Après une première séquence consacrée à l'avenir de l'eau, je vous propose désormais de nous tourner vers l'avenir de nos sols. Nous avons le plaisir d'accueillir Valérie Létard et Jean-Baptiste Blanc, respectivement présidente et rapporteur de la mission conjointe de contrôle relative à la mise en application du « zéro artificialisation nette » (ZAN). Qu'ils soient remerciés pour leur disponibilité et leur implication constante. Je sais les trésors de pédagogie qu'ils déploient depuis plusieurs mois afin que la stratégie de lutte contre l'artificialisation des sols soit mise en oeuvre avec les élus locaux, sans raviver des clivages délétères entre les territoires urbains et ruraux ni opposer les espaces en fonction de leur dynamisme démographique.
Vous le savez, la loi « Climat et résilience », adoptée en août 2021, a défini un objectif, pour le moins ambitieux, de réduction de moitié du rythme d'artificialisation des sols d'ici à 2031 par rapport à la décennie précédente, et une cible d'absence de toute artificialisation nette en 2050. Le milieu de siècle sera un millésime écologique de première importance, les objectifs de neutralité carbone, de restauration de la biodiversité et de transition énergétique devant tous être atteints d'ici là. Il fera bon vivre en 2050 !
Rappelons quelques éléments clefs : aujourd'hui, entre 20 000 et 30 000 hectares sont artificialisés chaque année, à un rythme presque quatre fois plus rapide que l'augmentation de la population. La démarche tendant à instaurer le ZAN est le signe d'une convergence renforcée entre le droit de l'urbanisme et le droit de l'environnement ; la sobriété foncière est essentielle pour préserver à la fois notre souveraineté alimentaire, les fonctions écosystémiques des sols et la capacité d'absorption carbone des espaces forestiers.
Nous devons construire mieux, maîtriser l'étalement urbain quand il résulte d'une absence de vision, et inciter à la reconquête des friches. Le ZAN n'est pas une fin en soi : sinon, cette démarche serait « rigidifiante » et finirait par devenir un dogme. C'est au contraire une voie permettant de garantir à chacun un cadre de vie résilient et compatible avec la transition écologique. La stratégie de lutte contre l'artificialisation des sols s'inscrit, par ailleurs, dans le cadre de l'objectif de développement durable n° 15 des Nations unies : « préserver et restaurer les écosystèmes terrestres ».
Voilà pour le bien-fondé de la démarche, que personne ne conteste d'ailleurs. Là où la critique peut, à bon droit, trouver à s'exprimer, c'est au sujet de la méthode. Le Gouvernement n'a pas pris la mesure des difficultés d'application territoriale de la stratégie ZAN : pour favoriser les démarches de concertation territoriale et aboutir à une vision partagée des trajectoires de consommation foncière, les préfets ont été aux abonnés absents. Certains ont anticipé l'application de la loi avec un zèle qui a agacé les élus locaux. Le ZAN, je l'affirme avec force, ne doit pas constituer un prétexte à l'arrêt de tout projet d'aménagement ou de construction. Le Sénat a voté une démarche ascendante qui part des territoires, animé par la conviction que les élus locaux sont les mieux à même de savoir comment répartir les efforts dans le cadre d'instances dédiées, avec responsabilité, souplesse et pragmatisme. L'intention du législateur a été dévoyée par la voie décrétale. C'est tout bonnement inadmissible.
Fort de ce constat, le Sénat a décidé la création d'une mission conjointe de contrôle, composée de sénateurs appartenant à quatre commissions et à tous les groupes politiques. Au terme d'un cycle d'auditions qui a permis d'entendre l'ensemble des parties prenantes, la mission est parvenue à établir une cartographie claire des points de blocage et des irritants relatifs au ZAN. Le Gouvernement, dont les annonces successives sur le sujet démontrent qu'il est parfaitement au courant des obstacles et des difficultés, ne s'est pas mobilisé alors que le ZAN s'invite depuis plus d'un an à l'ordre du jour de toutes les réunions des associations représentatives des élus locaux.
Dans ce contexte, le Sénat, chambre des territoires, a décidé de faire usage de son droit constitutionnel d'initiative législative, par l'intermédiaire d'une proposition de loi déposée le 14 décembre dernier, visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs du ZAN au coeur des territoires. C'est ce texte que Valérie Létard et Jean-Baptiste Blanc vont nous présenter. Je les remercie vivement de partager avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable les convictions qu'ils se sont forgées tout au long de leurs travaux, auxquels j'ai moi-même participé, à l'instar de quelques membres de la commission - Jean-Claude Anglars, Bruno Belin, Ronan Dantec, Joël Bigot -, et la voie équitable, territorialisée et opérationnelle qu'ils souhaitent tracer pour que le ZAN devienne une politique publique ambitieuse dont la France pourra s'enorgueillir, une fois que les difficultés et « retards à l'allumage » seront derrière nous.
Une demande de commission spéciale sur la présente proposition de loi sera examinée ce soir par la conférence des présidents. Les membres de cette commission pourraient être désignés le 1er février prochain.