Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule à mon propos, je tiens tout d’abord à remercier très chaleureusement Claude Malhuret de son initiative. Nous connaissons tous, ici, sa vigilance de longue date à l’endroit du régime de Vladimir Poutine. Les propos fermes et constants qu’il tient à ce sujet au Sénat depuis 2014 l’honorent, lui et, indirectement, notre assemblée.
Au-delà, je tiens également à saluer l’ampleur du soutien qui s’est déjà exprimé en faveur de cette proposition de résolution, en particulier son caractère éminemment transpartisan, puisque pas moins de cinq présidents de groupe en sont cosignataires. Ce quasi-consensus est d’autant plus remarquable que les termes employés dans cette proposition de résolution sont fermes, précis et sans équivoque.
C’est, il est vrai, le moins que nous puissions faire face à l’agression horrible perpétrée contre l’Ukraine, à cette guerre hybride et de haute intensité, avec son cortège inouï d’exactions et de crimes de guerre, dont la liste s’allonge malheureusement chaque jour davantage.
Ce texte arrive aussi à un moment clé du conflit, et ce pas seulement parce que nous approchons du 24 février, date anniversaire du début de cette guerre. Non, nous sommes à un moment clé parce que, contrairement à ce qu’avaient prédit certains commentateurs, le fameux « général Hiver » n’a pas gelé ce conflit. Bien au contraire ! Les combats redoublent d’intensité dans les zones qui s’étendent du sud de Zaporijia au nord de Bakhmout.
Nous ne disposons pas de chiffres officiels, mais on évalue à plus de 120 000 le nombre de soldats russes tués et à plus de 100 000 le nombre d’Ukrainiens, civils et militaires, ayant connu le même sort.
Le moment est clé, car, après une phase de reconquête territoriale entamée par l’Ukraine à l’automne passé, nous sommes désormais dans une guerre de position où les forces ukrainiennes sont sur la défensive tant les moyens humains déployés par la Russie sont importants.
Les moyens militaires de l’Ukraine, en dépit de l’aide prodiguée, sont insuffisants pour tenir sérieusement une ligne de front qui, à l’Est, s’étend sur plus de 1 500 kilomètres, à laquelle il faut ajouter les 900 kilomètres de frontière avec la Biélorussie, où le régime de M. Loukachenko, définitivement vassalisé par le Kremlin, fait figure de complice de celui-ci.
Condamner fermement l’attitude de la Russie, qui, dans tous les domaines, rompt avec le droit international, le droit humanitaire et le droit de la guerre, est indispensable.
Oleksandra Matviïtchouk, présidente du Centre pour les libertés civiles, déclarait il y a dix jours, devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, que son organisation, lauréate du prix Nobel de la paix en 2022, avait recensé et documenté plus de 31 000 crimes de guerre perpétrés par les troupes russes ! Et encore ne s’agit-il là que des crimes possiblement recensables…
Car il en est certains, dans les territoires de l’est de l’Ukraine, annexés ou occupés par la Russie, qui ne peuvent être ni documentés ni précisément quantifiés. C’est la raison pour laquelle, sans doute, en dépit de leur extrême gravité, plusieurs de ces crimes sont si elliptiquement évoqués dans cette proposition de résolution.
Je pense notamment à la situation de centaines de milliers d’enfants qui ont été déplacés de force en territoire russe. Osons le mot, c’est bien une déportation de masse sans précédent en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale qui est à l’œuvre.
Les médias propagandistes russes regorgent de reportages chantant les louanges de cet élan de prétendue « solidarité humanitaire » de familles russes adoptant « spontanément » de pauvres orphelins de guerre, lesquels, en réalité, ont encore souvent des parents en Ukraine !
En réalité, le Kremlin ne s’en cache guère : il procède à ce qu’il appelle la « dénazification » des territoires occupés en « désukrainisant » les déportés, en procédant à leur « russification forcée », y compris en modifiant leurs noms et leurs origines à l’état civil.
Bien plus qu’une épuration ethnique, constitutive en soi d’un crime contre l’humanité, ce procédé honteux, visant à éradiquer l’identité d’enfants et à les prendre en otages, s’apparente à un acte constitutif d’un génocide !
Au-delà de cette résolution, en faveur de laquelle le groupe RDPI se prononcera favorablement de manière unanime, je conclurai mon propos en interpellant notre Haute Assemblée sur une question qui, jusqu’à présent, n’a guère fait l’objet de son attention.
On le sait, « Rome ne s’est pas construite en un jour ». Le pouvoir autoritaire de Vladimir Poutine non plus ! Son attitude n’a pas soudainement basculé dans la nuit du 23 au 24 février 2022, qui a entraîné son pays dans cette guerre ignoble. Depuis quinze ans, au moins, des signes avant-coureurs, jalonnés de sang, préfiguraient déjà les charniers que nous commençons à déterrer aujourd’hui. Pourquoi n’avons-nous pas vu venir cette guerre ni la dérive autocratique et belliciste de son principal artisan ? Avons-nous été aveuglés ou nous sommes-nous laissés aveugler ?
L’argument de l’imprévisibilité et de l’irrationalité supposées de Vladimir Poutine a bon dos pour expliquer les erreurs d’analyse stratégique que nous avons commises. À l’heure où de multiples travaux de « retour d’expérience » sur cette guerre sont engagés, un peu d’introspection sur nos faiblesses passées ne serait sans doute pas, selon moi, inutile !