Intervention de Fabrice Fries

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 8 février 2023 à 10h35
Audition de M. Fabrice Fries président-directeur général de l'agence france-presse

Fabrice Fries, président-directeur général de l'Agence France-Presse :

Concernant la manipulation de l'information durant les élections, je suis optimiste : les États et les parties prenantes ont beaucoup appris et ont tiré les leçons du traumatisme de 2016, l'année qui a vu l'élection de M. Trump et le vote du Brexit sous la pression des fake news, ainsi que la première élection « Facebook », celle de M. Duterte.

Depuis lors, dans les grands pays, se forment des coalitions de médias actives sur les réseaux sociaux. L'AFP a ainsi pris la tête de Désintox, en France, qui a été un succès. En pratique, ces dernières années, aucune élection n'a connu le sort de celles de 2016. C'est encore le cas dans des États plus petits, mais nous progressons.

Nous avions une grosse équipe au Brésil et nous avons beaucoup travaillé avec Facebook. C'est toutefois plus compliqué avec WhatsApp, car, les échanges étant cryptés de bout en bout, les fact checkers sont tributaires des signalements des utilisateurs. C'est le cas aussi de Telegram et d'autres plateformes de ce type, qui représentent un défi à relever dans les prochaines années.

S'agissant du traitement du climat, l'AFP a réorganisé sa rédaction autour de deux sujets prioritaires : la planète et la technologie. La catégorie « planète » recouvre l'ensemble des sujets sur l'économie, l'agriculture, les transports, l'industrie, l'énergie, etc., qui sont donc traités sous cet angle. Tous les médias s'organisent ainsi, et la couverture du climat prend de plus en plus d'importance. Pour autant, l'audience ne suit pas, en raison d'un effet d'évitement, que je subis moi-même : j'ai du mal à lire des reportages sur ces sujets, qui me dépriment. Ainsi, lors de la dernière COP, nos contenus ont été très peu utilisés. Relevons un progrès, toutefois : les médias ont cessé d'illustrer les sujets liés à la canicule avec des images positives. La couverture médiatique du climat est beaucoup discutée, mais un point revient partout : en traitant ces sujets, il faut donner de l'espoir ; à défaut, on risque de plomber le public.

L'audiovisuel public français est composé de clients de l'AFP auxquels je ne veux que du bien. Ces médias sont très bien dirigés, et bien plus compliqués à gérer que l'AFP. Nous n'avons donc aucune leçon à leur donner, mais nous pouvons les aider à « conquérir » - pour reprendre un mot qualifiant l'ambition de Mme Sibyle Veil - un public jeune, qui n'a plus l'habitude des médias. Ses clés d'entrée dans l'information sont l'image et le mobile ; nous publions donc des stories dans des formats verticaux, sous-titrées et contextualisées. Il s'agit, pour nous, d'un défi existentiel.

J'ai rencontré M. Poutine deux fois, dans le cadre d'un rituel surprenant : chaque année, il fait venir à Moscou les patrons d'agences de presse internationales pour qu'elles puissent l'interviewer. Je me suis demandé, dès 2019, si je devais m'y rendre, d'autant que je ne suis pas journaliste, mais tous nos concurrents y vont et je ne voulais pas mettre en danger notre bureau à Moscou. Nous posons des questions très dérangeantes, et M. Poutine a réponse à tout. C'est un exercice déplaisant ; par ailleurs, l'AFP ne ménage pas son soutien à l'agence d'information ukrainienne.

Nous avons un plan pour devenir l'agence préférée des médias, appuyé sur notre réseau de terrain, de manière qu'un média qui ne dispose que de l'AFP ne manque aucune information. Contrairement à beaucoup de nos concurrents, nous sommes, en effet, présents partout dans le monde ; c'est d'ailleurs pour cela que nous sommes aidés par l'État. Nous nous sommes renforcés aux États-Unis, où nous étions faibles, et nous avons ainsi pu couvrir trente-deux villes lors de la dernière soirée électorale. Nous avons noué des partenariats dans les domaines que nous ne couvrons pas, comme le sport américain.

Notre mission - c'est dans nos statuts - est de fournir une information complète : pas question pour nous de délaisser une zone géographique, ce que font nos concurrents. Associated Press a ainsi énormément réduit son réseau pour se concentrer sur les villes importantes pour ses clients américains.

L'une des régions où nous souhaitons nous renforcer, c'est l'Afrique. C'est un peu contre-intuitif, car nous y sommes déjà bien supérieurs à Associated Press et même à Reuters. Nos clients nous choisissent souvent, précisément - je pense à l'accord avec la BBC, signé voilà quatre ans -, parce que nous sommes très bons sur l'Afrique. Mais nous devons encore nous y renforcer, car nous avons plutôt mis le paquet ailleurs ces dernières années.

Voilà pour la couverture géographique : il s'agit pour nous de donner l'assurance que nous fournirons des sujets sur tout.

Au plan commercial, notre priorité est de développer une offre adaptée aux besoins de nos clients. Par exemple, nos petits clients peuvent désormais souscrire à une offre modulaire qui prévoit l'achat d'un pack de 250 photos dans l'année. Nous investissons également beaucoup dans la qualité de la relation commerciale et dans les outils technologiques de livraison, via le développement d'une nouvelle plateforme de présentation de contenus, l'idée étant d'être au meilleur standard du marché tout en restant l'agence la plus proche de ses clients.

L'intelligence artificielle est l'un des grands sujets du moment : c'est un outil de productivité pour le journalisme, permettant l'automatisation des tâches éditoriales répétitives et le traitement d'un grand volume de données. Les logiciels de « speech to text » ou d'indexation des citations, par exemple, sont très précieux, comme les logiciels de reconnaissance faciale du type de celui que nous avons utilisé récemment lors des Grammy Awards.

Je dis un mot de la lutte contre les fake news : il existe une course de vitesse entre les propagateurs de fake news et les acteurs de la lutte. Tout cela se fait à grand renfort d'intelligence artificielle, et nous tâchons, pour notre part, de cibler les bons partenaires, car nous ne sommes pas des acteurs des nouvelles technologies.

Pour ce qui est de la vente aux enchères, elle nous a rapporté 150 000 euros - nous avons presque tout vendu. Vous dire qu'il s'agit d'une opération rentable serait très exagéré, mais nous rentrons dans nos frais. C'est un outil de communication et de valorisation de notre fonds, que cet argent sert à numériser. L'AFP, dans ses caves, a des trésors - je pense à ces photos sur plaques de verre de la guerre d'Espagne. Nous organisons des expositions thématiques, dont l'une, prochainement, aux Rencontres d'Arles, sur la libération de Paris. Ces événements, qui sont de véritables succès populaires, sont bons pour l'image de l'AFP.

L'information positive est un marronnier des conférences sur les médias. Comment éviter de déprimer tout le monde ? Nous n'avons pas la recette... Les jeunes recherchent beaucoup la mise en contexte et sont demandeurs d'un « journalisme de solutions ». Telle n'est pas notre vocation : nous sommes là pour raconter ce qui se passe de façon aussi impartiale que possible. Nous n'éditorialisons pas, nous n'enjolivons aucun fait.

Quelles sont les tendances lourdes de la désinformation ? Celle-ci se nourrit de tout ce qui divise. Les États qui pratiquent la désinformation exploitent tous les sujets clivants : genre, religion, migration, séparatisme. Pour ce qui est des lieux d'élection de ce phénomène, il s'agit d'une réalité globale ; d'où la force de notre réseau, qui est extrêmement étendu, car les fake news se baladent d'une région à l'autre - songez à la très fameuse vidéo d'un « migrant » frappant une infirmière en Australie...

Par ailleurs, et heureusement, nous travaillons avec tous les médias, TikTok compris ; ne pas le faire reviendrait à entrer dans des considérations politiques sans fin. Nous travaillons même avec des organismes de propagande : nous avons des clients dans les régimes autoritaires.

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