Intervention de Boris Ravignon

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 1er février 2023 à 9h30
Transition écologique du bâti ancien — Audition de Mm. François de Mazières maire de versailles boris ravignon président de l'agence nationale de la transition écologique jean-françois hébert directeur général des patrimoines et de l'architecture au ministère de la culture fabien sénéchal président de l'association nationale des architectes des bâtiments de france et Mme Grégorie duTertre directrice du conseil d'architecture d'urbanisme et de l'environnement de seine-et-marne

Boris Ravignon, président de l'Agence de la transition écologique :

L'Agence de la transition écologique est le nouveau vocable utilisé pour désigner l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Sa contribution porte sur plusieurs domaines de la transition écologique. Les principaux fonds dont elle dispose, qui sont connus des sénateurs comme des élus locaux, ont trait au développement de la chaleur renouvelable, aux dispositifs d'économie circulaire et à l'accompagnement des mutations de notre parc de logements.

Il s'agit d'un des grands enjeux écologiques de notre pays. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, 90 % du parc des 30 millions de logements actuels doit atteindre un niveau de consommation énergétique équivalent à celui des bâtiments basse consommation énergétique (BBC).

À ce jour, la consommation énergétique moyenne du parc de logements français est de l'ordre de 200 kilowattheures par mètre carré et par an. Or l'objectif est d'atteindre 80 kilowattheures pour 90 % des logements composant ce parc.

Il s'agit donc d'un travail d'ampleur et la contribution du parc de logements est essentielle à la réalisation de la neutralité carbone.

On pourrait considérer que les 10 % de logements restants, qui n'atteindraient pas le niveau de consommation énergétique des BBC, relèveraient du bâti ancien, mais ce n'est pas le cas. Celui-ci représente entre 20 % et 25 % de notre parc actuel de logements, soit environ 7 millions de logements. L'enjeu est considérable.

Ces chiffres rendent compte de la planification écologique.

Comme cela a été rappelé, l'évolution du bâti ancien a été une nécessité sociale. Les personnes qui y résident ont les mêmes droits d'accès aux progrès en matière de consommation énergétique que celles habitant dans des logements plus récents. Je suis d'accord avec François de Mazières : il serait dangereux que le bâti ancien ne soit pas intégré à la transition écologique et qu'il devienne un espace symbole de déclassement en raison de coûts énergétiques très supérieurs aux autres. Les logements soumis à la loi de 1948, privés d'investissements pendant des décennies, en sont un exemple avec un fort taux d'habitats insalubres.

Accompagner la transition énergétique du bâti existant est donc essentiel. Les habitants du bâti ancien doivent ainsi profiter des mêmes avantages que les autres en progrès de consommation énergétique, puisque cela se traduit par de moindres dépenses d'argent.

Mais il s'agit aussi de respecter les caractéristiques de ce bâti ancien. L'Ademe considère que le bâti ancien, à savoir celui datant d'avant 1948, n'est pas assez correctement documenté dans toute sa diversité. Après 1948, une standardisation et une forme d'industrialisation des modes de construction ont permis d'obtenir des bâtiments dotés des mêmes caractéristiques sur l'ensemble du territoire.

Il est donc encore nécessaire de comprendre les caractéristiques et la diversité de ce bâti ancien. Les maisons à colombages de Troyes diffèrent des maisons en pierre de taille de l'Aubrac. Les caractéristiques thermiques, hygrothermiques, architecturales, qui dans certains cas sont favorables à l'isolation, doivent être étudiées. Ce n'est pas le cas pour l'instant.

À ce jour, la réglementation environnementale, dite RE2020, est applicable essentiellement à la construction neuve. Une transition écologique qui ne concernerait que les logements construits chaque année, et pas les 99 % de logements existants, ne serait pas satisfaisante.

Des guides de bonnes pratiques, fondés sur une connaissance fine de ces bâtiments anciens, sont nécessaires. Un travail de recherche sur les matériaux et leur mise en oeuvre, spécifique à chaque type de construction ancienne, est à réaliser afin d'améliorer les qualités énergétiques et thermiques de ces bâtiments.

En effet, la rénovation ne doit pas être effectuée au détriment de la préservation du bâti ancien ; des protections s'appliquent à ce bâti. Ainsi, l'isolation extérieure est possible uniquement si elle n'est pas contraire aux mesures de protection prévues.

L'Ademe a donc choisi de soutenir la recherche sur ces sujets, en l'accompagnant de la création de labels nouveaux, comme le label Effinergie patrimoine, expérimenté pendant trois ans entre 2020 et 2022. Il a permis de déterminer s'il était possible d'atteindre le niveau des BBC dans le bâti ancien. Cela est possible, mais suppose un travail conciliant l'amélioration thermique des bâtiments anciens et leur préservation.

Ces deux dimensions ne sont pas dissociables et il est nécessaire de trouver les personnes capables de le faire. Un travail de formation et de diffusion de ces bonnes pratiques est indispensable. Une standardisation ne sera pas possible ; il faudra travailler selon le type de bâtiment ancien concerné.

Notre approche est donc de mettre l'accent sur la conciliation de ces deux dimensions : rénovation et préservation du bâti ancien.

Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l'architecture au ministère de la culture. - Comme acteur de terrain, je reprendrai quelques éléments et développerai des axes du rapport de Sabine Drexler, moins abordés.

Ce sujet n'est pas récent ; nous travaillons depuis quelques années avec les associations évoquées par François de Mazières. Néanmoins, ce sujet est devenu une priorité du Gouvernement, mais aussi du ministère de la culture. Une feuille de route est en train d'être mise au point, dont la ministre parlera prochainement.

Comme cela a été justement rappelé, la préservation du patrimoine est écologique par essence. En effet, on conserve des sols, des ressources, des matériaux, des immeubles et des mobiliers, qui sont transmis aux générations suivantes.

Le ministère travaille sur plusieurs axes, mais je concentrerai mon propos sur la formation - un peu - et sur l'interministérialité. Nous travaillons sur la formation des professionnels. Je corrige les propos de François de Mazières sur les écoles d'architecture, qui sont toutes engagées dans cette transition écologique.

La ministre a créé, voilà deux jours, un prix portant sur ce sujet et quelque 60 % à 70 % des projets architecturaux concernent la rénovation ou la réutilisation de ces bâtiments. La majorité des projets ne relève plus de la construction neuve. C'est un mouvement de fond très encourageant.

Sur la formation continue, un travail très important a été mené en association avec les architectes du patrimoine et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Nous avons pu mobiliser des professionnels et les faire travailler sur des sujets très concrets : les matériaux isolants, les filières biosourcées, la problématique des fenêtres, etc.

Nous allons lancer une formation en ligne, toujours avec le Cerema, qui abordera différents thèmes sur quatre semaines : les enjeux de la réhabilitation énergétique responsable du bâti ancien, la méthode à adopter pour concevoir un projet de réhabilitation énergétique responsable, les spécificités techniques ; les solutions d'amélioration énergétique respectueuses du patrimoine et techniquement adaptées.

À ces formations très nombreuses, s'ajoutent d'autres formations organisées par des associations, comme Maisons paysannes de France, dont l'engagement sur le sujet est ancien.

Le ministère a aussi la responsabilité de diffuser les données, ce qu'il fait via des fiches techniques.

Je voudrais maintenant me concentrer sur la dimension politique. Nous sommes tous conscients qu'il faut réussir à concilier des exigences en apparence contradictoires : développer les énergies renouvelables et protéger le patrimoine sont deux objectifs différents, mais nous avons la conviction qu'ils ne sont pas irréconciliables.

C'est pourquoi, sous le ministère de Roselyne Bachelot et, maintenant, de Rima Abdul-Malak, nous avons décidé de travailler avec nos collègues du ministère de la transition écologique, comme le montre le travail réalisé sur le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Dessiner en collaboration avec eux des orientations pour le terrain nous a semblé une bonne manière d'éviter d'en venir à des mesures presque « démagogiques », dont, par exemple, la suppression pure et simple de l'avis conforme des architectes des bâtiments de France. L'effort que le ministère a fait sur lui-même a donc été de ne pas se braquer sur une interdiction de tout panneau photovoltaïque dans les zones protégées par les ABF, mais d'organiser l'installation et l'insertion de ces panneaux, de manière intelligente, dans les centres anciens.

Je tiens d'ailleurs à vous remercier, monsieur le président Lafon, vous et les membres de la commission, car vous avez soutenu les deux ministères dans cette affaire. Nous ne sommes pas passés loin d'une catastrophe qui aurait été la réédition de l'entorse, décidée dans le cadre de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi Élan, autorisant les maires à se passer de l'avis conforme en cas de logement insalubre.

Notre intention est de continuer dans cette voie de l'interministérialité : nous allons travailler sur le diagnostic de performance énergétique (DPE) ; nous voulons faire évoluer les critères d'attribution de certains dispositifs de soutien, comme MaPrimeRénov' ; nous allons capitaliser sur toutes les données accumulées par les instances scientifiques, comme le Centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien (Creba) ou l'Association nationale des architectes des bâtiments de France (Anabf), et les traduire en nouvelles recommandations ; à partir du mois de mars, nous engagerons un travail sur la norme européenne NF EN 16 883 - performance énergétique des bâtiments d'intérêt patrimonial ; enfin, nous serons très occupés par un chantier tout à fait structurant, celui des menuiseries des fenêtres des monuments historiques, dont la conservation est remise en cause par les modalités d'attribution des subventions de la rénovation thermique. Nous devrons d'ailleurs, sur ce dossier également, travailler avec nos collègues du ministère de la transition écologique, dans le but de donner des directives claires à nos ABF, mais aussi nous rapprocher des groupements d'entreprises spécialisées, qui ont tout intérêt à nous proposer des matériaux innovants, et harmoniser les pratiques d'autorisation de travaux.

J'insiste donc sur l'importance du travail interministériel engagé : c'est la voie d'avenir !

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