Intervention de Gisèle Jourda

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 8 décembre 2022 : 1ère réunion
Examen en délégation — Adoption du rapport gestion des déchets dans les outre-mer

Photo de Gisèle JourdaGisèle Jourda, rapporteure :

Dans notre rapport, nous formulons pour répondre aux défis que Viviane Malet vient de vous exposer 26 propositions. Je les évoquerai toutes, en insistant sur une dizaine d'entre elles.

L'urgence donc, c'est d'abord des plans de rattrapage exceptionnels et un puissant ballon d'oxygène financier pour ces territoires. L'effort doit porter aussi bien sur l'investissement que sur le fonctionnement, trop souvent négligé par les dispositifs d'aides. Pour investir, nous proposons donc un plan exceptionnel de 250 millions d'euros sur 5 ans, en plus des financements existants. Un plan Marshall pour Mayotte et la Guyane, et même un « plan Marshall XXL » oserais-je dire. Très clairement, il s'agit de doter ces territoires d'un vrai réseau de déchetteries, de centres de tri et d'unité de valorisation énergétique. Les centres d'enfouissement seront aussi mis aux normes.

Autre mesure forte : l'exonération de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) pour 5 à 10 ans. Cette taxe est en effet injuste et inefficace outre-mer. Ma collègue Viviane Malet en parlerait mieux que moi, car elle en a fait son cheval de bataille. Encore cette année, elle a défendu et fait adopter des amendements pour alléger le poids de cette taxe qui plombe les budgets de fonctionnement. Cette taxe est quasi-unanimement contestée. Les auditions l'ont encore montré. Elle a été plusieurs fois rabotée pour soulager les outre-mer. Pourtant, malgré ces réfactions, la TGAP représente déjà 16 % de certains budgets de fonctionnement et si rien n'est fait, elle va doubler d'ici 4 ans.

Cette exonération pour 5, 7 ou 10 ans selon les territoires permettrait d'alléger massivement et immédiatement les dépenses de fonctionnement des syndicats mixtes ou des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Cela permettra de renforcer l'ingénierie en recrutant, de renforcer la collecte, la prévention, la communication et de réinvestir. En 2020, la TGAP a coûté 17 millions d'euros. Sur 5 ans, c'est donc près de 100 millions d'euros réinjectés pour les déchets dans les seuls DROM.

En matière de financement, nous proposons aussi de baisser de 8 à 3% les frais de gestion perçus par l'État sur la TEOM dans les outre-mer. Nous estimons en effet que le recouvrement médiocre de la TEOM est en grande partie imputable à l'État qui ne modernise pas le cadastre. Dans les communes touristiques, une taxe additionnelle sur la taxe de séjour pourrait aussi compléter les recettes.

Dans les collectivités d'outre-mer, le modèle de l'écotaxe wallisienne, qui alimente un système de gratification du tri des déchets, est très intéressant et pourrait être repris par d'autres collectivités d'outre-mer. Dans les DROM, si l'octroi de mer devait être revu à moyen terme, l'intégration d'une forme d'écotaxe mériterait d'être étudiée.

Sur la gouvernance, il est ressorti des travaux un manque de vision globale dans certains territoires, avec plusieurs acteurs en charge du traitement. Aussi bien dans certains DROM que dans les collectivités d'outre-mer, même si les organisations diffèrent dans chaque territoire, il faut aller vers un opérateur unique pour assurer le traitement.

Dans les DROM, un seul syndicat mixte serait la bonne solution, comme cela existe en Martinique ou à Mayotte, indépendamment des difficultés propres de ces établissements. En Polynésie, le pays doit récupérer la compétence assumée par des communes dépourvues de moyens. En Nouvelle-Calédonie, il faut simplifier le millefeuille gouvernement-provinces-communes. Il manque aussi une meilleure coordination. Dans les DROM, la région est en charge d'élaborer le plan régional de prévention et de gestion des déchets. Mais ensuite, il n'y a pas de réel suivi, de coordination et de pilotage régulier, au plus près. Le comité de suivi du plan doit devenir une véritable instance de pilotage et de coordination, surtout sur des territoires insulaires.

Un autre aspect qui entrave une gouvernance efficace est la faiblesse des données. Cet état de fait n'est pas propre aux outre-mer, comme le relève un récent rapport de la Cour des comptes, mais il y est exacerbé. Deux propositions pourraient contribuer à améliorer la qualité des données :

- une meilleure coopération des douanes, qui refusent de transmettre des données clés sur les gisements ;

- et la création d'observatoires régionaux des déchets dans chaque territoire.

Reste enfin le problème de l'ingénierie et de l'expertise. Ce problème dépasse largement notre rapport. Les conséquences concrètes sont bien connues, comme l'a encore montré cette année le rapport de la Cour des comptes : sous-consommation des crédits, manque de projets... C'est pourquoi, afin que le plan exceptionnel de 250 millions d'euros sur 5 ans soit réellement consommé, nous proposons que dans chaque territoire, des « plateformes de projets » regroupant l'ingénierie de l'État et des collectivités soient créées. Pour que cela fonctionne, il faut que ces plateformes ciblent un nombre restreint de projets, les plus structurants et les plus complexes. D'autres mesures sont proposées comme un guichet unique pour les collectivités ou le renforcement du « fonds outre-mer », géré par l'Agence française du développement (AFD) et dédié à l'ingénierie, qui a montré son efficacité.

S'agissant des éco-organismes, comme l'a relevé Viviane Malet, ils commencent seulement à s'investir sérieusement dans nos territoires. Après tant de retard, le temps des obligations de résultat est venu. Nous proposons donc, si des résultats ne viennent pas cette année, d'expérimenter des pénalités automatiques pour les éco-organismes n'atteignant pas des objectifs chiffrés. Il faut également que les cahiers des charges des filières REP prennent mieux en compte les outre-mer. C'est encore insuffisant. Les éco-organismes doivent y mutualiser leurs moyens et non pas agir chacun dans leur couloir. Les cahiers des charges doivent l'imposer.

Les propositions que je viens de vous exposer visent à insuffler une nouvelle dynamique avec plus de financements, une meilleure gouvernance, de l'ingénierie et des éco-organismes investis. Elles doivent doter les acteurs du déchet des moyens d'agir.

La seconde série de propositions concerne plutôt les stratégies à déployer pour entamer un virage vers plus d'économie circulaire dans le contexte particulier des outre-mer.

Premier point important : il faut adapter la réglementation. Les objectifs de collecte et de traitement sont très largement calqués sur ceux de l'Hexagone et de l'Union européenne. De même pour les règles relatives au transfert des déchets. Or cette réglementation n'a pas été conçue pour des territoires insulaires, isolés, parfois très éloignés d'un État membre de l'OCDE. Elle ne tient pas compte non plus du retard pris par les outre-mer. Elle ne facilite pas la coopération régionale entre des îles très proches, mais au statut politique différent. Il faut donc adapter la législation dans tous ces domaines aux spécificités de nos outre-mer. L'impact pour l'Europe sera minime, mais pour nos territoires, il sera énorme. Cela implique une action résolue du Gouvernement à Bruxelles.

À cet égard, s'agissant des biodéchets, pour lesquels l'obligation de proposer une solution de tri à la source entrera en vigueur au 1er janvier 2024, sa mise en oeuvre sera très compliquée, voire impossible dans ces délais. Sans compter que le climat tropical n'autorise pas des stockages longs en bac. Le principe de réalité commanderait donc de repousser l'échéance. Toutefois, des dynamiques se mettent en place sur les territoires. Un report pourrait les casser, alors même que les biodéchets sont un gisement facilement mobilisable pour réduire le poids des déchets collectés. Il est plus aisé de gérer un composteur ou un méthaniseur que de créer une filière industrielle de recyclage du plastique ou de déchets dangereux. Nous ne proposons donc pas de modifier les délais.

En revanche, pour adapter la réglementation aux territoires, une proposition serait d'habiliter les outre-mer, à titre expérimental, à fixer leurs propres normes en matière d'interdiction de mise sur le marché de certains produits, de réemploi ou de consigne. La consigne sur le verre peut ainsi avoir un grand avenir, comme à La Réunion. La réglementation est un levier à mieux exploiter. Elle doit soutenir la prévention en réduisant ou supprimant certains produits particulièrement difficiles à traiter sur ces territoires. Par exemple, des systèmes de consigne sur les batteries seraient intéressants à expérimenter pour qu'elles cessent de finir au bord des routes ou dans les ravines.

Lors des auditions, les cas des territoires isolés ou les plus défavorisés sont fréquemment revenus. Une piste prometteuse serait de développer les dispositifs de gratification du tri. Les expériences de Mayotte ou de Wallis-et-Futuna sont très encourageantes. À Mayotte, un projet innovant a en effet été mis en place par la société LVD Environnement Mayotte, avec le soutien de Citéo. L'idée part du constat que le tri sélectif ne fonctionne pas à Mayotte, en particulier dans les quartiers informels. Les points d'apport volontaire sont éloignés, insuffisants et très vite dégradés. Le geste du tri n'a pas été approprié par la population.

Enfin, la collecte en porte-à-porte est limitée par les difficultés d'accès (pas ou peu de routes carrossables). Une collecte alternative a donc été imaginée à titre expérimental. Le principe est double : s'appuyer sur les commerces de proximité des quartiers, les doukas (épicerie de quartier offrant une diversité de services) et gratifier le tri.

En dix mois, avec huit points de collecte seulement, 11 tonnes de déchets plastiques (les bouteilles en PET essentiellement) ont été récupérées. La récupération des déchets dans les doukas se fait une fois par semaine. La gratification consiste à offrir des récompenses, en particulier des produits sanitaires (savons, couches, serviettes hygiéniques), aux apporteurs à partir de 5 kg. Des cartes de fidélité sont aussi distribuées, avec une gratification au bout de 15 passages. L'objectif est d'étendre le réseau de collecte et d'atteindre une centaine de tonnes d'ici trois ans, sachant que le gisement est estimé à Mayotte à 1 200 tonnes par an et que le Syndicat intercommunal de valorisation et d'élimination des déchets de Mayotte (SIDEVAM) n'en récupère à ce jour qu'une quarantaine. À plus long terme, LVD Environnement travaille à développer une filière locale de valorisation avec l'entreprise Mayco pour fabriquer des préformes de bouteille à Mayotte. Le lancement de la première ligne de production pourrait démarrer courant 2023.

Les déchetteries mobiles fonctionnent très bien aussi et doivent être développées. De même, les éco-carbets, sorte de centre d'enfouissement simplifié, ont montré de bons résultats en Guyane dans les villages isolés. Cette expérience pourrait inspirer d'autres projets, par exemple dans les îles polynésiennes les moins accessibles.

Un autre sujet majeur est celui des dépôts sauvages qui sont un fléau. Sur ce point, le constat est que la répression est encore trop faible. La loi était complexe, mais depuis la loi AGEC de 2020, les moyens légaux ont été renforcés et clarifiés. Il est indispensable que tous les EPCI ultramarins se saisissent de ces nouveaux pouvoirs. Des polices municipales intercommunales concentrées sur la lutte contre les dépôts sauvages doivent être créées partout.

Un autre levier possible est celui des éco-organismes. La loi AGEC met à la charge des éco-organismes le coût du nettoiement des dépôts, à partir de 100 tonnes. Vu l'urgence outre-mer, il faut l'abaisser drastiquement, à une tonne par exemple. Le seuil exact peut être discuté.

J'en viens à présent à un point très important qui est celui de la priorité à donner aux filières locales de recyclage. Pendant nos travaux, nous avons constaté un foisonnement de projets. De premières réalisations d'envergure, comme le recyclage du verre et du plâtre à La Réunion, sont opérationnelles. Sur tous les territoires, des projets se développent. Même sur des petits territoires, comme à Wallis-et-Futuna, des projets naissent. Par exemple, pour fondre localement l'aluminium collecté et l'exporter avec cette valeur ajoutée. C'est l'axe majeur à soutenir dans les prochaines années pour sortir de la logique de l'exportation, de moins en moins tenable et durable, et faire des déchets une ressource. La crise de l'exportation des déchets dangereux à La Réunion et à Mayotte ces deux dernières années est un vrai signal d'alarme.

Il n'existe pas de solutions clés en main sur ce sujet qui demandera de la patience et une multitude d'actions, à commencer par un soutien financier aux projets. Mais quelques pistes se dégagent :

- mieux partager les expériences entre les outre-mer pour les dupliquer ;

- renforcer la défiscalisation et les aides à la recherche. Ces projets exigent la réalisation de prototypes, puis des investissements lourds ;

- structurer des éco-pôles autour des centres de tri multifilières, afin de favoriser les synergies et les mutualisations ;

- enfin, fixer aux éco-organismes des objectifs de recyclage local.

Dernier axe fort : les outre-mer ne pourront pas faire l'impasse sur une meilleure valorisation énergétique des déchets. À ce jour, seule la Martinique et Saint-Barthélemy y ont recours. Dans l'Hexagone, cela représente 30 % des déchets ménagers. Ce mode de traitement, qui n'est plus privilégié en Europe, paraît incontournable si on veut réduire rapidement l'enfouissement et valoriser des déchets qui aujourd'hui, en l'état des technologies et des capacités des territoires, ne peuvent pas encore être recyclés.

Pour cela, il faut que la commission de régulation de l'énergie définisse un cadre clair, pérenne et favorable au prix de rachat de l'électricité produite par l'incinération des déchets. L'équilibre économique de ces projets en dépend. Les déchets peuvent compléter le mix énergétique des outre-mer pour tendre vers l'autonomie.

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