Intervention de Florence Lassarade

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 1er décembre 2022 à 9h30
Examen des conclusions de l'Audition publique sur les conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité florence lassarade sénatrice rapporteure

Photo de Florence LassaradeFlorence Lassarade, sénatrice, rapporteure :

Je suis sénatrice de la Gironde. Ce département a subi cet été les conséquences directes du réchauffement climatique. Des incendies violents ont fortement affecté la biodiversité. Après avoir majoritairement porté des sujets concernant le covid, je suis honorée de pouvoir aborder cet autre sujet pour l'Office.

Au début du mois de décembre 2022 aura lieu la 15e session de la Conférence des parties à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique (COP 15). Dans la perspective de cette conférence, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a organisé le 10 novembre 2022 une audition publique consacrée aux conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité. Diffusée en direct, cette audition est disponible en vidéo à la demande sur les sites de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Les effets du réchauffement climatique sur la biodiversité font l'objet d'un consensus scientifique depuis plus d'une vingtaine d'années. L'audition entendait explorer, d'un point de vue scientifique, les effets présents et futurs du réchauffement climatique sur la biodiversité, mais aussi évaluer les actions de conservation mises en oeuvre en contexte de changement climatique. Ce faisant, elle s'est penchée sur le cas de quelques milieux et espèces emblématiques. L'audition a fait ressortir l'expertise considérable des laboratoires et des institutions publiques français, alors même qu'ils ne sont pas toujours mobilisés de manière cohérente par les pouvoirs publics.

Comme l'a d'abord indiqué Philippe Grandcolas, directeur adjoint scientifique de l'Institut Écologie et Environnement du CNRS, trois échelles d'étude permettent d'approcher le problème de la biodiversité. La première, la plus évidente, est celle de la diversité des individus appartenant à une même espèce. Elle se constate chez nombre d'espèces d'organismes pluricellulaires, végétaux comme animaux. La diversité du vivant s'observe également dans la diversité des espèces. En France métropolitaine, il existe environ 40 000 espèces d'insectes, aux caractéristiques extrêmement variées. Une troisième forme de diversité biologique réside dans les modalités d'organisation des espèces au sein des écosystèmes. Les forêts tropicales, les savanes, les pâtures tempérées, ou encore les pelouses alpines ne montrent pas les mêmes caractéristiques écologiques.

Outre ces trois niveaux d'étude, il faut aussi prendre en compte les trois dimensions de la diversité du vivant. Elles ne sont pas toujours envisagées, parce qu'elles ne sont pas directement perceptibles, mais elles n'en existent pas moins.

La première de ces dimensions concerne la partie microbienne de la biodiversité. Les avancées de l'hygiène pasteurienne réalisées au début du XXe siècle pouvaient donner le sentiment que les microbes sont globalement nuisibles et qu'il faut s'en débarrasser. En réalité, nos propres organismes sont incapables de survivre et de se développer sans la présence des bactéries. Un adulte en bonne santé héberge 30 milliards d'éléments bactériens, qui pèsent environ trois kilogrammes. Ces bactéries permettent notamment le bon fonctionnement du système immunitaire et du système neurodigestif. Par exemple, un enfant né par césarienne, qui n'est pas exposé au microbiote vaginal de sa mère, ne profite pas de cette colonisation digestive primaire. Le lait maternel, entre autres, lui permet d'acquérir un microbiote.

L'évolutivité constitue une seconde dimension mal perçue de la biodiversité. Il est parfois difficile de se rendre compte que tous les organismes descendent d'un ancêtre commun, alors qu'il existe une diversité prodigieuse d'espèces. Ce foisonnement vient de la concurrence entre les phénomènes de disparition et de spéciation. L'évolutivité agit aussi à « l'intérieur » de chaque espèce, celle-ci restant identifiable par rapport aux autres, malgré les modifications de certains traits biologiques qui la caractérisent.

Enfin, une troisième dimension très importante de la biodiversité réside dans les interactions entre espèces. L'une d'elles relie les abeilles et les espèces fleuries. Au plus fort du printemps, une ruche en bonne santé peut compter jusqu'à 50 000 abeilles qui butinent chacune plusieurs heures par jour. Il existe de nombreuses autres interactions, souvent permanentes, au sein des écosystèmes. En France métropolitaine, la pollinisation est d'ailleurs le fait de plus de 5 500 espèces pollinisatrices, relevant essentiellement de la classe des insectes. Ces interactions peuvent être difficiles à appréhender.

L'évolution des espèces donne souvent l'impression d'être inscrite dans le temps long. Au contraire, la biodiversité est extrêmement dynamique. Chaque évènement de reproduction sexuée donne lieu à la fusion de deux génomes, accompagnée d'un certain nombre de mutations. Ainsi, l'espèce humaine transmet à sa descendance entre 100 et 150 mutations à chaque génération. D'autres phénomènes évolutifs se révèlent particulièrement rapides. Par exemple, l'antibiorésistance peut apparaître en seulement quelques années. Elle cause chaque année plusieurs centaines de milliers de morts dans le monde.

Nous nous trouvons aujourd'hui dans la sixième grande crise d'extinction. Les épisodes précédents étaient exceptionnels, mais ils se déroulaient sur des durées de l'ordre de plusieurs millions d'années. L'espèce humaine n'existait pas encore et n'y jouait donc aucun rôle. Dans la phase actuelle, le taux d'extinction effectif est environ mille fois plus important que le taux résiduel estimé lorsqu'on ne tient pas compte de l'activité humaine.

Créée en 2012, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) conduit, en matière de biodiversité, des travaux similaires à ceux du GIEC sur le climat. Environ 150 pays en sont membres auxquels se joignent de nombreux organismes accrédités, dont le CNRS pour la France. L'IPBES a diagnostiqué cinq grandes causes de déclin de la biodiversité. Ces causes sont communément connues, mais des travaux scientifiques en ont désormais mesuré l'intensité et l'importance. Anne-Christine Monnet, chercheuse au Centre d'écologie et des sciences de la conservation (CESCO) du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), l'a aussi souligné.

Le changement climatique est l'une de ces cinq causes, mais il ne vient pas en premier. Il faut citer d'abord la conversion des milieux naturels au profit des activités humaines, qui a notamment déjà entraîné la disparition de près des trois quarts des zones humides de la planète. Viennent ensuite les prélèvements croissants sur la biodiversité, qu'il s'agisse par exemple de la surexploitation des forêts ou de la surpêche. À ceci s'ajoutent les pollutions de toutes sortes. Pour n'en citer qu'une, la masse de plastique présente sur la surface terrestre équivaut désormais à l'ensemble de la biomasse animale. Enfin, les transports d'espèces sont un phénomène ancien, mais qui a connu une croissance exponentielle avec l'essor de la mondialisation après la Seconde Guerre mondiale ; son impact sur la biodiversité est devenu significatif à l'échelle d'une région, d'un pays, voire d'un continent.

À l'heure actuelle, le changement climatique n'est pas le facteur le plus important des pertes de biodiversité. Il influe cependant déjà sur celles-ci de trois manières et cette tendance devrait s'accentuer à l'avenir. Wolfgang Cramer, directeur de recherche au CNRS à l'Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale (IMBE), a ainsi brossé une brève prospective des menaces qui pèsent sur la biodiversité du fait du réchauffement climatique. Ce faisant, il a présenté à l'Office certains contenus du sixième rapport du GIEC à paraître cette année.

Ce rapport contient un tableau synthétique qui présente, selon les régions, les impacts du changement climatique sur les structures des écosystèmes, la distribution et la phénologie annuelle des espèces, c'est-à-dire les phases de leur développement saisonnier. Il fournit des informations prospectives à l'échelle de la planète sur les effets du changement climatique sur la biodiversité.

Il est clair que l'élévation de la température constatée depuis le début de l'ère industrielle aura un impact important sur la biodiversité. Toutefois, les pertes varieront localement, car selon les régions, l'élévation des températures et l'ampleur des variations hygrométriques différeront et la biodiversité sera plus ou moins fragile.

Dans les différents scénarios du changement climatique, la biomasse des poissons marins devrait être particulièrement touchée. Atteindre les objectifs de l'accord de Paris de 2015 peut faire espérer un changement relativement modeste de cette biomasse. Cependant, la trajectoire actuelle du réchauffement devrait conduire à des modifications très importantes, avec de fortes baisses de cette biomasse dans certaines régions et une augmentation dans d'autres zones. Qu'elles soient à la hausse ou à la baisse, des variations de l'ordre de 20 % à 30 % induiront une baisse de la biodiversité en raison des fortes perturbations qui en résulteront sur la structure et les interactions des écosystèmes marins.

Philippe Grandcolas a exposé comment le changement climatique peut faire disparaître des écosystèmes entiers. Le cas des récifs coralliens, voués à l'extinction à l'horizon de quelques décennies, est particulièrement bien documenté. Le réchauffement de l'eau des océans et son acidification par dissolution du gaz carbonique provoquent un blanchiment des coraux. Ceux-ci expulsent leurs petites algues symbiotiques et ne peuvent survivre. Si les coraux meurent, ces récifs deviendront des éléments inertes qui finiront par être détruits par le ressac.

Benoît Sautour, professeur habilité à diriger des recherches (HDR) de l'université de Bordeaux, a souligné que l'impact du changement climatique ne se limite pas à une redistribution géographique de la biodiversité, ou à l'apparition de quelques décalages dans le cycle annuel de développement d'une espèce. J'ai été sensible à l'exemple de la mésange charbonnière, qui, lorsqu'elle pond ses oeufs et doit nourrir ses petits, ne trouve plus les larves de chenille dont elle a besoin.

La perturbation des écosystèmes ne concerne pas seulement les milieux emblématiques comme les zones polaires ou tropicales. Elle affecte aussi ce que l'on peut appeler la biodiversité ordinaire. L'estuaire de la Gironde connaît depuis une vingtaine d'années une augmentation de la température et de la salinité de l'eau - due à une érosion accrue résultant de la fonte des glaces terrestres - qui modifie sa composition physico-chimique. Ceci perturbe l'ensemble des réseaux trophiques qui relient les bactéries, les microalgues, le zooplancton et les organismes benthiques. On constate désormais des conséquences directes sur certaines activités humaines, comme la fermeture de plusieurs pêcheries, et la chute de la capacité trophique de l'estuaire menace la capacité des poissons à grandir et à survivre en mer.

En définitive, comme l'a indiqué Anne-Christine Monnet, les scientifiques estiment que le changement climatique exacerbera de manière croissante l'impact des autres facteurs du déclin de la biodiversité au cours du XXIe siècle, tout en gagnant en puissance en tant que facteur direct de ce déclin.

L'état des connaissances disponibles montre que les mesures propres à lutter contre le changement climatique peuvent contribuer à lutter contre le déclin de la biodiversité, à condition d'être correctement calibrées. Cependant, la lutte contre le changement climatique ne permettra pas de résoudre à elle seule la crise de la biodiversité. La synthèse d'études de la plateforme de l'IPBES alerte même sur l'existence d'effets secondaires indésirables, du point de vue de la biodiversité, de certaines actions de lutte contre le réchauffement climatique. Par exemple, les monocultures ou la production de bioénergie réduisent l'espace disponible pour le déploiement de la biodiversité.

Quoi qu'il en soit, Wolfgang Cramer a attiré l'attention sur le fait que le bénéfice, au regard de la biodiversité, de la lutte contre le réchauffement dépendra aussi du chemin suivi par celle-ci. En effet, quand bien même le réchauffement climatique parviendrait in fine à être contenu au niveau de 1,5 degré prévu par l'accord de Paris de 2015, il n'est pas indifférent qu'une telle stabilisation intervienne directement, ou bien après un dépassement critique de ce seuil suivi d'une atténuation des températures. Dans ce dernier scénario, la biodiversité serait fortement impactée tant dans sa richesse que dans ses aspects fonctionnels, car un très grand nombre d'écosystèmes seraient irrémédiablement touchés par le dépassement critique.

Anne-Christine Monnet a mis en avant le fait qu'indépendamment de ces considérations globales, il faut compter sur l'existence de méthodes efficaces de conservation de la biodiversité à une échelle géographique plus facilement maîtrisable, comme la création de zones protégées, la restauration d'habitats naturels, ou encore les plans d'action, de protection et de réintroduction d'espèces au bord de l'extinction. La mise en oeuvre de ces leviers a mené à de nombreux succès. À cet égard, une importante responsabilité revient à la France dans la préservation des écosystèmes insulaires, particulièrement fragiles. Les collectivités françaises d'outre-mer couvrent seulement 0,08 % de la surface terrestre, mais abritent 3 450 espèces de plantes et 380 espèces de vertébrés strictement endémiques, c'est-à-dire totalement restreintes à cette aire spécifique. Le nombre d'espèces endémiques y est ainsi plus important que sur l'ensemble de l'Europe continentale.

Philippe Grandcolas a souligné que la nature est elle-même porteuse de solutions et qu'il est possible de diffuser un message de « solutions heureuses » face aux menaces qui pèsent sur la biodiversité. On peut par exemple planter des arbres, à condition de tenir compte de leur capacité à vivre dans un climat qui poursuivra son évolution. Wolfgang Cramer a évoqué la possibilité de s'appuyer sur les écosystèmes et sur leur capacité à absorber du carbone. Il a souligné que l'adaptation au changement climatique repose, pour une grande partie, sur cette mise à profit des caractéristiques des écosystèmes actuels. Pour autant, une perte importante de biodiversité, telle qu'elle est projetée par le GIEC et l'IPBES, pourrait compromettre une partie de ces solutions basées sur la nature.

Au cours du débat, Philippe Grandcolas a également rappelé que l'introduction d'espèces modifiées par forçage ou par modification génétique plus classique présente un risque de mal-adaptation. En effet, la plupart du temps, les organismes modifiés en laboratoire ne présentent pas une grande vitalité en milieu naturel et les modifications apportées peuvent être rapidement contre-sélectionnées. En témoigne l'exemple du maïs Bt. Il produit une toxine contre des ravageurs, qui y sont très vite devenus résistants, alors que cette espèce de maïs n'est pas par elle-même extraordinairement productive.

L'affaiblissement de la biodiversité limite aussi les capacités d'adaptation des espèces. Andreaz Dupoué, chargé de recherches à l'IFREMER, a évoqué l'huître plate, autrefois commune dans le bassin d'Arcachon. Sa surexploitation en a fait baisser drastiquement les effectifs, et l'espèce s'est trouvée vulnérable aux zoonoses. En effet, un effectif trop faible réduit la capacité de résilience de l'espèce, car la probabilité de trouver des individus résistants à la zoonose s'en trouve diminuée. L'IFREMER soutient aujourd'hui la réintroduction de l'huître plate en rade de Brest. Les résultats sont encourageants.

Enfin, Cédric Marteau, directeur du pôle Protection de la nature à la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO France), a plaidé pour le maintien de zones protégées propices à la halte des oiseaux migrateurs, telle la réserve naturelle nationale de Moëze-Oléron. Il a montré qu'il n'est pas nécessaire de s'arc-bouter sur l'existant pour répondre à la menace. En effet, il est possible de reculer l'emplacement de la zone en réponse aux progrès de la submersion marine. Il s'agirait en l'espèce de retransformer en marais des terres agricoles gagnées sur des marais dans les années 1970. De cette façon, la zone protégée qui accueillerait les oiseaux migrateurs pourrait être déplacée de 1,5 kilomètre vers l'intérieur des terres. Ceci permettrait de préserver des noyaux de populations qui représentent plus de 350 espèces d'oiseaux, dont plusieurs centaines d'espèces d'oiseaux migrateurs. Cette opération est un exemple d'action très concrète, réalisable sur le territoire. Elle aurait néanmoins des conséquences non négligeables sur la vie de la population locale, avec la nécessaire reconversion de certaines zones agricoles.

Sur la base de ces considérations, je soumets à votre examen les recommandations suivantes :

1. Favoriser la participation des chercheurs aux travaux conjoints du GIEC et de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) ;

2. Ne pas dissocier lutte contre le changement climatique et préservation de la biodiversité, mais élaborer au contraire dans ces deux domaines des stratégies nationales et internationales qui se répondent et s'appuient l'une sur l'autre ;

3. Prendre en compte toutes les échelles et dimensions de la biodiversité, y compris l'échelle microbienne, pour concevoir les stratégies de préservation les mieux adaptées ;

4. Continuer à promouvoir, dans le cadre international, des plans globaux susceptibles de se prolonger dans une mise en oeuvre au niveau local (comme pour les oiseaux sur la côte vendéenne ou l'estuaire de la Gironde) ;

5. Étendre en France le recours aux instruments juridiques qui permettent le maintien de la biodiversité, telles les réserves naturelles qui garantissent les haltes des oiseaux migrateurs ;

6. Inclure, dans les études d'impact législatives et dans les analyses coûts-avantages réalisées en amont des investissements publics, une évaluation chiffrée des services rendus par la biodiversité sur le temps long.

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