S'agissant des enseignements de la guerre en Ukraine, je retiendrai l'analyse de la valeur. Nous devons nous poser les bonnes questions. Quand on oppose technologie et robustesse, on ne pose pas la bonne question. Il est possible d'allier robustesse et technologie sophistiquée. En revanche, cela devient plus complexe lorsqu'il faut penser ensemble technologie, résilience, volumes, etc. Il faut à chaque fois s'interroger sur l'analyse de la valeur.
Prenez l'exemple d'un système d'armes conçu pour fonctionner de manière nominale jusqu'à moins 35 degrés Celsius ; en pratique, on se bat rarement à moins 35 degrés. Est-ce vraiment grave s'il fonctionne nominalement jusqu'à moins 25 degrés et moins bien entre moins 25 degrés et moins 35 degrés ?Pour certains systèmes, L'économie réalisée serait de 30 % du coût global. La guerre en Ukraine nous a forcés à nous interroger sur ce sujet et nous force aujourd'hui à mettre en place des processus pour systématiser cette analyse de la valeur dans l'ensemble de nos systèmes. C'est d'ailleurs lié à la question du MCO, dont je parlerai dans un instant. La DGA doit travailler en lien avec les forces opérationnelles, les états-majors, et les industriels.
Concernant les SALA - qui sont maintenant des systèmes d'armes létaux intégrant de l'autonomie (SALIA), car on continue à éviter le vocable de robots tueurs ! - trois grands principes guident notre action. Nous avons lancé plusieurs programmes comme le programme Vulcain, sur la robotisation terrestre, car l'enjeu n'est pas seulement d'armer des drones. Le premier principe, c'est le respect des règles de droit international. Le deuxième est le maintien d'un contrôle humain suffisant ; mais que veut dire suffisant ? Et le troisième principe, qui est pour moi véritablement structurant, c'est la permanence de la responsabilité du commandement. Autrement dit, nous n'allons pas fournir un système doté de la capacité de tuer, de se donner une mission ou de modifier la mission qui lui a été confiée. Quant à savoir si c'est l'homme qui doit appuyer sur le bouton lorsque l'action létale doit être entreprise ou si le robot peut le faire de manière automatique, elle devient moins prégnante à partir du moment où ce n'est pas le robot qui prend la décision.
Selon moi, il reste encore un travail à faire sur les plans éthique et philosophique pour savoir ce qu'est un contrôle humain suffisant.
Ce qui était intéressant dans le rapport du Comité d'éthique de la défense, c'était la recommandation de poursuivre la recherche pour éviter d'être déclassé et que d'autres utilisent contre nous des moyens sur lesquels nous n'aurions aucune contre-mesure.
Monsieur Cadic, en ce qui concerne Lumibird, je m'interroge sur ce que vous me dites. Vous savez que la cession de Cilas est effective depuis le 2 novembre. Oui, c'est une société fragilisée ; oui, nous faisons extrêmement attention ; la filière laser est un acteur clé des filières optroniques. Si nous n'avions pas soutenu cette reprise par Safran et MBDA, et qu'un acteur américain avait récupéré Cilas, que n'aurions-nous entendu ! J'ai souhaité dire lors de l'audition avec le ministre en format complet que nous voulions permettre le dialogue constructif entre l'ensemble des actionnaires de Cilas. Nous accompagnons Lumibird, nous sommes en contact avec eux. Mais si je ne m'immisce pas dans le domaine des affaires, en revanche je suis vigilant sur le respect des actifs de l'État, et je crois savoir que nous ne vous laissons pas sans réponses puisque nous vous avons proposé de vous recevoir avec le président-directeur général de Lumibird.
Concernant les coûts du MCO, nous pouvons déjà nous féliciter d'avoir moins de MCO à faire sur nos armes que d'autres pays, on le constate en Ukraine...
L'analyse de la valeur fait partie intégrante du processus. Le niveau de MCO requis est fonction du degré de sophistication, donc de vulnérabilité, de l'équipement. D'où la nécessité de le dimensionner aux justes besoins et de prendre en compte, dans cette analyse de la valeur, le coût du MCO, ce qui n'était pas systématiquement le cas jusqu'à présent.
Ce que nous souhaitons, c'est réaliser systématiquement l'analyse de la valeur, et négocier les marchés de manière globale : acquisition et soutien avec les services de soutien concernés. Il faut aussi responsabiliser nos maîtres d'oeuvre industriels. On accuse souvent les industriels de réaliser des marges juteuses. C'est faux. Les marges des industriels et notamment les provisions pour risques sont tout à fait raisonnables. En revanche, au niveau du MCO, il reste du travail à faire. Nous devons veiller à éviter que les marges limitées en amont ne soient pas récupérées en aval.
S'agissant de notre centre technique à Bruz et des recrutements, effectivement nous devons recruter 400 personnes dans le domaine du cyber en Bretagne, ce qui représente un défi complexe, car il s'agit d'un métier en tension. La région offre beaucoup d'opportunités. C'est la raison pour laquelle je parlais d'une réforme nécessaire des statuts et de l'attractivité, avec une approche hybride pour les personnels civils. Certes les experts qui viennent chez nous font des choses qu'ils ne feraient nulle part ailleurs. Mais il est clair que nous sommes en compétition avec des startups qui paient deux à trois fois plus. Notre mission n'est donc pas simplement de recruter des ingénieurs cyber, mais de mettre en place toute une politique qui nous permettra de recruter et de fidéliser, ainsi qu'une vraie logique de filière, en travaillant d'ailleurs avec les écoles. Nous réfléchissons à aller très en amont dans les écoles et même à proposer de financer un certain nombre de formations en offrant à la sortie un contrat avec l'État assorti d'un engagement à servir pendant un certain nombre d'années.
Les gravimètres quantiques à atomes froids sont des systèmes capables de faire tomber des atomes pour mesurer la vitesse à laquelle ils tombent et ainsi pouvoir établir une cartographie très précise du champ gravitationnel terrestre, et donc de se situer n'importe où à la surface de la terre sans avoir besoin de liaison satellitaire. Vous savez que la stratégie quantique du ministère des armées se concentre en priorité sur le développement de ces capteurs quantiques, les horloges atomiques d'une part, les gravimètres quantiques à atomes froids, d'autre part, avec un programme de capacité hydrographique et océanographique future (CHOF) qui permettra de mettre en oeuvre cette nouvelle génération de gravimètres quantiques. Trois bateaux seront équipés de ce type d'équipement.
Par ailleurs, le quantique c'est aussi la cryptographie. Cela rejoint la problématique de l'hybridité qui avait été évoquée dans le domaine de la cybersécurité. Il se trouve que l'action militaire ne vise pas uniquement des équipements militaires. Le risque existe d'attaques cyber sur des hôpitaux ou des entités nationales d'importance vitale, de décryptage par des ordinateurs quantiques des clés de chiffrement, notamment financières, qui permettraient de paralyser notre système bancaire ; nous devons donc prendre ce risque en compte. Nous avons le devoir d'avoir une approche globale, tant en termes de cyber, qu'en termes de stratégie quantique, et nous accélérons pour enrichir la feuille de route quantique sur la crypto post quantique, qui fait appel à des mathématiques. En attendant d'avoir un ordinateur quantique, nous avons des simulateurs qui nous permettent d'entraîner et de mettre au point des algorithmes de chiffrement robustes. Je rappelle que la Chine investit 10 milliards par an pour développer un ordinateur quantique en investissant sur les cinq domaines essentiels ; selon la stratégie « store now, decrypt later », ils aspirent toutes les données qu'ils peuvent et ils verront le résultat quand ils seront capables de les décrypter. Nous devons donc faire en sorte que ce décryptage soit le plus complexe possible. Nous avons de bons espoirs de développer des algorithmes de chiffrement post-quantiques résistants.
La question des fonds marins est essentielle, dans la mesure où ceux-ci sont devenus un théâtre d'actions. Nous sommes donc en train d'accélérer sur le sujet des grands fonds marins. Avec France 2030, j'espère pouvoir nous doter rapidement de capacités, par achats sur étagères ou en développement propre. Je peux vous assurer ce sujet est bien identifié et pris en compte.
Concernant les parcours de recrutement, nous possédons de très bonnes universités, de très bonnes grandes écoles, et on observe un regain d'intérêt pour le domaine de l'armement. J'ai constaté, en me rendant à l'École polytechnique et en observant ce qui se passe dans les universités, l'émergence d'une nouvelle dynamique. Certains étudiants peuvent considérer qu'un début de carrière dans l'armement peut être bénéfique. Je ne vous cache pas que je compte sur nos deux nouveaux spationautes pour nous aider à faire de la communication pour la DGA. Nous explorons aussi un certain nombre de voies, notamment agir en amont des concours pour sécuriser en aval une capacité de recrutement et donner une visibilité à des étudiants qui, en contrepartie, pourraient s'engager pour plusieurs années.