Intervention de Fabrice Fries

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 8 février 2023 à 10h35
Audition de M. Fabrice Fries président-directeur général de l'agence france-presse

Fabrice Fries, président-directeur général de l'Agence France-Presse :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis venu seul, mais je travaille avec une équipe de grande qualité, et ces compliments s'adressent, je pense, à tous les salariés de l'AFP, qui ont fait des efforts considérables, ces dernières années, pour démentir le cliché tenace d'une agence difficile à bouger - bien au contraire, l'agence s'est transformée.

Quand j'étais venu en 2018, la situation était difficile. Entre 2014 et 2017, les revenus avaient chuté de près de 4 % et les charges avaient augmenté de 4 %. Les pertes cumulées s'élevaient à 20 millions d'euros.

L'AFP s'est, d'abord, beaucoup améliorée sur la vidéo. J'en avais fait la seule priorité de mon premier mandat, de 2018 à 2023, m'inscrivant en cela dans les pas de mes prédécesseurs. Nous étions en retard par rapport à Reuters et Associated Press. L'objectif était d'atteindre 23 millions d'euros de revenus additionnels sur les cinq ans. Je pense que l'objectif sera atteint, en dépit de la crise du covid. Nous avons un produit vidéo aussi bon que celui de nos concurrents, et nous gagnons des parts de marché.

Nous avons parallèlement développé le fact checking ou l'investigation numérique, bâtissant, en cinq ans, grâce à des logiciels et à du travail journalistique, le plus grand réseau de lutte contre la désinformation au monde. Nous réalisons aujourd'hui près de 10 % de notre chiffre d'affaires avec les plateformes, que ce soit via l'investigation numérique ou via les accords de droits voisins. À cet égard, je remercie la représentation nationale de son appui décisif dans la bataille pour la reconnaissance des droits voisins. Google et TikTok sont ainsi devenus des clients importants de l'agence.

L'an dernier, notre croissance a atteint 5 %. Elle devrait, cette année, s'élever à 6 %. Par ailleurs, nous avons réussi notre plan d'économies, qui prévoyait de dégager près de 19 millions d'euros entre 2018 et 2023. Nous l'avons fait tout en augmentant nos effectifs de journalistes, qui sont passés de 70 à 80. Les économies ont porté sur l'immobilier, les achats, et nous avons profité, en 2019, d'un plan de départs très attendu, qui a porté sur les fonctions support.

Il n'est pas question pour autant de verser dans l'autosatisfaction, car de grands défis se présentent devant nous.

Ma grande préoccupation, c'est que l'inflation ne vienne pas ruiner tous nos efforts. Nos personnels à l'étranger peuvent être plus durement touchés qu'en France, et les revendications salariales, légitimes au demeurant, se font pressantes. Nous avons déjà consenti un certain nombre d'efforts, qui étaient nécessaires. Avec les augmentations de nos propres coûts de transport et de fluides, cela représente un surcoût de 5 millions d'euros en 2023 par rapport à 2021. Mon obsession est de ne pas trop lâcher les vannes, pour ne pas être obligé, dans trois ans, de mettre en place un nouveau plan de départ.

Nous sommes, de surcroît, confrontés à une crise structurelle de la presse papier, sur fond d'envolée des cours du papier. Rien qu'en France, c'est un surcoût de 175 millions d'euros. Il y a, dans notre pays, un système d'aides à la presse qui lui permet de tenir le coup, mais tel n'est pas le cas partout dans le monde. Or un quart de notre base clients est située à l'étranger. Cela risque d'affecter notre chiffre d'affaires.

Il y a un autre facteur, qui est un peu le cygne noir auquel on ne s'attendait pas vraiment : je veux parler de la crise de la Tech. C'est le chaos chez Twitter, le grand désarroi chez TikTok, et Meta ne sait plus bien où sont ses priorités, entre les vidéos de divertissement et les news, ce qui l'a d'ailleurs conduit à résilier un contrat avec nous. Toutes ces incertitudes affectent nos prévisions de croissance.

Il faut savoir que 75 % de nos dépenses sont liées au personnel, et qu'elles croissent mécaniquement de 3 millions d'euros par an. Nous devons donc faire autant d'économies pour compenser cette augmentation, mais les leviers sont de plus en plus difficiles à trouver, puisque nous avons déjà eu recours aux économies sur l'immobilier et au plan de départs volontaires. Il nous reste l'organisation interne, ce qui est un exercice très compliqué.

J'en viens à l'avenir. L'année 2023 est la dernière du contrat d'objectifs et de moyens (COM) 2018-2023. En février, nous avons déjà atteint 95 % des objectifs, donc je suis assez confiant, et nous préparons déjà le COM suivant. La stratégie que j'ai proposée au conseil d'administration est simple : il s'agit de devenir l'agence préférée des médias partout dans le monde, l'agence dont ils ne peuvent se passer.

Du fait de la crise des médias, beaucoup de petits médias n'ont plus qu'une agence pour leur fournir l'information, et les grands médias, qui étaient auparavant abonnés aux trois grandes agences mondiales, réduisent la voilure. Ainsi, France Télévisions n'a plus qu'un seul fournisseur, et la BBC n'en a plus que deux. Nous devons devenir l'agence de référence dans ce nouvel environnement, les médias constituant encore 75 % de notre portefeuille.

Un autre objectif est de conquérir le leadership dans la lutte contre la désinformation. C'est une jeune activité, qui a trois ans. Nous disposons maintenant d'environ 150 fact checkers, au travail dans 80 pays, dans 24 langues, pour contrôler ce qui se passe sur les réseaux sociaux.

Il faut aussi diversifier nos sources de revenus en développant les courants d'affaires avec les plateformes, les entreprises, les fondations. En effet, il n'est pas très sain de dépendre aux trois quarts d'un marché des médias qui n'est pas très dynamique.

Un bon principe de management est de savoir ce que l'on doit faire, mais aussi ce que l'on ne doit pas faire. L'AFP doit-elle se lancer dans le B to C (business to consumer) ? La réponse est non.

Autre principe : ne pas définir trop d'objectifs. Nous en avons défini un seul pour 2018-2023 : développer la vidéo. Pour la période qui s'annonce, l'objectif sera de devenir l'agence préférée des médias.

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