Intervention de Hendrick Davi

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 1er décembre 2022 à 9h30
Examen d'une note scientifique sur les espèces invasives hendrik davi député rapporteur

Hendrick Davi, député, rapporteur :

Je remercie toutes les personnes auditionnées, ainsi que le secrétariat de l'Office, qui ont permis l'élaboration de cette note.

Nous vivons une période charnière de notre histoire, car nous devons relever des défis immenses pour trouver les moyens de conjuguer l'amélioration des conditions de vie du plus grand nombre et la préservation des écosystèmes. La perte de biodiversité est l'une des facettes de la crise écologique. La vitesse d'extinction est 100 à 1 000 fois supérieure à celle qui prévalait lors des grandes extinctions, notamment celle qui a entraîné la disparition des dinosaures. La paléontologie nous permet de l'estimer de façon relativement fiable. Outre les extinctions à proprement parler, les effectifs de nombreuses populations naturelles diminuent. Certaines espèces, sans disparaître, sont donc très fragilisées. On assiste ainsi à une diminution de la diversité génétique encore plus importante que celle de la diversité spécifique estimée par le nombre d'espèces.

Le changement climatique touche la biodiversité. Si cet impact est amené à croître davantage, d'autres facteurs directement liés aux activités humaines ont aujourd'hui une empreinte plus importante. Je peux notamment citer le changement d'usage des sols, l'exploitation des espèces et la pollution des milieux. La cinquième menace pour la biodiversité identifiée en 2019 par l'IPBES, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, est l'augmentation du nombre des espèces exotiques envahissantes. Ce phénomène méconnu au sein de la société française a pourtant des conséquences sur la biodiversité, mais aussi sur certaines activités économiques ou encore sur la santé des Français. Il nous a semblé important d'informer la représentation nationale.

En 2019, Jérôme Bignon présentait aux membres de l'Office une note scientifique sur l'effondrement de la biodiversité. Ce travail était complété en 2021 par une note scientifique consacrée plus spécifiquement aux insectes, élaborée par Annick Jacquemet. Ces travaux sont essentiels. L'Office est tout à fait dans son rôle quand il alerte nos collègues parlementaires, sur une base scientifique solidement étayée. Si chacun a plus ou moins conscience du changement climatique et de ses conséquences, les enjeux liés à la biodiversité - son déclin et les conséquences de celui-ci - sont encore insuffisamment perçus par nos concitoyens, mais aussi par les parlementaires.

J'ai auditionné une quinzaine de chercheurs et de gestionnaires des espaces naturels avant de rédiger cette note. Plusieurs points saillants sont ressortis des auditions.

D'abord, la mondialisation, par les nombreux échanges qui la caractérisent et la connexion rapide qu'elle permet entre les différentes régions du monde, est la principale cause de l'augmentation exponentielle du rythme d'introduction d'espèces exotiques. Il faut trouver les moyens de relocaliser notre économie pour limiter les échanges internationaux, qui, en plus du risque d'espèces invasives, présentent une empreinte écologique globale difficilement soutenable.

Les invasions biologiques sont associées à des coûts très conséquents - qu'il s'agisse de pertes ou de coûts de gestion. La France est particulièrement concernée par ce risque, car c'est un pays ouvert sur le monde, qui a également la spécificité d'avoir des liens privilégiés avec des territoires d'outre-mer abritant des écosystèmes tropicaux et boréaux.

Il est primordial de renforcer la stratégie nationale de lutte contre les espèces exotiques envahissantes en améliorant les contrôles visant à empêcher les nouvelles introductions, en développant la détection précoce dans les milieux et en sensibilisant la population et les acteurs économiques les plus concernés.

Les espèces exotiques sont originaires d'autres régions biogéographiques, mais elles ne sont pas nécessairement envahissantes. Des espèces exotiques - telles que les tomates, les pommes de terre ou le blé - ont toujours été introduites par l'homme dans les milieux où il vit, depuis la naissance de l'agriculture.

Aujourd'hui, on considère une espèce exotique comme envahissante si elle a un impact négatif sur l'environnement, la biodiversité, les activités économiques ou la santé humaine. Cependant, les notions d'exotique et d'envahissant demeurent subjectives. Leur perception dépend de la familiarité de la population avec l'espèce. Lorsque celle-ci est ancrée dans le patrimoine culturel, comme c'est le cas du flamboyant à la Réunion, elle n'est pas considérée comme envahissante. Si les sociétés anglo-saxonnes, surtout l'Australie et la Nouvelle-Zélande, ont une bien meilleure connaissance des enjeux des espèces exotiques envahissantes, c'est qu'elles en constatent les conséquences néfastes en milieu insulaire, plus visibles qu'en France.

Les espèces exotiques peuvent être introduites de manière intentionnelle - c'est le cas d'usages ornementaux, notamment en horticulture ou en aquariophilie - ou involontaire, comme lorsque des insectes sont transportés en même temps que des plantes ou des objets. L'exemple le plus emblématique à ce titre est certainement le frelon asiatique, dont un seul spécimen serait arrivé en France en voyageant avec des poteries, depuis la Chine, ou la pyrale du buis, transportée accidentellement avec des plantes d'ornementation.

Les chercheurs sont unanimes. L'augmentation des échanges mondiaux, et notamment intercontinentaux, est la cause majeure d'introduction d'espèces exotiques. La mondialisation a ouvert de nouvelles routes entre des régions biogéographiques très différentes et la réduction du temps de transport a permis à des organismes à courte durée de vie de survivre au trajet. Cette mondialisation s'est intensifiée. Le volume des échanges mondiaux a été multiplié par 43 depuis 1953. En France, comme en Europe et dans d'autres régions, une hausse exponentielle des nouvelles introductions est constatée, directement en lien avec la mondialisation. 40 % des espèces exotiques envahissantes détectées ces deux derniers siècles l'ont été après 1970. Les chercheurs alertent sur le fait que la dynamique ne s'inverse pas, même si elle stagne pour certains groupes d'espèces comme les mammifères. Dans la mesure où il se passe souvent plusieurs années, voire plusieurs décennies avant de constater les dommages causés par une espèce exotique envahissante, cette dynamique est très inquiétante.

Les dommages causés sont multiples. Les invasions d'espèces ont notamment contribué à l'extinction de 25 % des plantes et 33 % des animaux depuis la fin du Moyen-Âge, et cette menace directe sur la biodiversité devrait logiquement s'accroître. La menace pesant sur la biodiversité est particulièrement à craindre dans les îles, où les écosystèmes sont plus facilement perturbés. Les dommages environnementaux peuvent également avoir un impact sur les activités humaines, comme la navigation. Les ragondins abîment par exemple les berges, et la jussie, une algue originaire d'Amérique du Sud, gêne la navigation sur de nombreux cours d'eau en France.

D'autres secteurs économiques sont impactés, en premier lieu l'agriculture. Le frelon asiatique constitue une menace pour l'apiculture et la drosophile D. suzukii ravage les fruits rouges avant leur récolte. Ces espèces peuvent avoir des conséquences sanitaires non négligeables. Des millions de Français sont incommodés par le pollen hautement allergisant de l'ambroisie. La progression rapide et inéluctable du moustique tigre sur le territoire métropolitain fait craindre une endémisation de la dengue, une maladie infectieuse plutôt cantonnée aux régions tropicales. Ces impacts engendrent des coûts : recours aux soins, perte en qualité de vie, perte des récoltes, coûts directs de gestion. L'ambroisie et le moustique tigre sont les espèces qui ont été les plus coûteuses ces 30 dernières années. Le fardeau économique des invasions biologiques est cependant certainement sous-évalué, de nombreux impacts n'étant pas chiffrables.

La lutte contre les espèces exotiques envahissantes n'est pas simple. D'abord, il n'existe pas de profil type de l'exotique envahissant, qui permettrait d'identifier facilement en amont les espèces à risque. Le succès d'une invasion dépend d'une combinaison entre les traits de l'espèce envahissante, les communautés d'espèces présentes dans le milieu envahi et ses conditions environnementales. Notons ici que si le changement climatique n'augmente pas beaucoup le nombre d'introductions, il favorise la naturalisation de certaines espèces exotiques en même temps qu'il fragilise les écosystèmes. La préservation d'écosystèmes avec une biodiversité riche et la lutte contre le changement climatique sont donc des leviers d'action pour limiter les invasions biologiques.

Que faire, donc, pour endiguer les invasions biologiques ? Dans la mesure où il est souvent impossible d'éradiquer une espèce installée, agir en amont d'une invasion permet de maximiser les chances de réussite. La prévention des introductions doit d'abord passer par une baisse de nos échanges internationaux et par une sensibilisation des acteurs économiques et de la population générale, notamment pour promouvoir un usage responsable des espèces exotiques disponibles en jardinerie ou en animalerie. On pourrait par exemple envisager un étiquetage spécifique. Les catalogues devraient par ailleurs être soumis à plus de contraintes et de contrôles.

La prévention passe également par le contrôle des importations. Celui-ci présente plusieurs limites. Il n'est réalisé que sur les espèces végétales et animales déclarées. Les contaminations accidentelles de produits manufacturés ainsi que les achats réalisés sur Internet passent donc à travers les mailles du filet. Par ailleurs, ces contrôles sont régis par le droit européen, qui prévoit soit l'interdiction d'introduction dans le milieu naturel, soit l'interdiction de détention, de commerce, de transport et d'utilisation d'une liste de 88 espèces. Les scientifiques estiment pourtant qu'on compte environ 4 000 espèces exotiques envahissantes en Europe. Il faut donc réfléchir aux listes d'espèces interdites et contrôlées. Les listes noires sont actuellement très contraignantes, et peu d'espèces y sont inscrites. Aucune des personnes auditionnées n'a pu proposer de solution.

La prévention ne pouvant pas tout, il est impératif que la France se dote d'un système de veille pour détecter précocement les espèces exotiques nouvellement présentes dans un milieu. Un tel système est d'ailleurs requis par la réglementation européenne de 2014. Si des expérimentations ont lieu, notamment l'utilisation de pièges autour des zones d'échanges, les diverses initiatives sont insuffisamment coordonnées. Un système national permettrait que la détection soit systématiquement suivie d'une analyse de risque et d'actions qui pourraient être réalisées par une brigade dédiée des services déconcentrés de l'État.

Si les espèces s'installent malgré tout, il faut mettre en place des stratégies de lutte. La lutte contre les espèces installées peut être physique, chimique ou biologique. Des technologies innovantes existent. Contre le moustique tigre, des techniques de modification, génétique ou non, des moustiques sont mises en oeuvre. Elles ont été bien décrites par notre collègue Catherine Procaccia et le président Jean-Yves Le Déaut, dans leur rapport de 2017 sur les enjeux des biotechnologies. Ces techniques, visant à éradiquer des populations de moustiques, à les contrôler ou à les remplacer par des populations moins nocives, sont néanmoins confrontées à un vide réglementaire qui rend difficile l'expérimentation à grande échelle. Surtout, elles ne doivent pas exonérer du travail de prévention et de détection précoce, qui est essentiel.

Permettez-moi désormais de présenter mes principales recommandations. Il faut d'abord prévenir ce risque en relocalisant le plus possible notre économie, pour limiter l'introduction d'espèces exotiques envahissantes. Il faut ensuite détecter le risque le plus précocement possible en développant une stratégie de surveillance nationale efficace, pilotée de façon interministérielle, avec l'attribution de plus de moyens aux services déconcentrés de l'État, notamment dans les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et les services des Douanes. Il faut aussi mieux coordonner la mise en oeuvre des différentes méthodes de lutte contre les espèces exotiques envahissantes sur notre territoire. Cela nécessite de réviser la stratégie nationale sur les espèces exotiques envahissantes de 2017, sur la base des engagements internationaux qui seront pris et sur celle du rapport IPBES à paraître, dédié aux espèces exotiques envahissantes. Enfin, nous devons aussi agir sur un plan international. La France doit prendre toute sa place dans la négociation de l'accord-cadre qui sera négocié lors de la COP 15.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion