Intervention de Agnès Firmin Le Bodo

Réunion du 1er février 2023 à 14h30
Nombre minimum de soignants par patient hospitalisé — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Agnès Firmin Le Bodo :

Lors de son discours de vœux aux acteurs de la santé, le Président de la République a réaffirmé avec conviction que notre méthode pour parvenir à redonner du sens et de l’efficacité au travail des soignants et pour combattre les effets de l’érosion de la démographie médicale consiste à travailler à de meilleures organisations collectives pour favoriser la cohésion de la communauté hospitalière.

Cela suppose de donner plus de liberté d’organisation et de permettre plus d’agilité, pour que chaque service ait la capacité d’adapter son fonctionnement en temps réel aux besoins rencontrés.

Notre objectif est ainsi d’établir un modèle dans lequel les solutions se construisent localement à partir de la charge en soins constatée et des leviers disponibles pour y répondre.

C’est pour cela qu’avec François Braun, nous insistons sur la place du service, qu’il faut conforter et renforcer au cœur de l’hôpital. C’est bien cet échelon qu’il convient d’investir pour réinsuffler de la souplesse et retrouver de la pertinence dans des organisations du temps de travail construites avec les soignants.

L’établissement de ratios fixes sur une base nationale par la Haute Autorité de santé est à l’opposé de cette méthode.

Même en raisonnant par spécialité, même en raisonnant par type d’activité, les besoins de chaque service ne seront jamais les mêmes au même moment, non plus que les capacités et les leviers disponibles, qui diffèrent en fonction des établissements et de leurs spécificités.

Notre réponse ne doit pas consister à standardiser des effectifs ; elle doit au contraire s’efforcer de mieux allouer les ressources humaines afin de les déployer au bon endroit, au bon moment.

J’insiste sur ce terme « ressources », qui prend naturellement en compte le nombre des soignants, mais aussi leurs compétences et leur expertise.

Il ne s’agit pas de résoudre une équation. Trop longtemps, il a été reproché aux hôpitaux d’avoir une gestion trop normée, fondée sur des tableurs Excel.

Nous parviendrons à répondre aux besoins, non pas avec des tableurs Excel, mais en nous appuyant sur une évaluation au cas par cas de la charge en soins et du niveau de ressources adapté à cette charge en soins.

Cela suppose aussi de laisser les ajustements spécifiques à la main de ceux qui connaissent le mieux les besoins et les capacités de leurs équipes à y répondre. Le binôme chef de service-cadre de santé est à ce titre fondamental. Il nous faut le soutenir.

Avec le ministre de la santé et de la prévention, nous voulons réaffirmer la confiance que nous avons dans ce binôme managérial dans le cadre de la transformation de l’hôpital que nous menons.

Nous souhaitons en effet que les chefs de service et les cadres de santé puissent pleinement se saisir de leur mission de garants de la qualité des soins et de la stabilité des collectifs de leur service.

Nous pensons que les managers doivent non pas organiser des cadences et un travail à flux tendu, mais bâtir de nouveaux modèles de développement plus souples, plus adaptés aux contraintes et plus participatifs.

Cette confiance, cette marge d’action et cette liberté d’organisation sont essentielles pour que chacun se sente mieux reconnu et valorisé dans son travail. Nous savons qu’un soignant qui se sent bien est un soignant qui soigne mieux.

C’est aussi un enjeu important de fidélisation des professionnels, pour que les carrières à l’hôpital public retrouvent des perspectives et toute leur attractivité.

C’est de cette manière que nous agirons réellement pour satisfaire à cette double exigence de réponse locale aux besoins des patients et de garanties quant à la qualité de vie des soignants.

Il ne s’agit pas de trouver des chemins détournés pour ignorer ou éviter de traiter les problèmes. Oui, certains services sont confrontés à une situation d’insuffisance chronique de personnel. Oui, le manque de soignants est une réalité dans certains services et dans certains modes d’exercice, pour le travail de nuit notamment.

Nous devons prendre le sujet à bras-le-corps avec pragmatisme. Nous avons le devoir de trouver les moyens d’y faire face, à très court terme.

Toutefois, même si des ratios étaient mis en place avec les meilleures intentions du monde, la question ne se réglerait pas en les « décrétant » dans la loi.

François Braun et moi-même restons fidèles à nos convictions : la coercition n’est pas un mode de résolution des problèmes dans les territoires.

Dans la mise en adéquation des effectifs avec la réalité des besoins, nous en appelons également à la responsabilité de chacun, c’est-à-dire à la responsabilisation des directions, qui doivent donner des outils adaptés aux équipes, et à la responsabilisation des équipes de terrain pour se saisir de ces outils.

Je parlais de combattre les effets de la diminution de la démographie médicale et des difficultés d’attractivité des métiers de la santé. C’est ce à quoi nous nous sommes attelés à très court terme, car c’est l’urgence.

C’est un travail que nous menons parallèlement et de manière complémentaire aux efforts structurels que nous avons engagés pour nous attaquer aux causes de l’érosion de la ressource soignante et augmenter durablement le nombre des professionnels de santé.

Notre objectif – nous l’avons rappelé lors de nos vœux aux forces vives, lundi – est de former plus de soignants et de les former mieux.

Je pense bien sûr à la suppression du numerus clausus pour les médecins.

Je pense au travail que nous menons avec les régions pour remplir des objectifs quantitatifs et qualitatifs de formation de nouveaux infirmiers et infirmières au sein de cursus rénovés et sécurisés.

Je pense à la libération des voies d’accès aux métiers du soin, au développement de l’apprentissage, à la validation des acquis de l’expérience (VAE), aux contrats d’engagement et de service public, dont le nombre va augmenter.

Je pense aussi aux travaux que nous menons pour améliorer le quotidien des soignants et mieux prendre en compte la pénibilité : l’extension de la prime d’exercice en soins critiques que nous avons déjà décidée pour reconnaître la mobilisation de tous les soignants de ces services ; les mesures dédiées au travail de nuit prises depuis l’été, car, si l’hôpital ne peut jamais s’arrêter, nous constatons que cet effort ne va plus de soi aujourd’hui ; la mobilisation dans les territoires des leviers locaux d’attractivité afin de faciliter la vie quotidienne de nos soignants, qu’il s’agisse de leur logement, de leur transport, de leur stationnement ou de la garde de leurs enfants.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le constatez, notre politique est globale. Elle est à la croisée des nécessités urgentes et des chantiers de plus long terme. Elle nous permet à la fois de rénover le mode de fonctionnement de nos services hospitaliers à court terme et de travailler à sécuriser leurs effectifs sur le long terme.

J’indiquais qu’inscrire des ratios dans la loi ne réglerait en rien les deux problématiques conjointes susvisées. Je crois même que leur rigidité intrinsèque serait de nature à aggraver les problèmes qu’ils entendent résoudre.

En effet, une fois les ratios établis, plusieurs questions très concrètes émergeraient d’emblée. Que se passe-t-il, par exemple, si l’hôpital n’arrive pas à recruter suffisamment pour respecter les ratios imposés par la loi ?

Je l’affirme : établir des ratios conduira inévitablement à des réorganisations de l’offre de soins, avec des effets collatéraux nécessitant des rappels de personnel, des fermetures de lits et, dans les cas les plus difficiles, des fermetures de services.

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