Intervention de Emmanuel Chiva

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 30 novembre 2022 à 9h30
Audition de M. Emmanuel Chiva délégué général pour l'armement

Emmanuel Chiva, délégué général pour l'armement :

Je suis conscient que l'examen des crédits de la mission « Défense » s'est déroulé la semaine dernière, je suis vraiment désolé de ne pas avoir pu venir plus tôt.

En ce qui concerne le projet de loi de finances pour 2023 (PLF 2023), je ne commenterai que les points les plus saillants. Je note tout d'abord que la LPM 2019-2025 fait l'objet, une nouvelle fois, d'une exécution à l'euro près, avec, dans le programme 146, 17 milliards d'euros d'autorisations d'engagement (AE) consacrés aux programmes à effet majeur, soit une augmentation de 111 % due à des avancées importantes, notamment au profit du Rafale - y compris la version F4 du Rafale -, du patrouilleur du futur, du système de lutte anti-mines du futur (SLAMF), du porte-avions nouvelle génération, de la défense sol-air et du programme Scorpion ; en crédits de paiement (CP) une enveloppe de 8,5 milliards d'euros est prévue.

Le budget pour 2023 du programme 144 est porté à 1,250 milliard d'euros en autorisation d'engagement (AE) AE et 1,16 milliard en crédits de paiement (CP) , au profit de l'innovation. Vous connaissez mon attachement à l'innovation. Le message étant qu'il ne faut pas sacrifier la préparation de l'avenir à l'urgence des crises actuelles. La trajectoire croissante des dépenses en faveur de l'innovation continue d'être respectée et des efforts particuliers seront faits dans des domaines stratégiques, notamment la cyberdéfense, les menaces nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC) et la lutte anti-drone.

De manière générale, les crédits alloués à la dissuasion nucléaire continuent d'augmenter, en particulier pour le renouvellement des deux composantes, océanique et aéroportée. La montée en puissance dans le domaine spatial se poursuit également avec un effort financier de 684 millions d'euros. Le domaine cyber connait une accélération continue avec une enveloppe de 270 millions d'euros en AE pour les programmes à effet majeur, et de 27 millions d'euros pour les projets d'innovation cyber.

Je ne citerai pas toutes les nouvelles livraisons prévues pour 2023, mais je vous donnerai des exemples emblématiques : 13 Rafale F3-R, plus de 8 600 fusils d'assaut HK416F, 123 blindés Griffon et 119 blindés Serval, 200 missiles moyenne portée (MMP) et 38 postes de tir, un sous-marin nucléaire d'attaque (SNA), le Duguay-Trouin, qui vient de réaliser sa première divergence, à savoir la première mise en service du coeur de propulsion, des missiles mer-mer Exocet, trois avions MRTT et un satellite de communication Syracuse 4, avec 37 stations tactiques satellitaires.

Je profiterai de ma présence pour vous dire quelques mots sur ma vision pour la DGA et son avenir.

J'ai été nommé délégué général pour l'armement le 29 juillet dernier ; j'ai pris la tête, avec humilité, d'une administration unique en France et dans le monde. La DGA est un outil que d'autres nous envient. C'est bien son existence qui a permis à la France de se démarquer en équipant un modèle d'armée complet, et en disposant d'une des bases industrielles et technologiques de défense les plus solides dans le monde.

Ses grandes missions sont les suivantes : équiper les armées de façon souveraine ; préparer le futur des systèmes de défense ; promouvoir la coopération européenne ; et soutenir les exportations. En 2021, nous avons fêté les 60 ans de la DGA, née de la vision du général de Gaulle, qui a permis de positionner la France au niveau des plus grandes puissances mondiales.

Son action est renforcée par l'AID et par l'Agence du numérique de défense (AND), deux services à compétence nationale qui me sont directement rattachés.

La DGA emploie plus de 10 000 personnes réparties sur l'ensemble du territoire dans 10 centres d'essai et 14 sites. Je rappelle que depuis la semaine dernière, nous avons deux spationautes - retenus parmi 23 000 candidats -, Sophie Adenot, une ancienne de la DGA, et Arnaud Prost qui y travaille encore.

La DGA est donc un outil précieux et unique parmi toutes les administrations de l'État, auxquelles nous mettons régulièrement à disposition notre expertise. Lors de la crise sanitaire, par exemple, le centre d'expertise et d'essai DGA Maitrise NRBC a pu réaliser les tests pour la fabrication des masques français.

Il n'en reste pas moins que la DGA doit se transformer pour répondre aux évolutions qui s'imposent à nous. Je pense évidemment au contexte international et diplomatique, mais aussi au contexte technologique ; le rythme de l'innovation s'accélère et l'accès à certaines technologies réservées auparavant à des domaines souverains ou régaliens commence à se démocratiser. Je pense notamment à ce qui se passe dans l'écosystème du le new space, qui concerne l'orbite basse, auquel seuls les États pouvaient avoir accès, mais où il y a aujourd'hui un foisonnement d'initiatives privées.

Il faut tenir compte du contexte économique d'inflation et de renforcement économique de certains de nos compétiteurs, ainsi que du contexte environnemental, alors que l'actualité nous rappelle l'importance de la sobriété énergétique. Les dérèglements climatiques, de manière générale, et la transition énergétique posent des défis structurants sur le plan opérationnel auxquels nous devons pouvoir répondre.

Tous ces facteurs nous imposent de gagner en adaptabilité pour être en mesure de répondre aux besoins de nos forces de manière performante. Le mandat qui m'a été confié par le ministre des armées, c'est celui de permettre cette transformation en y intégrant les enjeux liés à la réponse aux défis actuels de l'économie de guerre, de la préparation de la LPM, le soutien à nos alliés, tels que l'Ukraine, et, dans le même temps, la conduite des activités de la DGA.

Trois axes importants d'action doivent nous permettre de faire évoluer la DGA et de contribuer à sa meilleure performance pour nos forces, mais aussi pour toute l'action du ministère des armées : « faire autrement », répondre aux défis de l'économie dite de guerre et préparer l'avenir.

La DGA doit désormais tendre vers plus de souplesse et plus d'adaptabilité. Elle doit devenir experte et agile au service de la politique de défense et s'adapter aux enjeux actuels et futurs, ce qui signifie de pouvoir développer cette fonction « d'éclairage de l'avenir » qui lui incombe. La DGA n'est pas par une centrale d'achat ni un super chef de projet. Ce sont 4 500 experts techniques dans des domaines extrêmement spécialisés qui oeuvrent au profit de l'ensemble du système de défense. Nous nous inscrivons donc pleinement dans la vision et les objectifs qui ont été présentés dans la revue nationale stratégique.

Pour ce faire, nous devons pouvoir assurer une réponse adaptée aux besoins des armées dans les délais requis et avec des coûts maîtrisés. Il nous faut donc gagner en proximité, notamment avec les forces et donc explorer des mesures extrêmement concrètes d'immersion du personnel de la DGA dans les forces et d'immersion des forces au sein des différents centres de la DGA.

Nous devons également renforcer nos démarches agiles et incrémentales, qui nous permettent de développer des systèmes adaptés aux justes besoins. Nous devons aussi simplifier notre expression du besoin. Les appels à projets Colibri et Larinae, que nous avons lancés récemment pour les munitions rôdeuses et téléopérées, nous ont permis d'expérimenter un nouveau mode d'expression du besoin : nous ne spécifions plus ce que nous souhaitons obtenir, mais les effets à produire en laissant ainsi une certaine créativité à nos partenaires industriels. Et puis, nous devons aussi faire de l'analyse de valeur dans le triptyque coût/délai/performance. Tout cela devrait nous permettre de gagner en agilité et de répondre aux justes besoins des forces.

Nous devons fournir une capacité d'anticipation stratégique, technologique et industrielle qui concourt également à la défense et à la sécurité nationale. C'est une capacité à se projeter dans le temps. Le ministère des armées est le ministère du temps long. Nous disposons déjà d'un certain nombre d'outils. D'abord, le service des affaires industrielles et de l'intelligence économique (S2IE), très performant pour la cartographie et le suivi des entreprises stratégiques, ce qui nous permet de connaître et de suivre l'état de notre bassin industriel et technologique de défense ainsi que l'état de la concurrence. Mais nous avons le potentiel pour aller plus loin, notamment en étudiant des leviers aujourd'hui non exploités, tels que le sourcing à haut potentiel à l'étranger ; pourquoi nous priver de ce que font nos concurrents et nos compétiteurs ?

Être en mesure d'attirer les talents est un véritable défi, notamment auprès des jeunes générations. La DGA est un acteur encore trop méconnu de l'ensemble du public et en particulier de la jeunesse. Si nous voulons attirer la centaine d'ingénieurs dont nous avons besoin par an et monter en régime dans des domaines assez tendus, tels que la cybersécurité et la cyberdéfense, nous devons être attractifs afin d'attirer une jeunesse qui a le choix de venir chez nous ou d'aller chez un grand industriel français ou étranger - avec des conditions salariales qui s'y rapportent. Il convient donc d'ouvrir la DGA pour la rendre plus intelligible si l'on veut garantir sa capacité à capter, à conserver et à fidéliser les meilleurs experts.

Nous devons enfin intégrer plus de souplesse et d'ouverture dans les captations des talents, la gestion des ressources humaines. Il est intéressant d'encourager les parcours diversifiés qui enrichissent la culture de la DGA, en rayonnant dans d'autres administrations et dans le secteur privé. Nous devons aussi encourager les allers-retours, avec une déontologie irréprochable.

J'évoquerai deux enjeux qui peuvent paraître paradoxaux, mais qui sont en fait complémentaires : la question de la militarité et celle de la valorisation des personnels civils de la DGA. Il y a deux corps militaires à la DGA, les ingénieurs de l'armement et les ingénieurs des études et techniques de l'armement. Leur caractéristique militaire fait partie de leur identité et je ne pense pas qu'il faille la remettre en cause, elle fait partie aussi de l'attractivité de la DGA. Depuis mon arrivée, j'accorde d'ailleurs une attention toute particulière aux traditions militaires de la direction.

Les civils, les ingénieurs et cadres techniques et techniciens (ICT-TCT), qui représentent 40 % des effectifs de la DGA, ont un statut méconnu qui doit faire l'objet d'une meilleure considération - nous avons ouvert un chantier prioritaire -, puisque les marges d'amélioration sont importantes ; elles portent notamment sur les niveaux de rémunération et les perspectives de carrières.

La préparation de l'avenir est un enjeu stratégique. L'objectif est d'accompagner ce changement de modèle, sans sacrifier la modernisation afin de ne pas avoir à affronter la guerre de demain avec les matériels d'hier.

La trajectoire de la LPM nous a déjà permis de passer les crédits d'études amont de 730 millions d'euros à 1 milliard d'euros en 2022. Nous devons continuer à imaginer l'avenir et anticiper l'évolution des menaces pour ne pas subir et surtout éviter le déclassement. Ce sont des défis de taille qu'il nous faut désormais relever et je mettrai tout en oeuvre pour y parvenir.

Tout comme je le faisais en tant que directeur de l'AID, j'accorde une grande importance aux échanges avec le Parlement, je me tiens à donc à la disposition de la représentation nationale.

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