Intervention de Jacques Le Nay

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 25 janvier 2023 à 10h00
Proposition de loi visant à réhabiliter les militaires « fusillés pour l'exemple » durant la première guerre mondiale — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jacques Le NayJacques Le Nay, rapporteur :

Lors des déplacements organisés dans le cadre de la préparation de ce rapport, de grandes différences d'appréciation sur les priorités stratégiques et les modalités d'action ont pu être notées. Elles concernaient les champs d'action de la France à mettre en avant - faut-il parler de sécurité et défense, de développement économique ou de défense de l'environnement ? -, les modalités d'intégration économique régionale des territoires ultramarins - doivent-elles aller jusqu'à Singapour ou rester dans le Pacifique Sud ? -, ou encore l'agenda de progression des objectifs français, lié par exemple à la présidence française de l'Union européenne qui ne représentait pas un enjeu pour les partenaires indopacifiques.

S'il est normal que chaque opérateur et chaque diplomate ait un prisme propre au secteur ou au pays dans lequel il exerce son action, un réel manque de lisibilité de la mise en oeuvre de la stratégie de la France pour l'Indopacifique est apparu. L'activité des opérateurs n'est pas toujours connue des services des ambassades ; ils en sont normalement informés, mais ils ne peuvent pas toujours garantir la cohérence des actions menées par les différents opérateurs ou leur visibilité.

L'Agence française de développement (AFD) est un acteur historique de l'Indopacifique puisque c'est dans les territoires ultramarins français qu'a débuté son histoire, héritière de la Caisse centrale de la France libre (CCFL) devenue la Caisse centrale de la France d'outre-mer (CCFOM). Outre l'émission de monnaie, elle s'est vue attribuer dès 1946 la capacité d'accorder des prêts aux collectivités et établissements publics ultramarins. L'AFD continue d'accompagner les départements et régions d'outre-mer et collectivités d'outre-mer (DROM-COM) dans leur développement économique, social et environnemental, grâce à l'adoption de la stratégie « Trois Océans » en 2019, qui vise à renforcer le rayonnement des territoires ultramarins français dans leur bassin d'appartenance - bassins atlantique, pacifique et indien. Pourtant, il semble que l'ancrage historique de l'AFD devrait céder la place à une nouvelle organisation, favorisant l'ancrage des DROM-COM qui devraient bénéficier de modalités de financement plus proches de ceux mis en oeuvre pour les collectivités territoriales par la Caisse des dépôts et consignations (CDC). La commission de surveillance de la CDC est dirigée par un parlementaire qui rend compte au Parlement, au moins une fois par an, des travaux réalisés en son sein, en lui communiquant un rapport sur ses débats et ses avis ; tel n'est pas le cas pour l'AFD.

Plus largement, le poids de l'AFD dans la stratégie indopacifique augmente avec sa participation au Forum ministériel pour la coopération dans l'Indopacifique et à l'initiative de rassemblement des banques de développement de l'Indopacifique en parallèle du forum - SUFIP, Substainable Finance in the Indo Pacific. L'AFD intervient dans sept des dix pays de l'ASEAN : au Cambodge, en Birmanie, en Indonésie, au Laos, aux Philippines, en Thaïlande et au Vietnam. Elle anime de fait le volet consacré au développement économique de la stratégie française pour l'Indopacifique.

Or, la question du pilotage politique de cet opérateur se pose. Le pilotage de la politique de développement solidaire est dispersé et l'AFD, dotée d'une « force de frappe » financière en constante augmentation, et d'une propension à intervenir dans un nombre de pays et sur des thématiques de plus en plus étendus, n'aligne pas toujours sa stratégie avec celle de ses tutelles. Dans son rapport sur les opérateurs de l'action extérieure de l'État, la Cour des comptes a ainsi estimé que « les outils de pilotage dont dispose le ministère de l'Europe et des affaires étrangères demeurent insuffisants pour lui permettre d'exercer une véritable tutelle stratégique, au niveau central, sur l'AFD ».

Pour résoudre ces difficultés, il apparaît nécessaire de nommer sur chacune des sous-zones de l'Indopacifique précédemment décrites, un secrétaire d'État qui serait chargé : d'être l'interlocuteur politique que réclament les territoires français de l'Indopacifique ; d'animer l'action des services et opérateurs dans le secteur géographique concerné ; de prendre les arbitrages politiques nécessaires ; d'impulser et de favoriser les coopérations entre zones de l'Indopacifique pour faire progresser les politiques indopacifiques soutenues par la France en matière d'intégration régionale de ses territoires, de protection du climat et de la biodiversité, de renforcement du multilatéralisme, et de promotion des valeurs d'État de droit et de protection des droits humains. Enfin, il appartiendrait à ces secrétaires d'État de mener une feuille de route publique, énumérant des objectifs quantifiés, dans un calendrier et avec des moyens donnés.

Ces nominations permettraient également de répondre au désir de France qu'expriment les pays riverains de l'Indopacifique, de multiplier les participations de haut niveau aux différentes fora de la zone, et d'incarner la priorité donnée par la France à l'Indopacifique. La secrétaire d'État chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux, Mme Chrysoula Zacharopoulou, s'est rendue en Papouasie-Nouvelle-Guinée du 22 au 23 novembre 2022, puis au Vanuatu afin de participer à la Conférence ministérielle de la Communauté du Pacifique (CPS) du 24 au 25 novembre 2022. C'était la première fois depuis 1993 que le Vanuatu, dont 40 % de la population est francophone, accueillait une visite ministérielle - soit 29 ans sans visite officielle de haut niveau !

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