Intervention de Jean-François Hocquette

Commission des affaires économiques — Réunion du 8 février 2023 à 9h00
Viande in vitro — Audition de Mm. Thierry Marx chef cuisinier étoilé étienne duthoit fondateur et directeur général de vital meat nicolas morin-forest cofondateur et président de gourmey et jean-françois hocquette directeur de recherche à l'institut national de recherche pour l'agriculture l'alimentation et l'environnement inrae

Jean-François Hocquette, directeur de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) :

Ma présentation sera un peu technique et je vous prie de m'en excuser.

Le principe de fabrication de ce qu'on appelle la viande de culture est de prélever des cellules souches musculaires sur un animal vivant ou de travailler avec des lignées cellulaires immortelles. Dans tous les cas, ces cellules, plongées dans un milieu de culture, se multiplient dans un bioréacteur de grande taille et on obtient, à la fin du processus, une importante quantité de fibres musculaires.

J'appuierai mon propos par une série de questions. Se posent d'abord des questions éthiques.

Si le nombre d'animaux d'élevage doit diminuer en raison du développement de la viande de culture, que va devenir la biodiversité animale et qu'en est-il des animaux qui vont rester et dont des cellules seront régulièrement prélevées ?

Si on utilise des lignées cellulaires immortelles, on entre dans la problématique des organismes génétiquement modifiés (OGM).

En ce qui concerne le milieu de culture, quelle est sa composition ? Il doit apporter des hormones, des facteurs de croissance et, jusqu'à présent, la viande de culture vendue à Singapour contient du sérum de veau foetal. Comment, par ailleurs, recycler ce milieu de culture ? Comment en diminuer les coûts ?

En ce qui concerne la multiplication cellulaire, la question de la stabilité ou de la dérive génétique doit être posée et étudiée.

Enfin, c'est un processus consommateur d'énergie, puisqu'il faut porter les incubateurs à température physiologique.

En ce qui concerne le produit final, contient-il des résidus du milieu de culture ? Quelle est sa composition ? Quelles sont ses qualités sanitaires, nutritionnelles et sensorielles ?

Est-ce que la viande de culture est de la viande ?

Non, selon la législation européenne. Les avis varient sur cette question selon les pays et pour des raisons politiques ou religieuses. L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) préfère parler de « cell-based food », c'est-à-dire d'aliments à base de cellules. Les véganes et les végétariens pensent que c'est de la viande, mais les consommateurs brésiliens que nous avons interrogés pensent le contraire. Les experts de la viande insistent sur l'idée qu'il y a autant de différences entre le vin et le jus de raisin qu'il y en a entre la viande et le muscle - il faut en effet prendre en compte l'étape importante de la maturation, c'est-à-dire de la transformation du muscle en viande.

Est-ce bon pour l'environnement ? En 2011, une étude de l'université d'Oxford (Tuomitso et al.) a répondu oui mais, depuis, d'autres études sont venues tempérer un petit peu cette conclusion. Par exemple, en 2015, il a été dit que l'impact environnemental est plus élevé pour la viande de culture que pour la viande de poulet ou pour d'autres sources de protéines (Smetana et al.). Un autre article a aussi contredit la première étude de 2011, en avançant le fait qu'il y avait une plus grande consommation d'énergie que dans la production de viande bovine (Mattick et al.).

Quand on regarde les gaz à effet de serre produits par ce processus, c'est essentiellement du CO2 qui s'accumule dans l'atmosphère durant des centaines d'années, alors que l'élevage produit essentiellement du méthane qui disparaît plus vite de l'atmosphère (Lynch et Pierrehumbert, 2019).

Un rapport privé, publié partiellement récemment (Sinke et Odegard, 2023), montre que l'impact carbone varie d'un facteur V suivant le type d'énergie et insiste sur l'incertitude de ses estimations.

Un autre article de synthèse indique que beaucoup d'étapes ont été oubliées pour estimer l'impact environnemental de la viande de culture (Rodriguez-Escobar et al., 2021) et certains insistent non seulement sur la production de gaz à effet de serre ou l'utilisation des terres et de l'eau, mais aussi sur les services écosystémiques rendus par l'élevage - il faut bien entendu prendre ces services en considération dans la comparaison.

Qu'en pensent les consommateurs ?

Là aussi, il est extrêmement difficile de répondre, parce qu'on interroge les consommateurs sur un produit qui n'existe pas, si bien que leurs réponses ne sont pas très fiables.

En outre, la manière dont la question est posée joue beaucoup dans la réponse : si vous demandez aux consommateurs s'ils sont prêts à y goûter, la majorité va répondre oui ; si vous leur demandez s'ils sont prêts à en consommer régulièrement, la majorité va répondre non.

L'acceptation sociale varie très fortement selon de nombreux facteurs (Liu et al., 2021 ; de Oliveira Padilha et al., 2022) et la grande majorité des consommateurs voudrait que le prix de ce produit soit inférieur ou égal à celui de la viande conventionnelle (Liu et al., 2021 ; Chriki et al., 2021 ; Hocquette et al., 2022).

La majorité des consommateurs pense a priori que ce produit ne serait ni sain, ni savoureux, ni naturel (Hocquette et al., 2022). Les consommateurs sont sensibles à des arguments individuels sur leur santé ou le plaisir de manger (Gometz et al., 2019). Bien que 40 à 50 % des consommateurs français s'interrogent sur les problèmes éthiques et environnementaux de l'élevage, cela ne suffit pas toujours à convaincre, puisque seulement 18 % à 26 % de ces mêmes répondants pensent que la viande de culture est une solution (Hocquette et al., 2022) - cette proportion est donc relativement faible.

J'insiste sur l'importance de la communication. Même si ce n'est pas le cas des deux entreprises présentes ce matin, le combat anti-élevage reste une motivation de certains industriels.

Enfin, une dernière question : pourquoi le processus de recherche a-t-il été inversé ? Dans le monde académique, les projets de recherche sont expertisés ; si l'expertise est favorable, un financement est obtenu ; puis les résultats sont communiqués. Mais dans l'état actuel des choses, les entreprises communiquent sur de nombreux projets pour obtenir des financements privés. Il faut une expertise collective transparente faite par des organismes tiers indépendants, qui doivent accéder aux résultats existants détenus par les entreprises. En attendant, le principe de précaution doit s'appliquer.

Nous organiserons le prochain congrès mondial des sciences animales à Lyon en août 2023 ; nous inviterons l'ensemble des chercheurs travaillant sur ce thème.

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