Intervention de Émilienne Poumirol

Réunion du 1er février 2023 à 14h30
Nombre minimum de soignants par patient hospitalisé — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Émilienne PoumirolÉmilienne Poumirol :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à établir un ratio minimum de soignants par patient au sein des services de l’hôpital public.

Le constat, nous le connaissons et nous le partageons : fermetures de services, annulations d’opérations programmées, démissions dans le personnel soignant, etc. L’hôpital public et ses effectifs sont depuis des années en souffrance et, je dirai même, en détresse.

Les périodes de crise et de tensions dans les services hospitaliers se succèdent, et le Ségur de la santé, qui a certes permis une revalorisation salariale, apparaît comme une réponse insuffisante face à l’ampleur des difficultés que rencontre l’hôpital.

En effet, plus encore que le trop faible niveau de rémunération, ce sont les conditions de travail dégradées et le manque de temps médical auprès des patients – que dénoncent les soignants – qui entraînent le départ des professionnels. Ainsi, près de 10 % des postes d’infirmière ne sont pas pourvus à l’heure actuelle.

Et pour cause ! Ce sont à l’heure actuelle les contraintes budgétaires et non les besoins en soins qui déterminent le nombre d’infirmières dans les services et la composition de l’équipe de soins.

Pourtant, nous le savons, les infirmiers et les aides-soignants jouent un rôle essentiel dans la qualité des soins. Les études scientifiques le montrent : la mortalité des patients augmente dès qu’une infirmière doit s’occuper de plus de six patients. Or, dans nos hôpitaux, une infirmière est, dans la plupart des services, chargée de quinze patients en journée et de vingt-quatre la nuit !

Il paraît donc indispensable de repenser l’organisation du travail à l’hôpital, de changer le paradigme de l’Ondam et de garantir un nombre suffisant de professionnels de santé par patient.

Tel est l’objet du texte que nous présentons : assurer à la fois une prise en charge de qualité pour les patients et de bonnes conditions de vie au travail pour les soignants. Il permettra de redonner de l’attractivité et du sens au travail de l’ensemble des personnels.

Cette proposition de loi est le fruit de plusieurs années de travail, d’auditions et de concertations avec les membres du personnel hospitalier, en particulier avec le collectif Inter-hôpitaux dans le cadre du référendum d’initiative partagée visé par la proposition de loi de programmation pour garantir un accès universel à un service public hospitalier de qualité. Je remercie notre collègue Bernard Jomier de présenter aujourd’hui ce texte.

Notre proposition de loi, par laquelle nous ne prétendons pas, bien sûr, résoudre l’ensemble des difficultés de l’hôpital, représente une réelle avancée. Ainsi, elle fixe un objectif de rétablissement d’effectifs suffisants auprès des patients, et elle tend à charger la HAS de définir par spécialité et par type d’activité un ratio minimal de soignants par lit ouvert, ou, pour les activités ambulatoires, par nombre de passages.

Au cours des auditions menées par notre rapporteure Laurence Rossignol, nous avons entendu, d’une part, l’approbation et l’espoir soulevé pour l’ensemble des soignants – ces derniers sont infirmiers, aides-soignants, kinésithérapeutes, médecins, etc. –, d’autre part, les interrogations des directions hospitalières. Cela a amené notre rapporteure à modifier l’article unique en précisant les modalités et le calendrier de l’entrée en vigueur des mesures.

Le texte est pensé comme une loi de programmation : il définit une cible à atteindre grâce à une entrée en vigueur progressive des dispositions. Cela permettra ainsi d’évaluer au plus près la charge de soins des différents postes, charge qui, nous l’avons entendu et compris, dépend de nombreux facteurs, non seulement dans les différentes spécialités, mais aussi dans les différents territoires, parfois même en fonction de l’architecture des bâtiments.

Nous avons l’expérience des politiques de ratios infirmiers par patient dans les services où ces ratios sont obligatoires. Des expérimentations ont été réalisées en Australie et aux États-Unis. Elles ont montré qu’il existait un lien certain entre l’augmentation de la dotation en infirmières et la diminution de la durée du séjour, des réadmissions, de la morbidité, des erreurs médicales, et, même, des démissions dans le personnel infirmier.

Oui, cette mesure sera coûteuse et nécessitera un fort investissement de l’État, mais les études scientifiques le montrent : à moyen et long termes, augmenter les effectifs du personnel soignant constitue un investissement positif sur le plan financier.

En effet, selon l’expérimentation australienne, si engager un nombre suffisant d’infirmières a représenté un coût total de 33 millions de dollars sur deux ans, cela a permis d’éviter en coût des réadmissions et de durée de séjour une dépense de 69 millions de dollars.

Instituer des ratios de soignants en fonction du nombre de patients a donc, nous le voyons, un triple bénéfice : pour la santé et la sécurité des patients, pour redonner une qualité de vie au personnel soignant et du sens à son travail, pour faire des économies en coûts évités à moyen et long termes.

Encore une fois, le choix à faire aujourd’hui est politique : ou bien nous investissons dans l’hôpital public et le service public de la santé pour garantir une prise en charge de qualité à chacun, ou bien nous laissons la loi du marché et la rentabilité décider de la santé des Français.

Nous vous proposons d’agir réellement pour garantir l’avenir du service public. Cette mesure, madame la ministre, ne relève nullement de la coercition ; elle représente un travail tenant compte, à la suite de concertations, des différentes contraintes que vous évoquiez.

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