Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai écouté avec attention les interventions des orateurs qui m’ont précédé et j’avoue être partagé, à l’image des membres de notre groupe.
Je ne doute pas de la bonne intention de l’auteur de cette proposition de loi, et je comprends aussi parfaitement pourquoi elle est discutée dans cet hémicycle. Notre présidente, Catherine Deroche, l’a rappelé en commission : ce texte résulte en partie des conclusions de la commission d’enquête sur l’hôpital, qui a constaté – ce que nous savions – la dégradation de notre système hospitalier et l’extrême lassitude de nos soignants.
Pour ce qui me concerne, ce sera un « oui, mais ».
Oui, car la crise de la covid-19 a été éreintante pour nos soignants, et nombre d’entre eux ont été surmenés. Si cette proposition de loi va dans le bon sens, elle s’inscrit dans un climat toujours aussi tendu dans la communauté médicale. Aujourd’hui, en cas de survenue d’un accident médical, par exemple du fait d’un manque de personnel, avec une demande de dommages et intérêts du patient, le juge pourra retenir la responsabilité de l’établissement de santé s’il estime que le nombre d’infirmiers présents n’était pas adapté aux contraintes de service et que ce défaut d’organisation a été à l’origine d’un préjudice pour le patient.
Il est donc nécessaire de réformer et d’anticiper. Cette proposition de loi se base notamment sur des expériences étrangères menées en Australie, en Californie, avec des résultats parfois significatifs sur la qualité des soins et le bien-être au travail du personnel soignant.
Par parenthèse, mes chers collègues, il y a quelque chose de terrible à évoquer des exemples étrangers pour chercher à améliorer notre système de santé. Je ne pense pas que cela aurait été le cas voilà quelques années.
Comme l’analyse la rapporteure, le texte doit être vu comme une loi de programmation. Il n’est donc pas réaliste de prévoir une mise en œuvre du dispositif proposé en seulement quelques mois, ne serait-ce qu’en raison du temps nécessaire au recrutement, à la formation et au financement des postes.
Si cette proposition de loi laisse jusqu’au 31 décembre 2024 à la Haute Autorité de santé pour définir ces ratios en vue d’une application réglementaire à compter du 1er janvier 2027, il ne faut pas se tromper sur la nécessité d’une réforme dans le système hospitalier.
L’attractivité, la rémunération, le bien-être sont des sujets à travailler en profondeur, car ils sont aujourd’hui le cœur d’un système de santé qui s’essouffle. Aujourd’hui, selon plusieurs organisations, près de 10 % des emplois infirmiers ne sont pas pourvus.
L’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé suffira-t-elle à résoudre à court terme la pénurie de personnel ? Je n’en suis pas sûr du tout.
J’en viens donc au « mais » du « oui, mais ».
Pour pallier le manque de professionnels soignants disponibles sur le marché du travail, il faut avoir à l’esprit que les soignants ont surtout besoin, au-delà d’une bonne rémunération, de conditions de travail qui leur permettent de se sentir utiles et de s’épanouir en toute confiance.
Parce que les ratios s’apprécient souvent beaucoup plus sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif, ils apparaissent comme une réponse approximative.
D’ailleurs, les Français ne s’y trompent pas, et la défiance à l’égard de notre système de santé s’est installée.
Plus largement, mes chers collègues, je veux vous faire partager quelques interrogations.
Je ne pense pas que le remède aux maux de notre système de santé réside dans la multiplicité des initiatives législatives ou parlementaires. Je vous ai déjà fait part de cette réflexion lors du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, au mois de novembre dernier. J’ai même parfois l’impression que toutes ces initiatives, toujours bien intentionnées, certes, finissent par stresser le système et désespérer les soignants.
Nos doutes sur cette proposition de loi concernent aussi le principe même des ratios. Le mot ratio fait penser à « rationnement », ce qui fait écho à la notion de pénurie, mais c’est rarement le remède à la pénurie.
En vérité, notre système de santé, autrefois une fierté française, est aujourd’hui en grande souffrance et dans une extrême fragilité. Je crois beaucoup plus à une grande loi Santé qui remettrait tout à plat et viendrait redonner du sens au travail de nos soignants.
Le sens du travail est d’ailleurs une question clé pour la société française d’aujourd’hui, y compris sur la question des retraites.