Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vais essayer de ne pas répéter ce qu'a dit le président de l'Arcom, étant en tous points d'accord avec ce qui vient d'être dit.
Je me concentrerai sur quelques réflexions que m'inspire votre initiative, dont je salue moi aussi le caractère pionnier et dont je vous remercie. Le sujet dont nous discutons ce matin concerne en effet la vie de la radio et sa place dans les usages audio de demain. C'est là l'enjeu de fond.
La radio, ceci a été rappelé, a une valeur très importante pour nos concitoyens, une valeur individuelle et collective, privée et publique, compte tenu du fait que 40 millions de Français l'écoutent chaque jour, soit 93 % de la population. C'est un média qui sert aussi en cas de crise, l'un des plus résilients, et qui permet une communication sur l'ensemble du territoire. Il a un rôle majeur et nous devons nous préoccuper de la manière dont il sera écouté dans les prochaines années.
Lorsqu'on analyse l'évolution des usages, on s'aperçoit que, contrairement à d'autres médias, le poids de l'écoute en direct reste très important, à hauteur de 90 %. On relève aussi que cette écoute se fait à 80 % sur un support de diffusion hertzienne, en FM. On sait donc que le poids de l'écoute en direct va rester très élevé ces prochaines années.
L'étude britannique à laquelle faisait référence le président de l'Arcom se projette à quinze ans et évalue plusieurs scénarios au sein desquels l'écoute en direct va rester majoritaire, car la radio et, plus largement, l'audio, sont des médias d'accompagnement. On se branche sans s'arrêter pour savoir quel programme choisir, contrairement à la télévision.
Ces préalables sont importants, car ils signifient que la diffusion du direct est un enjeu essentiel pour le secteur. Or il a été très bien souligné que le réseau de la FM est saturé, segmenté, et ne répond plus aux usages d'aujourd'hui.
On sait que, dans les usages audio d'aujourd'hui, des plateformes diffusent de la musique, permettant de présenter la pochette de l'album, des données sur ce qu'on écoute ou sur le programme.
Aujourd'hui, la diffusion en FM est très décalée par rapport à ces nouveaux standards d'écoute qui sont ceux de l'audio. Si on se projette dans la durée, comment la radio va-t-elle rester concurrentielle face à des usages audio qui ont leurs codes, leurs standards, et qui vont être notre première concurrence dans les années qui viennent ?
S'interroger sur la modernisation de cette diffusion est essentiel, et je remercie la commission de la culture d'avoir pris courageusement ce sujet à bras-le-corps en menant une réflexion sur le déploiement du DAB+ et en réunissant l'ensemble des acteurs.
Nous avons été partants, avec les acteurs privés de la radio, pour accompagner l'adoption de cette nouvelle technologie. Nous nous sommes réunis au sein de multiplexes et avons également créé une association de promotion du DAB+.
Cette action est aujourd'hui portée par les différents acteurs, publics et privés, dont l'unité est importante. La radio numérique présente des avantages très importants pour les éditeurs de radio que nous sommes et répond à la problématique de saturation de la bande passante. Il peut donc y avoir plus de radios, ainsi qu'une meilleure diffusion sur l'ensemble du territoire. Cela a aussi des avantages indéniables pour les auditeurs, comme l'absence de changement de fréquences, la gratuité, une plus grande visibilité des données associées aux programmes.
En Europe, beaucoup de pays bénéficient d'une couverture de la radio numérique proche de 100 % : le Danemark, 99,9 %, la Norvège, 99,7 %, la Suisse, 99,5 %. Il en va de même pour l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la Belgique, l'Italie. La France commence à rattraper son retard. C'est bien, mais il faut aller plus loin et la faire connaître aux Français. En effet, même si la couverture est en train de se déployer progressivement, seuls 14 % des foyers sont équipés.
Pourquoi est-ce important ? Aucun des acteurs du secteur ne pourra, dans la durée, supporter un double coût de diffusion alors que ce média subit de plein fouet une transformation numérique qui nécessite des redéploiements de moyens.
Ceci pose la question d'une vraie stratégie de diffusion.
L'idée du président de l'Arcom de travailler sur un Livre blanc pour analyser l'évolution des usages afin d'aboutir à une stratégie concertée et consensuelle est très importante. Nous devons en effet nous interroger sur les conditions de transition entre la FM et le DAB+, ne serait-ce que pour des raisons économiques.
C'est un mode de diffusion moins coûteux, y compris sur le plan énergétique. Cette problématique est de plus en plus importante aujourd'hui au vu de tous les enjeux de développement durable.
C'est aussi une technologie gratuite. Or, l'enjeu est de maintenir un média dont l'accès soit libre, gratuit et facile. C'est essentiel.
Je parlais de la valeur publique de la radio. En 2020, la tempête Alex a endommagé les installations électriques dans les Alpes du Sud. Le seul média qui a continué à fonctionner a été la radio. Elle a permis aux services de la préfecture de continuer à communiquer avec les populations.
C'est un média dont la gratuité et la facilité d'accès sont essentielles.
La question qui est au centre de nos réflexions est de savoir pourquoi basculer vers la DAB+ plutôt que vers un mode de réception tout numérique en wifi ou en 4G. J'en ai déjà évoqué la raison : il nous faut garder un média qui ait un mode de diffusion résilient et gratuit qui repose sur une technologie de diffusion souveraine et maîtrisée par ses acteurs.
Or on n'en est qu'au début de l'histoire et plein de chemins sont possibles. Dans ces univers connectés - enceintes, tableaux de bord - nous sommes face à des acteurs qui se trouvent dans une position de gate keepers. Ils peuvent mettre en place des stratégies d'auto-référencement et pourront peut-être un jour nous demander de payer pour diffuser dans une voiture ou sur une enceinte connectée. Cela va poser beaucoup de questions en matière de souveraineté et de maîtrise de notre média. C'est un enjeu déterminant. Ce sont ces questions qui sont centrales pour l'avenir.