone et desservant les outre-mer. Pour prendre l'exemple des emballages ménagers, la collecte sélective a commencé dans l'Hexagone en 1992, à La Réunion en 2003, dans les Antilles en 2010, à Mayotte en 2013 et en Guyane en 2015.

Les éco-organismes ont longtemps négligé les outre-mer car cela coûtait trop cher et c'était compliqué. D'autres facteurs expliquent ce retard des filières REP. L'hétérogénéité des territoires n'a pas assez été prise en compte et les stratégies sur-mesure ont peiné à sortir de terre. Ainsi, les cahiers des charges ne sont pas toujours adaptés aux outre-mer qui ont des gisements de déchets réduits. Enfin, les contraintes communes aux outre-mer ont aussi pesé sur les éco-organismes : manque d'infrastructures de base comme des déchetteries, gisements faibles, exportations compliquées, foncier rare, prestataires peu nombreux ...

Ce n'est que depuis 3 ou 4 ans, et surtout depuis l'adoption de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire dite loi AGEC, largement amendée par le Sénat, que les éco-organismes se penchent sérieusement sur ces territoires. Une nouvelle dynamique est là, il faut le dire, même si elle peine encore à produire des effets marquants en matière de taux de collecte. Les éco-organismes commencent à travailler ensemble, grâce à des plateformes multifilières impulsées par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).

La loi AGEC contraint aussi tout éco-organisme à élaborer et à mettre en oeuvre un plan de prévention et de gestion des déchets dans chaque territoire, afin que les performances de collecte rejoignent la moyenne nationale dans les trois ans qui suivent la mise en oeuvre du plan. Enfin, le barème de prise en charge par les éco-organismes des coûts supportés par le service public de gestion de déchets est majoré. Le cahier des charges prévoit ainsi des majorations variant d'un facteur de 1,5 à 2,2 selon les territoires.

Un autre point saillant est la part importante des flux qui échappe à la collecte. Leur estimation est par définition difficile, d'autant plus que les données disponibles sont souvent imparfaites. Les douanes sont peu coopératives pour donner des chiffres sur les importations de certains produits. En Guyane et à Mayotte, les quartiers informels peuvent représenter jusqu'à 41 % de la population. Le service de collecte n'y va pas et les habitants ne contribuent pas au service public.

Enfin, il y a le fléau des dépôts sauvages. Jusqu'à 1200 recensés à La Réunion par exemple par l'ARS. Plus de 300 en Martinique. Et pour les VHU abandonnés, le stock historique estimé à 65 000 en 2015 n'aurait diminué que d'un tiers sept ans après, malgré un plan spécial.

Ce tableau des défaillances et retards de la gestion des déchets outre-mer place ces territoires dans des situations d'urgence environnementale, mais aussi et surtout d'urgence sanitaire. Le constat est alarmant en Guyane et à Mayotte. À Mayotte, des enfants jouent dans les dépotoirs comme nous avons pu le constater avec Gisèle Jourda. Cela semble inimaginable dans la République française, et pourtant ce n'est que la stricte réalité. Cette situation exige d'en faire une cause nationale. Un exemple très concret de conséquences sanitaires graves: la leptospirose, qui peut être mortelle, est nettement favorisée par l'abandon de déchets et la prolifération des rats. En Guyane, son taux de prévalence est 70 fois supérieur à celui de la France hexagonale.

Il y a aussi le problème des anciennes décharges illégales qui peuvent polluer les sols et l'eau très longtemps après leur fermeture. Un suivi est nécessaire. À La Réunion, des cas de saturnisme auraient été détectés dans des habitats défavorisés situés à proximité d'anciennes zones de dépôt de batteries. Les anciennes décharges littorales qui présentent des risques de relargage en mer font en revanche l'objet d'un plan national de réhabilitation qui est à saluer. 14 de ces décharges sur 55 se situent outre-mer.

Sur le volet sanitaire, j'évoquerai aussi rapidement la situation particulière de Saint-Pierre-et-Miquelon à propos de l'élimination des pièces anatomiques d'origine humaine (PAOH). Les PAOH doivent être normalement incinérés. Lorsqu'il n'existe pas d'incinérateur, un autre système doit être mis en place. En Guyane, ces déchets sont enfouis par des sociétés funéraires. Le préfet de Guyane a émis un arrêté pour permettre cet enfouissement dérogatoire. Mais à Saint-Pierre-et-Miquelon, où aucun incinérateur n'est en fonctionnement, aucune solution légale n'a pu être trouvée jusqu'à présent. Lors du déplacement, nous avons constaté cette grave carence. Plusieurs pistes existent néanmoins. L'enfouissement, dans des conditions contrôlées, comme en Guyane. Une seconde piste, qui fut proposée par un entrepreneur local, est l'aquamation. C'est un nouveau procédé qui n'est pas autorisé en France. Dans tous les cas, il y a urgence à trouver une solution pour ces pièces anatomiques, le brûlage « sauvage » étant la pire.

Les enjeux environnementaux sont forts sans qu'il soit besoin d'en dire plus, tant ils sont évidents. Pour rappel, les outre-mer hébergent 80 % de la biodiversité française. Cela appelle un effort national à la hauteur de la responsabilité de la France pour défendre sa biodiversité. Mais c'est aussi un enjeu économique, notamment pour le développement touristique.

En conclusion, très clairement, la cote d'alerte est atteinte, voire dépassée dans certains territoires. Toutefois, ce panorama général ne doit pas masquer des différences importantes entre les outre-mer. Un état des lieux a été fait territoire par territoire. Les différences concernent aussi bien la gouvernance, les modes de financement, le cadre légal, les performances ... La situation de chacun pourrait être résumée ainsi.

Mayotte et la Guyane sont en urgence absolue. Tout reste à construire. À titre d'exemple, il n'y a pas de déchetteries à Mayotte, et seulement deux en Guyane pour un territoire grand comme le Portugal. Les taux de collecte sont les plus faibles et la population croit à une vitesse affolante. L'habitat informel rend très difficile la collecte. À Mayotte, le seul point fort est l'existence d'une installation de stockage aux normes qui dispose d'une capacité de stockage pour encore une quinzaine d'années au rythme actuel, voire moins. Cela laisse un peu de temps pour déployer une politique qui inversera les tendances. En Guyane, les installations sont aussi très limitées et les installations de stockage sont proches de la saturation. La taille du territoire complique aussi l'organisation de la collecte.

La Guadeloupe, la Martinique et la Polynésie française sont sur une ligne de crête et ne parviennent pas à accélérer. L'urgence est gérée, pas au-delà. Le cas de la Martinique est particulier. Seul département et région d'outre-mer (DROM) à s'être doté tôt d'une unité d'incinération, la Martinique n'est pas parvenue à capitaliser sur cet acquis pour déployer une politique plus ambitieuse. Pire, l'incinérateur a vieilli faute d'investissement et connaît de nombreux arrêts techniques qui se répercutent sur l'ensemble de la chaîne de traitement des déchets. En 2016, l'enfouissement était le troisième mode de traitement. En 2020, il est devenu le premier, malgré un tonnage de déchets en baisse du fait du recul démographique.

Wallis-et-Futuna est en train de bouger avec un vrai essor du tri sélectif, grâce à l'écotaxe. Les dépotoirs sauvages sont en voie de résorption. L'éloignement complique naturellement la gestion, en particulier pour les exportations qui ne peuvent se faire au fil de l'eau.

La Réunion et la Nouvelle-Calédonie sont davantage engagées vers un changement de modèle, avec de meilleures infrastructures, en particulier à La Réunion avec de grands projets en construction. Pour La Réunion un des grands défis sera celui des déchets dangereux. L'arrêt complet de l'exportation de ces déchets pendant plus d'un an a embolisé le système de collecte. La prise de conscience de cette fragilité a été forte. À long terme, l'enjeu est de gérer localement une part croissante des déchets dangereux, soit en recyclage, soit en stockage.

Saint-Barthélemy est à part avec une gestion moderne, mais une absence de prévention et des volumes records par habitant.

Saint-Martin enfouit la quasi-totalité des déchets et doit coopérer avec la partie néerlandaise. Le cyclone Irma a également profondément désorganisé le service.

Saint-Pierre-et-Miquelon est le bon élève de la prévention et du tri, mais est complètement défaillant sur le traitement, avec des décharges littorales illégales qui brûlent à ciel ouvert. Pire, à chaque coup de mer, des tonnes de déchets partent dans la baie de Saint-Pierre.

De manière générale, il faut souligner la fragilité financière du service public des déchets. Le coût de gestion outre-mer est en moyenne 1,7 fois plus élevé qu'en métropole. Par ailleurs, les recettes rentrent mal. Les taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) sont déjà très élevés (près du double de la moyenne nationale). Surtout, la TEOM est perçue avec la taxe foncière, hors cette taxe est souvent très mal collectée, notamment en raison du cadastre défaillant. Beaucoup de syndicats mixtes sont financièrement exsangues. La TEOM incitative n'a encore été mise en oeuvre nulle part, même à La Réunion où des études ont été réalisées. Ma crainte principale est qu'elle incite surtout les usagers à se débarrasser de leurs déchets ou à les brûler au fond du jardin.

Je terminerai ce bilan en évoquant l'action de l'État. L'ADEME, qui en est le fer de lance, est appréciée et saluée. De vrais partenariats se nouent avec les territoires pour financer des équipements, élaborer et déployer des plans et monter en compétence. Côté financement, plusieurs dispositifs existent. Le fonds exceptionnel d'investissement (FEI) bien sûr qui est plébiscité en raison de sa souplesse. Il y a surtout les fonds gérés par l'ADEME, en particulier le fonds « économie circulaire ». En 2021, 39 millions d'euros d'aides ont été versés dans les outre-mer sur des projets liés à l'économie circulaire et aux déchets. L'effet de levier est important, car ces aides permettent la réalisation de projets représentant environ le triple d'investissements. Ces crédits sont attribués dans le cadre des contrats de convergence et de transformation.

On observe néanmoins que le montant total des aides allouées outre-mer varie beaucoup d'une année sur l'autre, certains grands projets comme celui d'Ileva à La Réunion en mobilisant la moitié. Sans ce projet, les montants d'aides sont plus proches de 20 millions d'euros par an.

Enfin, il y a les aides européennes, essentielles, mais dont la complexité est comme toujours pointée. Par ailleurs, une inquiétude monte à propos de la pérennité de ces aides. En effet, l'Union européenne est désormais pleinement engagée vers une stratégie d'économie circulaire et s'est fixée des objectifs très ambitieux, qui sont hors d'atteinte pour les outre-mer. La crainte est donc qu'à terme, le versement des aides puisse être remis en cause au motif que les plans et les résultats ne sont pas en ligne avec les objectifs européens de recyclage, de valorisation et de réduction.

Mes chers collègues, le défi pour les outre-mer est donc double. D'une part, gérer l'urgence avec des actions rapides et des investissements structurants « classiques ». D'autre part, s'engager sur la voie de l'économie circulaire, qui est souvent un chemin plus long, bien que plus durable.

L'équilibre est difficile à trouver. Les 26 propositions du rapport s'y efforcent.

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