Intervention de Valérie Létard

Commission des affaires économiques — Réunion du 1er février 2023 à 9h00
Proposition de loi visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au coeur des territoires — Communication

Photo de Valérie LétardValérie Létard, présidente de la mission conjointe de contrôle relative à la mise en application du « zéro artificialisation nette » :

Je vous présente aujourd'hui les conclusions et les propositions de la mission conjointe de contrôle relative à la mise en oeuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » (ZAN), qui a conduit ses travaux entre octobre et décembre dernier. Dans le cadre de cette mission, qui associait des sénateurs de quatre commissions et de tous les groupes politiques, notamment Christian Redon-Sarrazy, Jean-Marc Boyer et Anne-Catherine Loisier, nous avons mené près d'une trentaine d'auditions pour faire le point sur l'application du ZAN au sein des territoires, et sur les difficultés que celle-ci soulève. Nous nous sommes appuyés pour cela sur les travaux préalables du Sénat, principalement ceux conduits au sein de notre commission des affaires économiques (un rapport d'information, un bilan de l'application de la loi, une consultation des élus locaux en ligne...) mais aussi de la commission des finances (un rapport d'information sur le financement du ZAN).

Le but de cette mission conjointe était de réaliser la synthèse et l'actualisation de l'ensemble de ces travaux afin de déposer une proposition de loi sénatoriale transpartisane visant à faciliter l'application du « ZAN » dans les territoires. Nous mesurons tous, dans nos régions et dans nos intercommunalités, l'attente des élus locaux envers le Sénat. Il est en particulier urgent de donner aux régions, aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) des règles du jeu claires ; d'amener le Gouvernement à corriger les décrets problématiques ; et de doter les maires et les collectivités d'outils pour leur permettre de mettre en oeuvre le ZAN.

Notre mission conjointe a décidé de se saisir de l'ensemble de ces sujets réglementaires et de déposer, mi-décembre 2022, une proposition de loi sénatoriale signée par la quasi-totalité de ses membres, issus de nombreux groupes politiques, et comportant une vingtaine de mesures.

Par ce texte, nous avons souhaité prendre le contrepied du Gouvernement, lequel se montre très fermé sur la plupart des sujets, et n'a pas fait évoluer un seul point du cadre juridique du ZAN pendant la dernière année et demie. Nous pensons au contrait qu'il est important de coconstruire, que le Sénat doit se faire la voix des collectivités et de leurs difficultés en formulant des propositions d'amélioration et en avançant des solutions alternatives et complémentaires. Pour amorcer ce dialogue, nous avons souhaité vous présenter des propositions fortes et lisibles, ce qui permettra d'ouvrir un vrai dialogue politique au cours de la navette.

Je précise que nous ne nous sommes pas penchés spécifiquement sur les sujets relatifs au financement, pour lesquels la réflexion doit être approfondie, dans une logique plus large de refonte de la fiscalité. Dans ce domaine, il appartient également au Gouvernement de nous soumettre des propositions.

Un autre aspect important est qu'il nous a paru nécessaire de nous inscrire dans l'adaptation du cadre existant du ZAN, plutôt que de viser une rupture ou une remise en cause totale de l'objectif. En effet, nous avons voté la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets, dite « Climat et résilience », il y a à peine plus d'un an, et nous partageons tous l'objectif de protection des sols, notamment agricoles. Dès lors, nous n'avons pas souhaité revenir sur les grandes lignes de ce texte, en particulier sur les échéances de 2031 et de 2050 qui y sont fixées ni sur l'objectif national de - 50 % d'artificialisation. Nous avons en revanche cherché à adapter, à rendre plus aisée et plus équitable l'application du ZAN à chaque fois que cela était possible. Nous avons voulu répondre point par point à toutes les inquiétudes exprimées : le manque de temps pour travailler, l'absence de garanties pour les communes rurales, les insuffisances de la gouvernance, etc. Il nous semble qu'en introduisant des garde-fous, mais aussi des souplesses, nous pourrons rassurer les collectivités quant aux objectifs de réduction de l'artificialisation et à leur application.

Les vingt propositions que nous vous présentons s'articulent autour de quatre axes ressortis de nos auditions et de nos travaux.

Le premier d'entre eux est la nécessité de favoriser le dialogue territorial et de renforcer la gouvernance décentralisée.

Le problème principal qui se pose ici tient au calendrier : les règles du jeu du processus ne sont pas encore fixées, mais les collectivités sont déjà censées finaliser la modification de leurs documents d'urbanisme. On sait pourtant que la concertation, surtout entre différentes collectivités, sera déterminante pour l'acceptation des objectifs du ZAN et pour leur application équitable. Nous proposons donc d'assouplir les délais qui s'imposent à la modification des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), notamment en raccourcissant le temps laissé au préfet pour confirmer le projet de document. Nous souhaitons, en outre, accorder aux régions une année supplémentaire pour mener à bien cette modification. Ainsi, le temps de concertation et de travail sur le fond, plutôt que les contraintes de forme, sera maximisé. Il semble en effet impossible que les régions mènent à bien la concertation nécessaire dans le délai imparti - pour mémoire, le délai est court jusqu'à mars 2024, mais comprend une année de consultations préalables obligatoires et incompressibles des personnes publiques concernées -, au détriment des collectivités, lesquelles se trouveront pourtant fortement engagées dans ce processus pour des années.

Ensuite vient la question de l'opposabilité du Sraddet. Sur ce point, nous souhaitons restaurer l'intégrité de l'accord issu de la commission mixte paritaire entre le Sénat et l'Assemblée nationale sur la loi « Climat et résilience » : nous avions alors souhaité que les objectifs du Sraddet s'imposent dans un rapport de prise en compte des objectifs des documents d'urbanisme locaux et non de compatibilité. C'est le coeur du processus : alors que le fascicule s'impose aux documents d'urbanisme aux échelles inférieures, les objectifs dessinent seulement une tendance. La disposition introduite par décret va donc à l'encontre de cet accord en créant une sorte de « schéma de cohérence territoriale (Scot) régional ». Or il nous semble essentiel de revenir à cet accord afin de limiter le risque juridique pour les communes et pour les intercommunalités et de permettre une plus grande souplesse dans la territorialisation des objectifs.

Enfin, dans le dernier point de ce premier axe, nous proposons de renforcer l'association de tous les élus locaux à la gouvernance du ZAN en élargissant la « conférence des Scot ». Cette gouvernance renforcée associera mieux le bloc local, avec un triple objectif : mieux territorialiser, assurer le suivi des trajectoires ZAN, voire les modifier, et rendre des avis sur les « grands projets ».

Le deuxième axe concerne précisément les projets structurants de demain, que la politique du ZAN devra savoir préserver et accompagner.

Nous proposons, comme le Sénat l'a déjà voté dans le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables et dans le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, de faire remonter dans une enveloppe nationale les « grands » projets nationaux et européens, afin que l'artificialisation qui en résulte soit pas imputée aux collectivités territoriales sur lesquels ils sont implantés. Dans la région Hauts-de-France par exemple, le parking lié aux contrôles aux frontières résultant du « Brexit », à Calais, le canal Seine-Nord Europe ou le grand port autonome d'intérêt national de Dunkerque ne relèvent pas de décisions locales. À défaut d'une telle mesure, tous les textes qui concernent le développement économique, les infrastructures ou la politique énergétique viendraient ainsi percuter frontalement les objectifs du ZAN, posant à chaque fois des problèmes de compatibilité dans la prise en compte des projets. Notre position doit être ferme sur ce point, car le Gouvernement pourrait souhaiter en rester à une forme de mutualisation qui ne règle absolument pas le problème quantitatif que ces projets posent. Si l'on ne les « sort » pas de l'enveloppe globale dans un premier temps, ce n'est pas une diminution de 50 %, mais parfois une baisse de 80 % que les collectivités devront atteindre d'ici à 2031. Dans les exemples que j'ai évoqués, il resterait ainsi moins de dix hectares par Scot sur la période décennale en cours, alors même que certains des projets concernés vont dans le sens des préconisations de transition environnementale de la loi « Climat et résilience ». Ces injonctions contradictoires posent tout de même problème ! Nous devons trouver les voies et moyens pour éviter de mutualiser ces projets, car les conséquences d'un tel processus pourraient desservir certains territoires, ceux qui ne les accueillent pas, comme ceux qui les accueillent et qui devront déduire de l'enveloppe régionale certains investissements connexes.

En revanche, nous proposons de mieux encadrer les projets qui relèveront de cette mesure ; des critères seraient ainsi fixés dans la loi, qui concerneraient, par exemple, les grands chantiers d'infrastructure et les investissements nécessaires à la transition énergétique et environnementale, parmi lesquels les projets industriels. La conférence de gouvernance du ZAN émettrait un avis sur les projets qui pourraient entrer dans ces catégories. En outre, un suivi triennal de la consommation d'espace correspondant à cette enveloppe nationale serait mis en place. Nous proposons également de renforcer la mutualisation des projets d'intérêt régional, laquelle est déjà prévue par la loi. Il s'agit, en particulier, d'accorder aux communes et aux EPCI un droit de proposition à la région, afin que les projets qu'ils portent et qui relèvent de l'intérêt régional soient pris en considération. Nous souhaitons enfin que les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi) tiennent mieux compte des projets d'intérêt intercommunal dans la fixation des objectifs du ZAN.

Le troisième axe de notre texte vise à mieux prendre en compte les spécificités de chaque territoire.

Le premier sujet, bien sûr, est celui de la ruralité. Nous avons écouté avec une attention particulière les associations représentatives des élus des territoires ruraux : aucune d'entre elles ne demande à bénéficier d'une dispense totale de ZAN. Il nous semble important de marquer l'engagement de l'ensemble des territoires dans la réduction de l'artificialisation, et de ne pas créer un territoire à deux vitesses. Certaines petites villes ont, par ailleurs, beaucoup artificialisé, d'autres non ; les dérogations fondées sur la taille nous semblent donc devoir être écartées.

Les inquiétudes des élus ruraux se résument en réalité à deux questions : comment garantir qu'aucune commune rurale ne sera sacrifiée dans la répartition du ZAN, en perdant tout droit à construire ? Comment le ZAN garantira-t-il que les projets utiles au développement rural, mais n'entrant pas dans l'enveloppe quantitative communale, soient menés à bien ? Nous avançons donc deux propositions en réponse directe à ces questions.

Tout d'abord, nous préconisons la mise en place d'un « minimum ZAN » universel, afin qu'aucune commune ne se voie octroyer des droits à construire inférieurs à un hectare pour la première période de dix ans. Cela sera une vraie garantie pour les petites communes rurales dont les droits seraient proches de zéro avec une application mathématique de l'objectif de baisse de 50 %.

Ensuite, nous proposons d'instaurer une part réservée pour les projets supra-communaux, qui sera fixée et réservée au niveau de la région ou des Scot. Par exemple, 10 % ou 15 % de l'enveloppe totale d'artificialisation seraient mis en réserve au profit des communes faiblement dotées. Une petite commune qui aurait consommé le peu de droits qu'elle aura obtenu grâce à la territorialisation pourra donc disposer d'une petite rallonge pour un projet particulièrement important pour l'ensemble du territoire. Rappelons, en outre, que les communes placées sous le régime du règlement national d'urbanisme (RNU), c'est-à-dire la majorité des communes rurales, ne seront pas soumises à des objectifs chiffrés de ZAN : elles sont déjà, de facto, moins contraintes.

Nous souhaitons également préciser les critères qui présideront à la territorialisation dans le Sraddet, afin d'offrir dans ce cadre les mêmes garanties qu'au niveau des Scot, notamment la prise en compte des efforts passés.

Nous entendons, de plus, accorder aux maires la possibilité de délimiter des périmètres de densification dans lesquels le remplissage des dents creuses et la densification elle-même ne seraient pas considérés comme de l'artificialisation, afin de répondre à la difficulté relevée quant au traitement des parcs et des jardins dans la nomenclature proposée par le Gouvernement, laquelle est, par ailleurs, de nature réglementaire.

S'ajoute à ces mesures la prise en compte des communes confrontées au recul de trait de côte : la relocalisation des activités et des bâtiments menacés par ce processus ne doit pas peser sur leur compte foncier ; les terres perdues à la mer ne sauraient en effet être retenues contre elles.

Enfin, nous demandons au Gouvernement de se pencher sur la situation particulière de l'outre-mer, car les spécificités de ces territoires - insularité, diversité de l'habitat, topographie, etc. - justifient une approche différenciée.

Notre quatrième et dernier axe vise à donner aux élus locaux les outils pour réaliser le ZAN - outils qui manquent aujourd'hui cruellement.

En matière de données, nous prévoyons la mise à disposition gratuite, par l'État, des données précises et harmonisées de consommation d'espace et d'artificialisation. À défaut de ces données d'État, il nous semble pertinent d'autoriser les Scot, EPCI et communes à continuer d'utiliser leurs données propres, recueillies depuis parfois quinze ou vingt ans via les observatoires locaux, car il faut assurer la continuité de la mesure.

Nous souhaitons aussi garantir la prise en compte, dès maintenant, et pas seulement à compter de 2031, des efforts de renaturation. Le droit actuel est en effet à la fois contreproductive et injuste. Il convient de compléter la loi sur ce point, de telle manière que les maires soient réellement soutenus dans leur politique de renaturation.

La dernière thématique est très importante, en particulier pour l'action quotidienne des élus locaux : il s'agit de la période transitoire. Jusqu'à la modification des documents d'urbanisme, qui permettra de limiter les constructions et de refuser les permis contraires, les élus sont démunis face aux demandes d'autorisation, y compris abusives, ou face aux achats de terrains constructibles, y compris spéculatifs. Pourtant, les communes et les EPCI sont tenus de limiter la consommation d'espace dès 2021 ; le compte à rebours a déjà commencé et ce qui est construit depuis août 2021 sera retiré du droit à construire des communes. Comment, dès lors, tenir l'objectif d'une diminution de 50 % si l'on ne peut limiter la construction qu'à compter de 2027, en prenant en compte le temps nécessaire à la réalisation des documents d'urbanisme ? Le risque est que certaines communes aient épuisé d'ici là leurs capacités de construction. Nous souhaitons donc donner aux maires des outils concrets pour mieux contrôler les projets qui leur sont soumis au regard du ZAN : nous proposons, d'une part, de créer un sursis à statuer ZAN, qui permettra au maire, s'il le souhaite, de ne pas octroyer un permis qui mettrait ostensiblement en danger l'atteinte des objectifs ZAN et, d'autre part, de mettre en place un droit de préemption ZAN, afin que les maires puissent éviter la captation de tout le foncier utile aux projets publics, par exemple en préemptant des friches représentant un potentiel de renaturation ou de recyclage foncier. En l'absence de ces outils, les maires sont aujourd'hui démunis.

Telles sont les préconisations retenues et transcrites dans la proposition de loi sénatoriale qui sera examinée mi-mars 2023 ; elles nous semblent constituer un texte concret, de bon sens, qui couvre les principales problématiques de nature législative relatives au ZAN et qui est susceptible de permettre sa mise en application au sein des territoires de manière apaisée.

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