Intervention de Cédric Perrin

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 25 janvier 2023 à 10h00
Proposition de loi visant à réhabiliter les militaires « fusillés pour l'exemple » durant la première guerre mondiale — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Cédric PerrinCédric Perrin, rapporteur :

Les moyens militaires des forces de souveraineté sont apparus, au cours des auditions de préparation de ce rapport, doublement inadaptés : d'une part, aux caractéristiques de l'Indopacifique telles que les élongations qu'elle induit comme aux conditions météorologiques exigeantes qui la caractérisent, mais aussi au durcissement de l'environnement sécuritaire et à la course aux armements qui en découle ; et d'autre part, aux ambitions affichées de la stratégie de la France en Indopacifique.

Le nombre des personnels des armées dans les forces de souveraineté - FAZSOI, FANC et FAPF - a connu une attrition drastique depuis 2008, avec une réduction de 20 % de leurs effectifs et la systématisation du recours aux missions de courte durée (MCD). Les équipements, dimensionnés au plus juste, sont désormais orientés vers les interventions de basse intensité et traversés par des tensions toutes composantes confondues.

Les matériels des forces sont particulièrement vieux : le C-160 Transall a une soixantaine d'années, le Casa CN-235 et les P400 ont une quarantaine d'année, et souffrent en conséquence d'une faible disponibilité.

Les moyens de surveillance aérienne et de transport tactique des forces apparaissent donc très insuffisants et sont peu disponibles, particulièrement les hélicoptères : le remplacement du Puma par le Super Puma (H225) n'est prévu qu'à l'horizon 2026-2028, celui du Fennec par l'hélicoptère interarmées léger (HIL) Guépard en 2032, et celui du Casa par l'avion de transport et d'assaut du segment médian (ATASM) à l'horizon 2030-2035. Aucun retard supplémentaire ne doit être pris dans ces remplacements ; le remplacement des Casa en service au sein des forces de souveraineté n'est pas encore prévu.

Des solutions de location doivent être recherchées pour combler les trous capacitaires dus aux indisponibilités des équipements. Sans avion de transport à long rayon d'action, la capacité de projection des forces et l'appui logistique dans les zones de responsabilité permanentes est fragile. Or, le recours à l'A400M, sous préavis de 48 heures, pour compenser les déficits de capacités, peut être incompatible avec l'urgence. En outre, si toutes les forces de souveraineté devaient avoir besoin de ce renfort simultanément, la question du dimensionnement de la flotte d'A400M se poserait alors. Ce recours à des renforts envoyés depuis l'Hexagone - A400M, MRTT (Multi Role Tanker Transport) ou Rafale - nécessite des adaptations insuffisamment prises en compte en termes d'infrastructures, de sécurité, de systèmes d'information et de communication, et de personnels.

Enfin, les moyens nécessaires doivent être mis en oeuvre pour rénover les bases aériennes, la base aérienne 186 en Nouvelle-Calédonie et la base aérienne 181 à La Réunion doivent faire l'objet d'investissements au bon niveau.

Les moyens nautiques subissent d'importantes ruptures temporaires de capacité qui persisteront encore au moins jusqu'en 2025 et ne devraient cesser qu'avec la fin du remplacement des patrouilleurs P400. Trois patrouilleurs sont actuellement indisponibles - un à La Réunion, un en Nouvelle-Calédonie et un en Polynésie française.

La livraison des six patrouilleurs outre-mer (POM) doit s'échelonner entre début 2023 et fin 2025. La prochaine loi de programmation militaire (LPM) ne doit en aucun cas ralentir le rythme de livraison ou réduire le nombre de POM prévu. L'accroissement des moyens paraît indispensable pour crédibiliser la stratégie de la France pour l'Indopacifique ; les moyens doivent être mis à la hauteur des ambitions.

La mise en service de quatre bâtiments de soutien et d'assistance outre-mer (BSAOM) à la place des cinq bâtiments de transport léger (BATRAL) s'est accompagnée d'une diminution par deux des capacités de transport et de la perte de la capacité amphibie. Or, sur la période 2008-2030, le tonnage de la marine chinoise devrait croitre de 138 %, celui de la marine de la Corée du Sud de 101 % et celui de la marine indienne de 40 %.

Le rapport d'information intitulé « Les outre-mer au coeur de la stratégie maritime nationale », fait par M. Philippe Folliot et Mmes Annick Petrus et Marie-Laure Phinera-horth au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, et adopté le 24 février 2022, recommande notamment de rétablir des capacités amphibies pour les forces navales outre-mer en acquérant des hydroglisseurs - sur le modèle de ceux développés par la marine japonaise -, et d'accélérer le déploiement du programme European Patrol Corvette pour assurer le remplacement des frégates de surveillance. Ces recommandations méritent d'être soutenues.

La question du renouvellement des frégates de surveillance - classe Floréal -, dont le retrait du service est prévu pour 2035, devra être tranchée dans le cadre de la prochaine LPM en prenant en compte, dans le cadre de la stratégie indopacifique, le besoin de bâtiments plus crédibles dans un contexte de retour des conflits entre puissances et d'un environnement opérationnel plus exigeant. Le programme European Patrol Corvette, prévoyant un bâtiment doté d'une plateforme d'accès et de maintenance pour hélicoptère, de mini drones de surveillance et d'un système d'armes, a été lancé en 2019 dans le cadre de la coopération structurée permanente (CSP/PESCO) ; il a reçu le soutien de l'Agence européenne de défense, ce qui laisse espérer son accélération. Le contrat de construction des corvettes pourrait être notifié aux industriels concernés en 2025, et la pose de la quille du premier navire serait envisageable en 2026 - soit un an plus tôt qu'initialement prévu - pour une livraison à partir de 2030. Le développement de ce programme européen doit faire l'objet de l'attention de la commission car il est dimensionnant pour les forces de souveraineté de l'Indopacifique, tout comme le porte-avions de nouvelle génération. Notre capacité à nous déployer en Indopacifique assoit notre crédibilité ; la prochaine LPM devra prévoir l'avancement de ce programme majeur sans accuser aucun retard.

S'agissant enfin de la composante terrestre, l'Ambition 2030 et le durcissement de l'environnement stratégique indopacifique rendent nécessaires la montée en gamme et la modernisation des équipements - redistribution de matériels et régénération de véhicules anciens. La « scorpionisation » des forces est également un objectif et entraîne, en conséquence, l'aménagement ou la création des infrastructures d'entraînement et de stockage - engins, armes, matériels.

Il convient de se demander s'il est encore adéquat de distinguer aussi nettement les standards opérationnels entre la métropole et l'Indopacifique. Il en va de la crédibilité des forces, de leurs capacités en matière d'interopérabilité lors des déploiements depuis la métropole et lors des exercices de haut niveau organisés avec les pays indopacifiques partenaires. Il serait d'ailleurs souhaitable, pour toutes les armées, de renforcer la participation des moyens du haut de spectre aux divers exercices de coopération dans la zone indopacifique, et de conduire, outre les récents déploiements, des activités à forte visibilité stratégique telles que des exercices de tir de missiles, des exercices sur les fonds marins et les câbles sous-marins, associant les bases des forces de souveraineté.

La prochaine loi de programmation militaire ne doit en aucun cas ralentir le rythme de livraison ou réduire le nombre de POM prévu, d'HIL, d'avions ravitailleurs, de frégate de surveillance, de moyens de renseignement, etc. L'accroissement des moyens est indispensable pour crédibiliser la stratégie de la France pour l'Indopacifique. Les moyens doivent être mis à la hauteur des ambitions avec des échéanciers clairs permettant d'afficher les priorités ainsi données auprès des compétiteurs et des partenaires de la France dans l'Indopacifique.

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