Je souscris aux propos de Mme Dutertre, qui posent le sujet de manière claire et stratégique.
Praticiens dans les départements, les architectes des bâtiments de France sont des agents du ministère de la culture dans les territoires. Nous travaillons avec les élus, en particulier dans les communes rurales, où l'on constate des difficultés et des manques d'ingénierie.
Je souhaite tout d'abord insister sur le fait que la rénovation énergétique du bâti concerne la question du logement et de la vie. On passe de crise en crise : les gilets jaunes ont questionné le périurbain, la crise du covid a posé la question de la qualité du logement, et aujourd'hui la crise énergétique pose la question de la rénovation du bâti ancien. N'oublions pas que l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) impose, à juste titre, le réinvestissement des centres anciens, la rénovation du déjà-là. Le conflit actuel pose la question de la construction et de son coût énergétique, qui représente un quart de la consommation totale d'énergie et doit être réduit. Les processus, les habitudes et les normes sont questionnés, et la rénovation énergétique du bâti concerne ainsi le logement dans sa globalité.
Ensuite, il faut préciser que si les ABF ont pour objectif la rénovation, la conservation et la mise en valeur du patrimoine, ils ne sont présents que sur 6 % du territoire national. C'est très peu : seule une part insuffisante du bâti est concernée par les lois et les textes du code du patrimoine. De même, hormis en cas de CAUE, les élus et les professionnels se retrouvent sans ingénierie de conseil pour porter ces projets, ce qui est fréquent en milieu rural. Ce point est important : la rénovation énergétique du bâti ou l'amélioration de l'habitat doit être comprise comme une chaîne globale, incluant un concepteur - qui souvent n'est pas architecte -, un maître d'ouvrage et des équipes d'ingénierie. En particulier, la profession de thermicien n'est pas réglementée en France. Les compétences des thermiciens en matière de bâti ancien sont rares : dans le Finistère, j'ai identifié une seule personne compétente ; en Nouvelle-Aquitaine, le thermicien spécialiste du bâti ancien vient de prendre sa retraite, et les collègues architectes sont désespérés. En amont, les conseillers MaPrimeRénov' ne sont pas toujours formés, tout comme les artisans en aval. Nous savons que cela fait partie des missions des ABF : nous nous battons pour préserver des mises en oeuvre traditionnelles, des enduits anciens, des fenêtres en bois faites sur mesure, pour conserver non seulement un patrimoine, mais également des savoir-faire. Or ces savoir-faire ont disparu ou sont très difficilement mobilisables, alors que ce sont ces entreprises qui permettront une rénovation massive du patrimoine ancien.
Enfin, toutes les normes sont aujourd'hui pensées pour le neuf, alors que le bâtiment ancien, qui a d'autres qualités, se comporte différemment. Certains organismes comme l'Ademe et le centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien (Creba) travaillent sur ce sujet, mais nos normes et nos systèmes d'aide sont néanmoins tous tournés à destination du neuf. Il y a là un sujet : sur le terrain, par méconnaissance, 80 % du budget des gens rénovant leur logement est consacré à résoudre environ 25 % du problème. Par ailleurs, certains architectes expérimentés ont travaillé lors des grandes campagnes de rénovation du bâti des années 1980 et 1990. Les bailleurs sociaux constatent aujourd'hui que, par manque d'adéquation, tous ces travaux faits en centre ancien sont à reprendre, et qu'ils ont même parfois considérablement dégradé l'état sanitaire et la qualité de vie dans ces bâtis. Faisons attention : dirigeons tout cet argent consacré à la rénovation énergétique du bâti - il y en a beaucoup - au bon endroit, pour qu'il ne soit pas contre-productif dans les trente ou quarante années à venir.