Je souligne la qualité du dossier qui nous a été remis dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, qui contient de nombreuses propositions.
Il y a un vrai risque de la « France moche » - j'exagère sans doute -, de banalisation : on veut aller vite en raison de l'urgence climatique, et on a tendance à faire partout la même chose, car l'isolation par l'extérieur emprunte toujours les mêmes méthodes. Or le charme de la France, c'est son patrimoine, ses spécificités locales. La modénature donne de l'élégance aux bâtiments, mais court le risque de disparaître. Pour l'isolation par l'intérieur, il y a également un risque de destruction du patrimoine.
Concrètement, en tant que président d'une intercommunalité, j'ai vu une commune carencée en logements détruire dans l'urgence des bâtiments intéressants, comme des maisons en meulière. Il y a un vrai risque d'une banalisation assez terrifiante de notre environnement.
Les associations du G8 Patrimoine ont réagi unanimement en novembre dernier, pour alerter sur les risques de mise en péril du patrimoine que comporte la loi Climat et résilience de 2021. Le risque naît aussi d'une incompréhension : tout repose aujourd'hui sur le diagnostic de performance énergétique (DPE), mais les gens qui réalisent ces DPE ne sont pas toujours qualifiés quant au patrimoine, et traitent de la même manière un bâtiment ancien et un bâtiment construit il y a dix ou vingt ans. Selon ces associations, le patrimoine d'avant 1948 représente même un atout pour la question environnementale - j'y reviendrai.
Il y a une accélération de la législation, une accumulation de lois qui fait que plus personne n'y comprend rien. Dans une ville patrimoniale comme Versailles, même avec les services très compétents dont nous disposons, les choses sont devenues si difficiles à suivre que les propriétaires de logements anciens ont cru qu'ils devraient vendre en catastrophe leurs biens de classe énergétique G ou F, car ils pensaient qu'ils ne pourraient plus les louer après 2025 et 2028. Il y a eu un moment de panique, avant que nous ne prenions connaissance d'un décret pris le 8 avril par le ministère de la culture, qui permet à une ville comme Versailles, dans un secteur protégé, de bénéficier de règles assouplies. Mais personne n'est au courant !
De même, le ministère a récemment autorisé à assouplir la règle sur l'installation de panneaux photovoltaïques en espaces protégés. Les ABF font un travail courageux, mais ils n'en peuvent plus. Dans mon département, les ABF doivent rendre 4 000 avis par an. Ce n'est pas sérieux : un suivi intelligent pour la rénovation ne peut pas être réalisé sans prendre du temps. Il y a un problème de suivi, même lorsqu'un dispositif de protection existe, qui ne concerne en effet que 6 % du territoire. Les CAUE sont une bonne idée, mais ils souffrent également de problèmes d'effectifs, et sont très inégalement répartis entre les départements.
Un point me semble très préoccupant. Aujourd'hui, l'État, confronté à des logiques contradictoires, devient un peu schizophrène. Dans une ville patrimoniale comme Versailles, l'État cherche à vendre ses biens le plus cher possible, à tel point qu'il m'est impossible de participer aux jurys sur les projets. Par exemple, l'État a vendu un bâtiment Roux-Spitz à un prix extrêmement élevé en interdisant aux promoteurs de me rencontrer, pour faire monter les prix. Si l'on veut vraiment protéger le patrimoine collectivement, il faudrait commencer par établir un vrai dialogue.
Il y a pourtant une opportunité extraordinaire qui se présente à nous. Le patrimoine permet de renforcer la lutte contre le réchauffement climatique, car de nombreux bâtiments anciens sont conçus intelligemment par rapport au climat. On ne le dit pas assez, mais la pire activité pour l'émission de gaz à effet de serre est la construction. Selon une loi récente, lors de la construction d'un bâtiment, on n'est plus soumis à la réglementation thermique (RT) mais à la réglementation environnementale (RE) : sur les cinquante années de vie en moyenne d'un bâtiment, la création de gaz à effet de serre repose, entre 60 % et 90 %, sur le moment de sa construction. Le patrimoine a donc un atout naturel concernant les problèmes de l'environnement, mais on ne le dit pas assez.
Les architectes ont beaucoup évolué aujourd'hui. La présidente de l'ordre des architectes, Christine Leconte, a publié un livre avançant qu'il faut transformer le logiciel, et apprendre à rénover. Cette révolution intellectuelle est fondamentale : défendre le patrimoine, c'est aussi s'insérer dans une logique de protection de l'environnement.
Il faut donc tout d'abord renforcer la formation. Dans les écoles d'architecture, on ne parle que très peu de la question du patrimoine ; la rénovation doit être davantage mise en avant dans la formation des architectes.
Je pense aussi que la recherche sur les nouveaux matériaux doit être renforcée. En 2011, une étude a été conduite avec les associations de patrimoine, qui jouent un rôle capital pour répondre au manque d'effectifs de certains services.
Il faut aussi réfléchir à transformer le diagnostic de performance énergétique (DPE). Les diagnostics sur des bâtis patrimoniaux doivent être réalisés par des personnes conscientes de l'existence de différences avec le bâti récent. Des spécialistes « DPE patrimoine » me semblent utiles. Ceci d'autant plus que le système des aides reste d'une incroyable complexité, en dépit des efforts faits avec MaPrimeRénov'. La communication concernant ces aides devrait être renforcée.
Responsabiliser les collectivités territoriales me paraît également essentiel. En effet, sur les 400 millions de mètres carrés de bâtiments publics, les trois quarts relèvent des collectivités territoriales. Celles-ci devront donc être aidées. Un système de tiers financeur a été récemment adopté à l'Assemblé nationale. Ce système est certes intéressant, mais la garantie du remboursement, qui repose sur des améliorations énergétiques, sera difficile à mettre en place dans un contexte de fluctuation des prix de l'énergie. Nous venons de sortir des emprunts toxiques, il faut donc faire attention. Du point de vue des collectivités, une aide directe serait certainement un dispositif plus efficace.
On peut aussi décliner des mesures existant déjà dans d'autres domaines.
Ainsi, dans le cadre de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU), certaines villes doivent payer des pénalités. Pourquoi ces pénalités ne financeraient-elles pas la rénovation thermique du patrimoine ancien ?
La péréquation peut aussi être employée. De mon point de vue - je l'ai déjà indiqué lorsque j'étais député -, la péréquation, renouvelée chaque année avec le même montant, est un mécanisme pervers. En effet, des ressources sont prélevées sur les finances d'une commune au profit d'une autre, sans connaître leurs projets respectifs. La péréquation pourrait devenir un instrument intelligent. Les communes qui réalisent des investissements patrimoniaux pourraient ainsi être aidées en bénéficiant d'une baisse de leur contribution à la péréquation. Chaque année, la ville de Versailles perd huit points d'impôts à ce titre, sans tenir compte des éventuelles évolutions de charges.
Enfin, pour relever ces défis, les associations sont des acteurs importants. J'ai été directeur général de la Fondation du patrimoine qui a réalisé un travail remarquable ces dernières années. Le label de la Fondation du patrimoine est un outil très intéressant. Ne pourrait-on pas utiliser ce label, en l'étendant, afin de faciliter les rénovations ? Ce serait un levier d'action pour les propriétaires privés de bâtiments anciens.
Il est nécessaire de s'appuyer sur des associations comme Maisons paysannes de France, qui a une véritable culture s'agissant de l'utilisation de techniques anciennes pour l'isolation de ces bâtiments. Cela permettrait d'avoir une meilleure approche de la rénovation énergétique.
La rénovation énergétique est à la fois un risque - dans votre rapport, l'emploi du mot défi est très juste -, mais aussi une opportunité.