Intervention de Laure de La Raudière

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 8 février 2023 à 10h35
Audition de Mme Laure de la Raudière présidente de l'autorité de régulation des communications électroniques des postes et de la distribution de la presse

Laure de La Raudière, présidente de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre accueil. J'évoquerai des enjeux qui concernent le quotidien des Français : disposer d'un accès à internet à très haut débit et d'un service postal fiable, ou trouver son journal préféré chez son marchand de journaux.

Je suis venue accompagnée de deux membres du collège de l'Arcep, Serge Abiteboul et Joëlle Cottenye, ainsi que de Cécile Dubarry, directrice générale, et Virginie Mathot, conseillère.

Tout d'abord, avant de répondre à vos questions, monsieur le président, je souhaite évoquer les deux autres secteurs régulés par l'Arcep.

Dans le domaine de la distribution de la presse papier, dont la régulation a été confiée à l'Arcep fin 2019, juste avant la faillite de Presstalis, le contexte est difficile, du fait d'un changement des usages - la vente des sept principaux journaux quotidiens a chuté de 37 % entre 2019 et 2022 - et du contexte économique actuel, avec la hausse du prix du papier. Les chantiers sont nombreux : mise en oeuvre effective de l'accord sur les règles d'assortiment, rémunération des marchands de presse ou mise en place de la comptabilité réglementaire.

Dans un contexte de fragilité de la filière, il faut vraiment que les acteurs réfléchissent à une amélioration et à une optimisation de leur organisation, permettant de garantir la pérennité de la distribution de la presse.

Quant à La Poste, elle fait face à une réduction de son activité historique de distribution du courrier. La baisse de cette activité a coûté 600 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2021. Dans ce contexte, l'équilibre économique du service universel postal est remis en cause. Le Parlement nous a d'ailleurs confié une nouvelle mission dans la loi de finances pour 2022, à savoir l'évaluation du coût net du service universel postal.

Nous avons constaté une absence de surcompensation : le coût du service est, en effet, estimé à 1,6 milliard d'euros, alors que le versement de l'État a représenté 520 millions d'euros au titre de l'année 2021.

Nous avons aussi rendu, cette année, des avis sur la nouvelle gamme des services inclus dans le service universel, lancés par la Poste en janvier 2023.

Concernant les enjeux de la régulation du secteur des télécommunications, j'évoquerai tout d'abord le New Deal mobile. Ce changement de paradigme dans l'attribution des fréquences, sous l'impulsion politique des élus, a été l'engagement de tous : Gouvernement, Arcep, opérateurs et collectivités. Cela fonctionne bien.

La première obligation est le dispositif de couverture ciblée. Sur les 5 000 sites à déployer par opérateur, 1 786 sites, quadri-opérateurs pour 90 % d'entre eux et choisis par les collectivités, avaient été mis en service au 30 septembre 2022.

Le New Deal mobile, c'est aussi la montée en débit sur certaines zones où la fibre n'est pas encore déployée, la généralisation de la technologie 4G sur tous les sites mobiles des opérateurs, l'obligation de fournir une solution d'appel sur wifi, l'obligation de couverture des axes routiers prioritaires ou encore l'exigence de qualité de service dans les obligations générales des opérateurs. Ces deux dernières obligations conduiront à l'implantation de nombreux nouveaux sites.

Concernant la 5G, après les inquiétudes citoyennes et politiques apparues en 2020 et 2021, les concertations et débats organisés par les collectivités ont permis d'apaiser la situation, et les opérateurs sont aujourd'hui en phase avec leurs obligations de déploiement.

Parallèlement, la fibre est devenue le réseau d'accès à internet de référence pour les Français, puisque, en 2022, la barre de 50 % des abonnements à internet haut débit et très haut débit a été franchie. Le nombre de locaux raccordables à la fibre approche aujourd'hui les 80 %.

Plus précisément, le taux de déploiement de la fibre est de 90 % dans les zones très denses ; à 88 % dans les zones Amii ; d'environ 62 % dans les zones RIP ; et de 41 % dans les zones Amel (appels à manifestation d'engagements locaux).

Le plan France Très Haut Débit est un succès collectif, comme le souligne France Stratégie dans son récent rapport d'évaluation, qui met en avant plusieurs facteurs clés de succès. Tout d'abord, la stabilité dans le temps du cadre réglementaire mis en place dès 2009 a apporté une prévisibilité essentielle aux investissements des acteurs privés comme des acteurs publics. C'est le fruit d'un choix de régulation résolument tourné vers l'investissement, pour permettre l'aménagement numérique des territoires. Ensuite, la gouvernance du plan a associé tout le monde : Gouvernement, Arcep, parlementaires, collectivités et opérateurs, comme pour le New Deal mobile, même si le contexte est différent. Le succès du plan France Très Haut Débit traduit des efforts industriels et humains tout à fait remarquables de la part des opérateurs et des collectivités, efforts que je veux saluer.

Dans ce contexte, quelles sont nos priorités pour les années à venir ?

La qualité de service sur la fibre a sans doute été ma priorité lorsque j'ai été nommée, voilà deux ans, présidente de l'Arcep. Si le volume des déploiements atteignait des niveaux record à l'époque, je recevais chaque semaine des courriers d'élus me faisant part de situations invraisemblables et inacceptables rencontrées par nos concitoyens. Une telle situation m'a conduite à prioriser les travaux sur ce sujet. En 2021, les opérateurs n'avaient toujours pas mis en place les processus de contrôle ni les outils permettant de tracer les interventions effectuées sur les réseaux et d'identifier les responsables des malfaçons et des dégradations. C'était « ni vu ni connu » pour celui qui débranchait un client pour rebrancher le sien.

Les opérateurs étaient dans un certain déni de l'importance du sujet. À son habitude, l'Arcep a objectivé la situation. Certains réseaux, qui représentent environ 2 % du parc des lignes fibre, concentrent les incidents. Deux opérateurs d'infrastructures sont concernés : Altitude, pour les anciens réseaux Tutor et Covage, dans l'Essonne et le Calvados ; et XpFibre, pour certains réseaux en Île-de-France et dans le Rhône. À l'automne 2022, ces deux opérateurs nous ont présenté des plans de reprise complète des réseaux concernés. L'Arcep effectue le suivi de ces plans de reprise, afin de veiller au respect par les opérateurs des engagements pris. Les premiers travaux réalisés montrent quelques améliorations.

Ensuite, à la demande de l'Arcep et du Gouvernement, la filière a remis un plan d'action, en septembre dernier, pour améliorer la qualité des réseaux fibre. Ce plan inclut la mise en place d'outils et de processus permettant un réel contrôle des interventions sur le terrain, l'engagement d'avoir des techniciens qualifiés et formés pour assurer le travail correctement, ainsi que la remise en état des infrastructures dégradées au fil de l'eau.

La mise en oeuvre de ce plan par la filière est en cours. L'Arcep en assure un suivi et sera particulièrement vigilante quant à son exécution. Cet enjeu de qualité et de service nous paraît fondamental, parce qu'il n'est pas acceptable que la promesse technologique et les investissements massifs réalisés soient ternis par des pratiques non professionnelles.

Cet enjeu est aussi important dans la perspective de la fermeture du réseau cuivre par Orange, projet structurant pour l'ensemble de la filière et pour les Français. En effet, pour permettre et réussir la fermeture du réseau cuivre, il faut d'abord pouvoir compter sur un réseau fibre bien construit et bien exploité. Il faut aussi que les déploiements des réseaux en fibre optique soient terminés.

Or, autant les déploiements dans les zones d'initiative publique connaissent un rythme soutenu, autant nous constatons un ralentissement inquiétant des déploiements dans les zones très denses et les zones moins denses d'initiative privée, les zones Amii. Cette situation est problématique, car cela prive certains de nos concitoyens du bénéfice de la fibre. Pour rappel, « Amii » signifie « appel à manifestation d'intention d'investissement ». Il s'agit donc bien d'engagements librement consentis par les opérateurs concernés. Comme certains d'entre vous s'en souviennent, ce choix a d'ailleurs été fait à l'encontre de la volonté de certaines collectivités d'assurer le déploiement sur leurs communes.

Par ailleurs, une telle situation fragilise la trajectoire de fermeture du réseau cuivre. En mars dernier, nous avons donc mis en demeure Orange de respecter les engagements pris auprès du Gouvernement, en couvrant 100 % des locaux de la zone Amii, dont 8 % raccordables à la demande. Orange a d'abord contesté cette décision de mise en demeure devant le Conseil d'État, considérant notamment avoir pris un engagement sur un volume de lignes à déployer au sens d'indicateurs statistiques de l'Insee datés.

Dans les faits, la lecture des engagements pris par Orange ne laisse aucun doute quant à leur nature réelle : il s'agit d'un engagement de couverture d'une liste de communes qui doit être complète à une date donnée. C'est d'ailleurs ainsi que l'ont compris toutes les collectivités concernées.

Plus récemment - cette information a été reprise dans la presse hier et aujourd'hui - Orange a déposé une question prioritaire de constitutionnalité portant à la fois sur le pouvoir de sanction de l'Arcep et sur la constitutionnalité de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques, par lequel les engagements pris par Orange auprès du Gouvernement sont juridiquement opposables. En procédant ainsi, Orange demande au Conseil d'État de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel et partant, de surseoir à statuer sur la mise en demeure de l'Arcep dans l'attente de la décision de ce dernier. En réalité, Orange cherche à retarder la décision du Conseil d'État sur la mise en demeure elle-même, voire à faire en sorte que le Conseil d'État soit dans l'incapacité juridique de confirmer celle-ci.

Doit-on comprendre que les engagements d'Orange pris devant le Gouvernement en 2018 n'avaient pas de valeur ? Doit-on comprendre qu'Orange renie ses engagements ? Doit-on comprendre que de nombreux habitants des Sables-d'Olonne, de La Roche-sur-Yon, de Brive-la-Gaillarde et de bien d'autres communes en zone Amii devront attendre la fibre encore longtemps ? Doit-on comprendre qu'Orange défie les objectifs assignés à la régulation par la volonté du Parlement ? Doit-on comprendre, enfin, que, plutôt que de chercher à atteindre des objectifs qu'il s'était lui-même fixés en 2018, Orange préfère tenter d'arracher son sifflet au gendarme des télécoms ? La stratégie d'Orange sur ces déploiements en zone Amii, à l'aube de la fermeture du réseau cuivre, reste un mystère.

Le succès du plan de fermeture du réseau cuivre reposera sur la mise en place effective par Orange d'une gouvernance associant réellement toutes les parties prenantes, dans un esprit de parfaite concertation avec l'opérateur d'infrastructures de la zone, mais aussi avec tous les opérateurs commerciaux et les collectivités concernées. J'aimerais d'ailleurs qu'Orange s'appuie davantage sur les propositions faites par les collectivités quant au choix des communes. Il serait préférable, en effet, de commencer par les communes et les élus les plus motivés. Cela faciliterait grandement les opérations.

De plus, Orange doit partager beaucoup plus les informations dont il dispose, notamment celles qui permettent de réconcilier les adresses de présence du réseau cuivre avec celles du réseau fibre de l'opérateur d'infrastructures, en vue d'une substitution des deux réseaux.

Enfin, il faut veiller à ce qu'une communication neutre et rassurante soit assurée à l'égard des Français concernés par la fermeture du réseau cuivre.

J'en viens au dernier point, la prise en compte des enjeux environnementaux du numérique au sein des travaux de l'Arcep. Comme le mentionne un rapport du Sénat réalisé en 2021, l'empreinte carbone du numérique représente 2 % de l'empreinte totale en France. Cette proportion peut sembler faible, mais sa croissance est exponentielle, du fait de la multiplication des usages du numérique et des terminaux connectés. Il nous paraît donc essentiel que le secteur du numérique, qui peut, par des services innovants, contribuer à apporter des solutions face aux enjeux climatiques, ne s'exonère pas pour autant des efforts nécessaires pour réduire son empreinte.

C'est pour cela que l'Arcep a ouvert un nouveau chapitre de la régulation, relatif à la prise en compte des enjeux environnementaux du numérique. En 2020, le Gouvernement a confié à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et à l'Arcep une mission visant à mesurer l'empreinte environnementale du numérique et à faire un exercice de prospective à échéance de 2030 et 2050. Nous avons remis les conclusions de notre étude, hors travail sur la partie prospective, l'année dernière.

Nous avons constaté que, des trois composantes du numérique incluses dans le périmètre de l'étude, ce sont les terminaux, en particulier les écrans et les téléviseurs, qui sont à l'origine de 65 à 90 % de l'impact environnemental, selon l'indicateur considéré. Parmi tous les impacts environnementaux, l'épuisement des ressources énergétiques fossiles, l'empreinte carbone, les radiations ionisantes liées à la consommation énergétique ainsi que l'épuisement des ressources abiotiques - minéraux et métaux - ressortent comme des impacts prédominants du numérique.

De toutes les étapes du cycle de vie des biens et services considérés, la phase de fabrication est la principale source d'impact, suivie de la phase d'utilisation. Ces deux phases sont souvent responsables de 100 % de l'impact environnemental, selon l'indicateur environnemental considéré.

L'étude confirme le besoin d'approfondir la connaissance sur ce sujet, de collecter des données et de permettre, à terme, l'ouverture de bases de données publiques. Elle confirme aussi la nécessité d'agir sur l'impact environnemental des équipements et matériels, notamment en favorisant l'allongement de la durée d'usage des équipements numériques par le développement du reconditionnement ou de la réparation.

L'étude souligne aussi l'interdépendance entre les réseaux, les centres de données et les terminaux, ce qui justifie des actions pour limiter l'impact environnemental du numérique dans tous les domaines de ce dernier.

Grâce à la proposition de loi sénatoriale votée en décembre 2021 et devenue loi visant à renforcer la régulation environnementale du numérique par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, notre collecte de données environnementales a été élargie à l'ensemble des acteurs du numérique, ce qui nous permettra progressivement d'enrichir notre enquête annuelle intitulée « Pour un numérique soutenable ». Ces résultats nous donneront une vision inédite de l'empreinte environnementale du numérique, qui nous permettra d'informer les citoyens, les acteurs publics et l'ensemble des parties prenantes sur les impacts, mais aussi d'identifier les activités des acteurs susceptibles d'avoir un véritable impact sur l'environnement et, partant, de cibler les actions sur les mesures les plus efficaces en matière d'impact environnemental. Nous souhaitons également suivre l'évolution de ces indicateurs dans le temps pour permettre une évaluation objective des politiques publiques menées en matière de numérique.

Soyez assurés de l'engagement de tous les Arcépiens et de toutes les Arcépiennes à défendre les objectifs d'intérêt général et les priorités politiques que vous nous fixez par la loi sur l'ensemble des secteurs que nous régulons, avec, comme boussole, la satisfaction des utilisateurs.

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