Intervention de André Gattolin

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 25 janvier 2023 à 10h00
Proposition de loi visant à réhabiliter les militaires « fusillés pour l'exemple » durant la première guerre mondiale — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de André GattolinAndré Gattolin, rapporteur :

À la lumière des précédentes interventions, nous voyons à quel point la France paraît petite, nonobstant ses territoires ultramarins, dans cet espace immense et composite. Notre pays est cependant membre de l'Union européenne qui s'est dotée, en septembre 2021, d'une stratégie indopacifique allant de la côte est de l'Afrique aux États insulaires du Pacifique - soit une délimitation proche de celle retenue par la France.

La région indopacifique et l'Europe représentent plus de 70 % du commerce mondial de biens et de services, et plus de 60 % des flux d'investissements directs étrangers. L'Union européenne est le premier investisseur et le principal partenaire de coopération au développement dans la région indopacifique, et l'un de ses plus grands partenaires commerciaux ; en effet, la valeur annuelle des échanges commerciaux entre la région indopacifique et l'Europe a atteint 1 500 milliards d'euros en 2019, c'est-à-dire avant la pandémie mondiale.

L'avenir de l'Union européenne et celui de la région indopacifique apparaissent liés l'un à l'autre ; la rupture des échanges conséquente à la pandémie de covid-19 l'a particulièrement souligné. L'Union prône pour un Indopacifique libre et ouvert à tous ; cette vocation inclusive correspond à la recherche d'une voie autonome et alternative, indépendante du concept américain d'Indopacifique. Néanmoins, l'UE se positionne néanmoins aux côtés des États-Unis sur bon nombre de principes et de dossiers ; elle souhaite aussi être associée au QUAD sur les questions liées au changement climatique, aux technologies ou aux vaccins.

Depuis deux ans, la position de l'Union européenne à l'égard de la Chine tend à se durcir, même si un consensus entre les États membres sur ce point peine encore à émerger. Le centre de gravité du fameux triptyque « partenaire, concurrent commercial et rival stratégique » a été débattu lors du Conseil européen d'octobre 2022, et tend à se déplacer de plus en plus de la notion de « partenaire » vers celle de « concurrent et rival ». De fait, la stratégie indopacifique européenne dite de troisième voie se heurte aux ambitions géostratégiques chinoises et son soutien apporté à la Russie dans le cadre de l'invasion de l'Ukraine. Le sommet UE-Chine du 1er avril 2022, ainsi que le sommet des chefs d'État et de gouvernement de l'OTAN du 29 juin 2022, a mis en lumière une crispation croissante.

La stratégie européenne pose cependant de sérieuses questions de cohérence. La première question concerne la cohérence des États membres entre eux ; en effet, un consensus sur la posture à adopter à l'égard de la Chine peine à se dégager, de même que sur certaines orientations à prendre en Indopacifique, notamment dans les domaines de la défense de l'environnement. La seconde question tient à la cohérence des politiques portées par l'Union dans le champ commercial et dans celui de la promotion de l'État de droit et des valeurs démocratiques dans la région.

L'ambition d'aboutir à un accord de libre-échange entre l'ASEAN et l'UE ne risque-t-elle pas de se heurter à l'existence d'une multitude d'accords ponctuels avec certains pays membres de l'ASEAN ? Certains pays ont signé des accords de libre-échange, quand d'autres bénéficient de régimes préférentiels propres aux pays les moins avancés (PMA) - quelques pays ne sont toutefois liés par aucun accord spécifique. Comment tout cela sera-t-il harmonisé ? L'articulation des initiatives européennes - comme celle sur la connectivité avec le programme d'investissement Global Gateway et la stratégie indopacifique de l'Union - n'est pas toujours claire et évidente.

Enfin, les clauses de conditionnalité insérées dans certains accords bilatéraux signés par l'Union européenne avec les États tiers ne sont que rarement activées. Il a ainsi été particulièrement long et complexe d'aboutir, en août 2020, au retrait partiel du Cambodge de l'accord préférentiel « Tout sauf les armes », à la suite du non-respect flagrant d'engagements pris par ce pays en matières de droits humains et de droit du travail. La situation de la Birmanie, qui est dirigée par une junte militaire depuis le coup d'État du 1er février 2021, suscite également de nombreuses questions.

Cette hétérogénéité des mécanismes mis en oeuvre par l'Union dans l'Indopacifique, et en particulier dans la zone ASEAN, fragilise le dispositif communautaire. La boussole stratégique adoptée en mars 2022 devrait cependant poursuivre la logique d'appropriation de l'enjeu indopacifique par l'Union européenne. Pour autant, il est essentiel que la stratégie indopacifique européenne se traduise par des opérations concrètes, des budgets significatifs et des objectifs temporels. Une évaluation à intervalles réguliers de cette stratégie permettrait de s'assurer de sa cohérence effective, et faciliterait une meilleure prise en compte de la réalité géostratégique, très évolutive de la zone indopacifique.

La stratégie indopacifique européenne devra faire montre de sa capacité à tenir compte de l'affirmation croissante de puissance de la Chine qui pourrait, assez rapidement, rendre difficile l'existence d'une troisième voie autonome.

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